Voilà le second, nommé "L'étoile". Le thème en est encore l'astrologie.
Et quelque chose de plus. Je le trouve splendide, tout simplement, et j'espère que vous l'apprécierez aussi.
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« Il y a bien longtemps, dans la mystérieuse cité de Kryg, naquit une rumeur :
La rumeur qu'une astrologue, très pauvre mais très sage, travaillait et composait d'extraordinaires thèmes sans demander rétribution dans les quartiers miséreux de la ville. On ne connaissait d'elle que ses écrits, fascinants, et son nom : Stella.
Personne ne l'avait jamais vue, mais tout le monde prétendait la connaître :
" - C'est une sainte, " disaient les uns : " elle a croisé mon beau-frère Esgard, qui rencontrait des difficultés dans ses affaires et ne savait quelle décision prendre... et bien, il est aujourd'hui le mâle le plus riche du monde ! "
" - C'est une étoile tombée du ciel, " disaient les autres : " elle connait le langage oublié des astres, elle parle aux oiseaux, aux nuages et aux nuées ! "
La rumeur grandit, se répandit dans toute la ville, au point que la Mestre de Kryg s'en émut. Elle convoqua son astrologue personnelle et demanda à cette dernière d'enquêter et d'établir un rapport sur la dénommée Stella, qui commençait à créer une certaine effervescence dans des secteurs de la ville déjà bien... agités.
L'astrologue en question n'était pas une enquêtrice de métier, loin s'en faut. Qui plus est, elle était assez âgée et quelque peu jalouse de la notoriété grandissante de sa mystérieuse rivale. Elle délégua l'affaire à l'une de ses subalternes, qui fit de même : de fil en aiguille, c'est une toute jeune gardienne prénommée Abeth qui se retrouva chargée de retrouver et d'interroger Stella.
Abeth n'était pas très versée dans les arts divinatoires, mais possédait quelques bases qui lui furent bien utiles pour démarrer son enquête. Elle écumait les bas-quartiers, interrogeait ses habitants, s'entretenait avec les taverniers, les livreurs, les enfants des rues... sans succès. Tout le monde évoquait l'astrologue, les yeux brillants et l'expression extatique, mais Abeth devait se rendre à l'évidence : bien peu de gens l'avaient rencontrée, et ces gens-là, elle ne les trouvait pas.
Elle cherchait ainsi depuis un mois lorsqu'un soir, surprise par une tempête de neige, elle se réfugia sous le porche d'une mercerie sur le point de fermer. Le vieux mâle qui la tenait accueillit la jeune tydale pour qu'elle se sèche et se réchauffe à son poêle fumant. Ils commencèrent à discuter...
Le mâle était fascinant : cultivé, d'une sagesse inattendue, très pédagogue et extraordinairement savant en matière d'astrologie. Cette nuit-là, Abeth progressa dans la compréhension de cet Art plus qu'en dix-huit années de vie. Elle finit par demander au vieil homme s'il n'était pas le Maître, ou le Précepteur, de cette fameuse Stella. En réponse, il se fendit d'un mystérieux sourire et dit simplement :
" - Non, dame Abeth. Je suis juste un humble commerçant, qui a eu la chance de rencontrer l'une de ses lointaines disciples. Une disciple du neuvième cercle, si ma mémoire est bonne... "
" - Du neuvième cercle ? Que voulez-vous dire ? " S'enquit la gardienne.
" - J'entends par là qu'à partir de moi, neuf personnes bien plus sages et plus savantes vous séparent encore de Stella. Je ne bénéficie pas de son enseignement, mais de celui d'une femme qui elle-même, le tient d'un autre qui lui-même... et ainsi de suite, jusqu'à la divine astrologue. A chaque étape, la pureté de son message s'étiole et se meurt. Viendra un temps où la mémoire même de Stella s'éteindra, et son étoile disparaitra... "
Incrédule, Abeth demanda pourtant au couturier de bien vouloir l'orienter vers celle qui l'avait instruit. Elle n'avait que cette piste, quelques maigres indices et pour tout témoignage, celui d'un mâle étonnamment informé mais surtout, surtout, étonnamment... brillant.
Un nouveau mois s'écoula, rythmé par des vagues de froid comme Kryg en avait rarement connues dans son histoire. Abeth mis sa recherche à profit pour progresser en astrologie, la mémoire encore riche des éclairages savants du vieux commerçant.
Finalement, elle rencontra une femme plus surprenante encore que ce dernier !
