*** ***

*** La lumière était éblouissante.
Comme une spirale, elle tournait très lentement.
A sa périphérie, de nombreuses petites flammes de toutes les couleurs s'agitaient. Et également quelques flammes noires ou cramoisies. ***

*** Dangraal ressentait la chaleur. Celle-ci émanait du coeur de la spirale et irradiait dans toutes les directions. ***

*** Le spectacle était magnifique. Doux au regard, accompagné d'un murmure de béatitude.
Il se laissa porter par les ondes, voguant sur cette vision.
La crainte l'avait quitté. Il se sentait bien. ***

*** Seul, mais bien. ***

*** Mais cette quiétude ne devait pas durer.
Malheureusement.
Forcément.
L'atmosphère était perturbée, comme brouillée par un écran de chaleur
Quelque-chose était sur le point de se passer. ***

*** Mais dans cet univers sans dimension, Dangraal n'avait aucune idée de ce qui allait venir, ni d'où ça viendrait.
Il était immobile, suspendu dans cet éther.
Il attendait. ***

*** Le souvenir de la douleur intense qu'il avait subie dans le maelström onirique lors de la recherche de Dunthil le faisait se crisper. Il s'attendait à tout et à rien. jamais il ne s'était lancé seul dans une pareille expérience. Et le mélange de calme, de beauté, d'appréhension et de sourde menace déstabilisait ses sens. ***

*** Mais bientôt, un nouveau point de lumière apparut. D'abord insignifiant, il grandit très vite et surpassa toutes les flammèches présentes en périphérie de la spirale. Elle continuait à croître et très vite, il apparut qu'elle était à l'origine de la vibration de l'atmosphère. ***

*** Lorsqu'elle atteignit la bordure de la spirale de lumière, elle s'y faufila, comme un parasite, ralentissant le mouvement céleste. ***

*** Dangraal se retourna et derrière lui ne vit que le néant. ***

*** Ne sachant pas du tout si qui ou quoi que ce soit pouvait l'entendre, Dangraal lançait cette supplique vers la spirale de lumière, seule entité visible au milieu du grand rien. ***

*** Doucement, il se rapprochait, attiré par le coeur lumineux. Il s'approchait encore... de plus en plus vite. ***

*** Etait-ce le fait de s'être approché jusqu'à pouvoir pénétrer le coeur de lumière?
Toujours est-il qu'il lui semblait que le mouvement céleste s'était presque interrompu.
De la lumière parasite émettaient maintenant de formidables éclairs.
De plus en plus forts, de plus en plus violents.
Ils envahissaient les bras de la spirale, tentant de les remonter jusqu'au coeur de lumière. ***

*** Ce coeur justement qui battait. Dangraal le sentait maintenant. Et il pouvait y distinguer une minuscule tache mouvante. Il s'en rapprocha encore. ***

*** ***

*** Le rédempteur avait maintenant les yeux fixés sur cette... cet embryon... ***

*** ***

*** Et il grandissait. Il grandissait vite.
Quelque-chose allait naître au sein de cette tourmente. ***

*** Les métamorphoses se succédaient sous ses yeux. C'était d'une beauté... Dangraal en oubliait la peur, les dangers, les attaques, la mort... ***

*** ***

*** Il regardait et ne sentait pas que les éclairs parasites commençaient à lui lécher le dos. Ses poils étaient électrisés et se dressaient le long de son échine. ***

*** Ce qu'il ne pouvait pas voir non plus, c'est que la spirale avait commencé à tourner lentement dans l'autre sens. Elle était comme aspirée par la lumière qui était devenue monstrueuse. ***

*** Il se sentait attiré en arrière.
Des tentacules de lumière noire, fins comme des cheveux couraient sur son corps.
La sensations qu'ils laissaient lors de ces contacts était très désagréable. Ces petits picotements électriques qui plongeaient jusqu'aux os commençaient à engourdir ses sens.
Il chercha à les repousser, mais ils n'avaient aucune substance. Il n'avait aucune prise sur eux. ***

*** D'une façon bien dérisoire, il entoura le foetus de son corps, n'ayant trouvé aucun autre moyen d'empêcher les tentacules de l'atteindre. Ainsi offrit-il quelques secondes, quelques minutes de développement supplémentaire. ***

