« Pourquoi es-tu revenu, Orphelin ? »
Les notes qui s'égrainaient paisiblement sur le luth s'arrêtent petit à petit. Se perdent dans l'éther, sans écho.
Le Masque ne lève pas les yeux vers la silhouette qu'il devine à l'orée de son champ.
Il n'en a pas besoin. La voix lui est suffisamment familière.
« Pourquoi es-tu revenu ? Je t'avais dit de partir. Et de ne plus revenir. Jamais. »
Quelque chose se sert dans l'estomac du Pantin. Quelque chose, aussi dans sa gorge.
Quelque chose de terriblement amer. Une douleur continue. Une vieille blessure qui se réveille.
Ou bien...quelque chose d'autre encore. Qui n'a rien à voir avec rien.
Je suis parti, Nourrice. Je suis parti.
Sa réponse est brisée, puisant sa source dans un abysse sans fond.
Quelque part là où cette même douleur prend racines.
La voix féminine se fait plus douce, compatissante.
« Alors, dis-moi, pourquoi es-tu revenu ? Pas pour moi, j'espère. »
Le silence s'installe, meurtrier pour le Confrère. Pire que n'importe quelle lame.
Non, pour moi, Nourrice. Pour moi.
Umbre entend, il répond. Mais il ne veut pas voir.
Il s'y refuse de toute son âme. Pour ce qu'il en reste.
« Qu'as-tu trouvé, mon enfant ? »
L'expression manque de le décomposer sur place par la tristesse.
Il se contente de perdre son regard dans le vide. Un vide nostalgique et absolu. Vide.
Et il serre les dents à s'en briser la mâchoire. Il chuchote, presque. Il siffle, comme un animal...
Rien.
Le mot s'est échappé tout seul. Et dans le même temps, lui a arraché la bouche.
Une sourde colère monte en lui, sans qu'il puisse réellement en expliquer les origines.
Je n'ai pas trouvé les chimères que j'étais venu chercher.
Mais d'autres se sont présentées à moi et ont ravivé une ancienne flamme que je croyais éteinte.
Il lui semble que l'ombre se déplace, derrière lui.
Mais il ne s'en soucie guère. Ce n'est pas le plus important.
« Quelles chimères étais-tu venu chercher, Umbre ? »
Bonne question. Question difficile. Il lui faut quelques secondes pour y réfléchir.
Secondes qu'il consomme aisément dans une perdition de pensées.
Des souvenirs, je suppose. Inconsciemment.
Ils sont bien mis au fond de la boîte. Et la boîte est fermée à clefs.
Nouveau silence.
« Aucune boîte n'est assez close pour toi, Orphelin. Un claquement de doigt et tu deviens invisible. Une ombre...
Un claquement de doigt, un tour de magie. Tu es devenu plus puissant qu'on ne pouvait l'imaginer.
Pourquoi te refuses-tu à entrer, alors que tu le pourrais très bien ? »
Le barde lève la tête et observe l'horizon devant lui. Les vastes plaintes d'Utrynia, la route et ses passants...
Les enceintes de la ville qui disparaissent dans leur courbe massive.
Parce que je veux que la boîte s'ouvre à moi.
Un autre silence. Plus lourd et long que les autres cette fois-ci.
Il tonne comme une sourde réprimande, venant de la dame elle-même.
« Tu es trop fier, mon enfant. Ou trop faible...
Est-ce ton orgueil ou ton désir de reconnaissance qui te pousse à vouloir cette absurdité ?
Je te l'ai toujours répété. Ce que ton coeur réclame est plus important que ce qu'exige ton esprit. »
Il sent un souffle chaleureux qui lui caresse la nuque.
Qui lui caresse l'âme, aussi, et force ses émotions à s'exprimer.
Une larme s'échappe de l'oeil gauche du Masque. Démente sagesse.
« Brave les interdits, Umbre. Brave-les pour ta propre Rédemption.
Comme tu l'as toujours fait. Comme tu le feras toujours. Fait ce à quoi t'a destiné le Tableau.
Tracer d'imprévisibles esquisses. Flamboyantes, panachées, artistiques... »
Le Pantin ferme les yeux. Et se remet à jouer.
Un visage est-il un masque de comédie posé sur la tragédie de l'âme ?