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Le Julung 15 Astawir 1510 à 21h07
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 | Penthésilée se présente au temple d'Ahsha de Korsyne à l'heure dite.
Un sage l'y attend. Il se nomme Signoles et enseigne la géographie syfarienne aux jeunes recrues. L'idée n'est pas tant d'apprendre les tenants et les aboutissants des grands principes qui régissent l'organisation physique de ce monde que d'identifier, au premier regard, ce qu'il convient d'appeler "mensonge" par rapport à la "vérité" du deuxième monde. Ce dernier n'a pas de géographie, et pour cause : on ne peut le circonscrire, l'enfermer, le corseter dans des cases bien délimitées qui permettent d'en faire le tour, fut-ce par la pensée. Le Rêve ne tient pas, même en résumé, dans un cours savant.
Lorsque le Pilier de Toh frappe à la porte de son bureau, la voix profonde du mâle l'invite à entrer.
Les deux neldas se saluent et se jaugent du regard : l'une est Vigie du Rêve, le plus haut grade qui soit dans son domaine. L'autre est une sommité, un puits de science, de savoir mensonger. Dans la culture du Haut-Rêve, il n'y a pas photo : le savoir prime sur le pouvoir. Signoles est grand, Penthésilée est toute petite. D'ailleurs, elle s'assied. Le savant fait de même. Il ne s'épuise pas en circonvolutions protocolaires bien longtemps et aborde très vite le vif du sujet :
-Vous voulez localiser de nouveaux sites d'implantations pour de futurs villages, c'est bien cela ?
- Oui, Arc'Rhon.
- Et vous me dites commencer à travailler sur des listes de gens qui seraient disposés à quitter la cité pour refaire leur vie dans lesdits villages ? Ce n'est pas une mince responsabilité, Vigie, que d'envoyer les nôtres s'installer loin des remparts efficaces de nos cités. J'imagine que c'est en rapport avec les préparatifs d'évacuation qui sont en cours un peu partout ?
- Oui, Arc'Rhon.
- Bien. Commençons par définir ce qu'est un village : il s'agit d'une communauté autonome de personnes, de quelques centaines d'individus au plus, regroupées dans un ensemble d'habitations suffisamment proches les unes des autres pour que des fonctionnalités précises puissent se mettre en place et perdurer en local. A contrario des villes, dont l'influence dépasse largement leur aire résidentielle. Ces fonctionnalités permettent à la collectivité ainsi définie de garantir à ses membres - individus ou familles, selon la culture considérée - de prospérer dans un cadre relativement protégé des aléas. Vous ne m'en voudrez pas de poser les bases ? Je vous rassure, nous quitterons vite le domaine théorique pour aborder sans ambages le problème du site.
- Euh... faites, je vous en prie.
- Il existe, à ma connaissance, quatre villages Hauts-Rêvants répertoriés : Karsten, Histyl, Viran et E'myon. Chacun a ses spécificités, mais ils se ressemblent sur l'essentiel. Bien évidemment, à la définition susdite sur ce que sont des villages, il faut nuancer en fonction des données vernaculaires. Nous pouvons cependant répertorier un ensemble de caractéristiques précises, nous dirons strictement liées au mensonge, dès lors qu'il s'agit de définir un site d'implantation. J'ai votre attention pleine et entière ?
- Bien sûr. Je vous écoute.
- Parlons déjà des critères fondamentaux. Votre site doit s'intégrer dans un environnement climatique, végétal et faunesque supportable, sur le plan de l'hostilité. Cela exclut d'emblée les paysages de collines, notoirement peuplés d'aberrations épouvantables, ou les marais, pour de mêmes raisons. Cela exclut la haute montagne, trop froide et trop ventée. En cas de doute, fiez-vous à votre bon sens, et posez-vous cette simple question : aurais-je envie de vivre ici ?
- D'accord.
- Votre site doit disposer d'un, ou de plusieurs, points d'eau : rivières, fleuves, lacs, ravines, dolines...
- Dolines ?
- Ce sont des dépressions de terrain circulaires que vous trouverez sur des plateaux, parfois des plaines, ou même en désert dans les couloirs interdunaires. La où la roche-mère est calc... mmhh... disons de couleur claire. Du genre crayeuse. On peut y trouver de l'eau, en creusant, sauf malchance... Pour les repérer, utilisez lal lumière rasante du matin ou du soir, en profitant d'un point haut qui vous donne une lecture élargie du paysage.
- Des dépressions circulaires. C'est noté.
- Votre site doit être en hauteur, à la fois pour éviter les risques d'inondation - songez que vous n'êtes jamais très loin de l'eau - et pour voir venir le danger de loin. A proximité des fleuves, ou de méandres importants, privilégiez les terrasses situées à l'extérieur de la courbe, sans vous mettre pour autant en surplomb.
- Euh...
- Les méandres, vous voyez ? Ces virages que les cours d'eau prennent, au long de leur cours ? Repérez les sites les plus hauts, proches de falaises. Vous serez hors de portée des plus hautes crues tout en bénéficiant de l'eau et de bonnes terres agricoles, puisque l'intérieur des virages - là où vous n'aurez pas construit - sera couvert de limons.
- Oui. Si vous le dites.
- Je le dis. Ensuite : votre site doit pouvoir se connecter rapidement à un axe de transport, pour ne pas se retrouver complètement isolé. Ce ne sont pas les routes qui manquent, sur Syfaria. A vous de choisir, en revanche, un chemin à peu près sûr...
- Ca n'existe pas, Arc'Rhon.
- Je m'en doutais. Dans ce cas, contentez-vous de la présence proche - disons quelques lieues au plus - d'une sente praticable. De la sorte, vos villageois pourront tracer une voie et se lier à d'autres communautés distantes. C'est important, Arc'Rhona.
-Très bien.
- Enfin, votre site doit pouvoir disposer de ressources alimentaires correctes : terres de qualité, environnement giboyeux, bois à disposition. Il vous faut des matériaux de construction, même si nous vivons sous des tentes : L'idéal est de s'installer sur des interfaces, afin de bénéficier de plusieurs atouts.
- Des... interfaces ?
- Oui. Des zones de contact : désert/plaine, mer/forêt, plaine/montagne, ce genre de chose. Des interfaces. Ainsi, en fonction des aléas, par exemple saisonniers, vous aurez toujours plus de chance de trouver d'un coté ce qui fera défaut de l'autre.
- Je comprends. Des interfaces.
Et tutti quanti. La discussion, non... l'apprentissage se poursuit, deux heures durant. Lorsqu'elle en ressort, Penthésilée a la tête farcie comme une panse de braxat à cuire. Mais elle a une idée précise - trop précise, même - de ce qu'elle doit chercher. Elle n'a pas pris de notes, c'est inutile : tout est enregistré. La nelda est une veilleuse rompue à l'exercice de mémoriser des Rêves. Cet exercice n'est guère différent.
Le soir venu, son tawhak harnaché, la Vigie quitte la ville.
Penthésilée
Vigie du Rêve
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