*** Mais les filaments le contournaient et s'insinuaient. Il ne pouvait pas les retenir. ***

*** Lorsque le premier toucha le foetus, quelque-chose d'extraordinaire se produisit. ***

*** ***

*** Le foetus émit ses propres filaments de lumière. Une lumière d'or celle-là. Ils se mirent rapidement à tournoyer autour d'eux, repoussant le parasite. Ils tournaient dans tous les sens de plus en plus vite et de plus en plus nombreux. Bientôt, Dangraal ne vit plus rien d'autre que ce mur lumineux qui le séparait maintenant des agressions des filaments. ***

*** Lui et le foetus étaient à l'intérieur ***

*** A l'intérieur d'un oeuf ***

*** A l'intérieur d'une bulle. ***

*** La tempête se fit ouragan. Mais l'oeuf résistait. ***

*** Au coeur de la perversion, un ilot demeurait. ***

*** Mais il était complètement isolé, perdu dans un océan de noirceur. ***

*** Soudain, le cri d'un bébé jaillit. Il déchira les étoiles et s'envola à travers l'univers. ***

*** ***

*** Le fracas était immense. Ce bruit horrible qui vous entoure de tous côtés.
Dangraal, malgré la protection de l'oeuf se sentait écrasé par ce vrombissement incessant.
Il ressentait l'incroyable pression qui tentait de pulvériser les parois.
Elles tenaient... pour le moment. ***

*** Il avait enveloppé ses bras maigres autour du foetus. Etait-ce pour le protéger lui ou pour rechercher sa protection.
Il semblait bien futile de rechercher l'aide d'un être à l'apparence si frêle. mais au coeur de la tourmente, Dangraal
agissait selon son instinct. ***

*** Puis le cri avait retenti. A la fois beau et effrayant. Toute la fragilité et la candeur d'un premier cri d'enfant.
Dangraal avait doucement desserré son étreinte. ***

*** Il tenait dans ses bras un mouch'tin nouveau né. ***

*** Puis le fracas s'estompa. Le fluide qui entourait leur refuge se figea tel une gangue de lave. La pression sur la paroi de l'oeuf était énorme. De sinistres craquements résonnaient. Tout mourait autour, tout se flétrissait dans un horrible tourbillon cramoisi. Mais le refuge résistait. Pour l'instant. ***

*** ***

*** Cet étrange silence, sourd, qui absorbait tous les sons, tous les froissements, les bruits de respiration, épuisait le peu d'optimisme auquel se raccrochait Dangraal. ***

*** Ils étaient coupés de tout, coincés dans cet espace restreint et oppressant. ***

*** Dangraal baissa ses yeux vers le mouch'tin. L'embryon s'était développé très rapidement. Et le mouch'tin grandissait tout aussi vite. Il avait un poil doré et très lustré, qui ondulait tel une draperie de soie. Il émanait de lui une douce odeur de sable chaud. ***

*** Le rédempteur le serra contre lui. ***

*** Il avait beaucoup grandi. ***

*** Il continuait à grandir. ***

*** Et bientôt il parlerait. ***

*** Et la voix enfantine s'éleva. ***

*** Dangraal en resta lui même sans voix, abasourdi par l'absurdité de la situation.
Il était seul avec cet être. Il avait tout sacrifié pour y parvenir.
Il avait appris toutes les langues vivantes du mensonge.
Mais il avait négligé l'apprentissage des anciens langages runiques... ***

*** Et personne ne pouvait l'aider. ***

*** L'enfant avait grandi. ***

*** Mais les connaissances linguistiques de Dangraal avaient stagné. Il avait pleuré et l'enfant l'avait regardé, sans comprendre. Que voulait cet être qui ne le comprenait pas? ***

*** Alors le temps s'était écoulé, indéfinissable. Deux êtres qui ne pouvaient se parler demeuraient ensemble. Et les yeux cherchaient à voir. ***

*** Cet épis sur le front, qui dessinait une petite montagne.
Ces fines rayures ocres, presque invisibles.
Les muscles du cou, saillants sur ce corps juvénile, tels des montagnes anciennes
Ces yeux profonds comme des lacs.
Ce poil soyeux aux mouvements aériens.
Cette odeur envoutante. ***

*** Envoutante ***

*** Le temps passait et la conscience de Dangraal sombrait. ***

*** ... ***

*** Il se réveilla! Il n'avait pas l'impression d'avoir dormi. A peine d'avoir cligné des yeux. Mais il fut ébloui par la lumière. Autour de lui, le désert s'étendait à perte de vue. Le vent sculptait les dunes sous ses yeux. ***