C'était une mendiante, anonyme parmi les anonymes. Abeth la dénicha dans un foyer collectif, perdue au milieu des indigents, mâles pour la plupart. Elle lui offrit un vin chaud à l'auberge, cherchant à capturer son regard que de longues mèches sales cachaient à sa vue. La crasse et les boutons lui mangeaient le visage et pour l'heure, elle n'avait encore rien dit. Lorsqu'enfin, la clocharde releva les yeux et s'exprima, Abeth en fut comme crucifiée :
La souillon était lumineuse, il n'y a pas d'autre mot. Elle rayonnait d'un savoir et d'une sagesse insondables, inépuisables, presque effrayants d'inhumanité. La gardienne en avait le vertige, ne sachant quelles questions poser, quel thème aborder. Il lui semblait que cette femme lui était destinée, à elle et personne d'autre, que cette rencontre était écrite et quelque part, déjà résolue. Qu'elle s'inscrivait dans l'ordre naturelle des choses.
Cette nuit-là, l'enquêtrice ne trouva pas le sommeil, et progressa dans sa compréhension du monde comme jamais.
Lorsqu'elle retrouva ses esprits, elle osa demander à la mendiante qui elle était... vraiment. Cette dernière lui confirma les dires du commerçant : elle n'était qu'une apôtre du huitième cercle. A partir de l'indigente, sept personnes bien plus érudites séparaient Abeth de l'objet de sa quête.
Plongée dans des pensées vertigineuses, désormais coupée d'une hiérarchie qu'elle ne comprenait plus, la jeune gardienne devenue bien savante poursuivit ses recherches avec fièvre. Au cours de l'Hiver et du Printemps suivants, en une longue spirale tant réelle que spirituelle, elle rencontra successivement les sept sages désignés par la femme :
Tous étaient pauvres, humbles, mâles ou femelles habitants des quartiers miséreux de Kryg.
Tous étaient sales, vivaient en ascètes, absolument indifférents à l'agitation des êtres et des choses.
Tous étaient tournés vers une étoile, Stella, et rayonnaient de sa lumière.
Et, à mesure qu'Abeth approchait de sa Coupe, elle croisait des disciples de plus en plus touchés par la grâce. Elle-même grandissait, se nourrissant de leurs édifiants discours.
Elle-même... changeait.
*** *** ***
C'est l'été.
Il fait chaud.
Au cœur de la crasse et de la misère du dispensaire, au vingtième jour de l'épidémie de peste qui décime les bas-quartiers maintenus en quarantaine, Abeth s'avance vers une alcôve dont les rideaux sont noués. Dans la salle aménagée en mouroir, on ne croise personne. Ici ne reposent que des gens condamnés, que la vie abandonne, que la maladie ne laissera bientôt plus s'échapper.
La jeune tydale n'a plus grand-chose à voir avec la personne qu'elle était, il y a presque un an révolu. Elle porte en elle la lumière de Stella. Peut-être est-elle la plus brillante, la plus éblouissante de ses disciples. Et, au terme d'une quête intérieure qui lui fait aujourd'hui tutoyer les dieux, elle vient boire à sa source comme un bateau revient au port.
D'un geste simple, elle écarte la lourde toile cirée et s'avance.
Stella est morte.
Peu importe son aspect, qui elle était. Abeth arrive trop tard. Sous ses yeux secs, une gisante repose à jamais.
Les paroles du vieux marchand résonnent dans l'esprit infini de l'ex-gardienne : Viendra un temps où la mémoire même de Stella s'éteindra, et son étoile disparaitra...
Alors, elle comprend !
Des pas claquent au sol. Des bruits de botte. Le dispensaire est investi par des soldates, nerveuses et même apeurées : et si elles tombaient malades ? Et si la peste les fauchait ? Mais les ordres sont les ordres...
Elles parviennent à l'étage. On leur indique le mouroir. Elles hésitent : l'air y est, dit-on, infesté d'humeurs mauvaises. La mort y tient concile, et celles qui entrent là n'en ressortent pas. Mais l'escouade n'est pas lâche, les matriarcales ne sont pas des couardes ! Leur capitaine retire son heaume, ajuste sa cape, pousse la porte et entre dans la salle maudite.
Elle voit une jeune femme étrange, debout au chevet d'un cadavre. La guerrière s'approche, va pour lui poser une main sur l'épaule, mais l'inconnue se retourne. Elle tient ses yeux baissés, mais son aura est telle que la Capitaine recule, comme violemment frappée au cœur. D'une voix qu'elle essaye de garder ferme, elle demande pourtant :
" - Nous recherchons... quelqu'un. Une astrologue. Qui êtes-vous ? "
Abeth relève la tête :
" - Stella. " »