*** La chaleur était étouffante. Ses yeux s'accommodaient tout doucement. Et bientôt, brouillé par la brume et les vagues de chaleur, il aperçut quelque-chose dans ce désert. Quelque-chose de grand. Quelque-chose de vertical. ***

*** N'ayant aucun autre point de repère, il prit cette direction. ***

*** Et non loin de la tour, ***

*** Il marchait, seul, au milieu de ces ruines. Le soleil du désert avait tout desséché. Sous les attaques de la chaleur, du vent et du sable, tous les bâtiments s'étaient écroulés. Cet endroit était inoccupé depuis des siècles. ***

*** La cité avait dû être fastueuse. On devinait encore de fabuleux palais, reliés par de larges artères. Mais maintenant (quand?), elle était morte, sèche comme une pierre. Aucune trace de passage n'était visible. Il n'y avait pas la moindre ornière aux alentours. Les couches de sable s'étaient accumulées au fil des ans et rien si ce n'est le souffle majestueux du désert n'avait plus rien déplacé. ***

*** Dangraal déambulait sans but, écrasé par cette solitude. Il ne savait pas comment il était arrivé ici. Il ne savait pas ce qu'il y cherchait. ***

*** Soudain, après avoir tourné derrière un antique pilier, il se figea. ***

*** Quelqu'un se tenait là, devant lui. ***

*** Il s'agissait d'une femelle. Pas une nelda. Elle ressemblait plutôt à une tydale mais mesurait deux têtes de plus.
Dangraal cligna des yeux car la créature était habillée d'une longue toge d'un blanc écarlate. Et sa peau était d'une pâleur tout à fait inhabituelle pour une habitante du désert. ***

*** Elle le regardait, comme s'il avait été tout à fait naturel qu'il soit là. Elle l'attendait. D'ailleurs, elle n'attendit pas pour lui adresser la parole dans un nelda teinté d'un curieux accent. ***

*** Dangraal resta sans voix, paralysé par cette apparition. ***

*** Celle qui guide ceux qui cherchent... Encore faudrait-il savoir ce que l'on cherche. ***

*** Kvetha pouvait vraisemblablement lire dans les pensées car elle enchaîna: ***

*** Dangraal était perdu. ***

*** Kvetha reprit ***

*** Ne sachant quoi répondre, Dangraal obéit et se coucha à même le sol, comme un jeune loup sauvage. Il ne vit pas que dans le crépuscule, une étoile extrèmement brillante s'était levée au dessus de la cité. ***

*** Le lendemain matin, il était seul. ***

*** N'ayant plus rien à découvrir en ce lieu, il se remit en marche à travers le désert. ***

*** Peu de temps après son départ, le pilier émit une violente charge d'énergie, puis s'ouvrit doucement.
De la porte éclairée sortit
un nelda
nu et sauvage. ***

*** Il marcha toute la journée. Peut-être même plusieurs jours. Il était tourmenté par la soif, mais ne ressentait aucune faim. Sa peau se tannait de manière visible. Par Toh, il avait pris 20 ans! ***

*** Il marchait toujours et finit par apercevoir au loin une tour. Le même pilier que celui qu'il avait laissé derrière lui. ***

*** Non. Impossible. Il ne pouvait pas avoir tourné en rond. Il avait toujours suivi la même direction... Mais le désert est trompeur. ***

*** Le pilier était droit devant lui. Et il n'avait aucun autre point de repère. Il continua donc à marcher dans cette direction. ***

*** Oui, c'était bien le même pilier. Et au pied de celui-ci, une cité. Mais sur celle-ci planait une sombre aura. Un vent glacé soufflait en provenance de ses ruelles. Dangraal pénétra dans les murailles d'enceinte. Tous les murs étaient sombres, morcelés, recouverts d'une sorte de lichen noir comme la nuit. Et des ombres dansaient dans les recoins, comme des flammes sombres. ***

*** Il ne reconnut aucun lieu. ***

*** Jusqu'à ce qu'il arrive devant une maison. Sa maison. Elle était elle aussi recouverte de cette... moisissure. Mais il sut qu'il était chez lui. Korsyne. Il était dans Korsyne. Mais quel spectacle désolant. Le fier tribunal de Toh était en ruines. Les statues jetées au sol, les voûtes effondrées. De maléfiques lueurs rouges s'échappaient des ouvertures. ***

*** Et sur le porche se tenait Kvetha, souriante, comme si de rien n'était. ***

*** Le nelda tremblait violemment. Etait-ce le froid surnaturel? Etait-ce la peur, ou la colère?
Toujours est-il que son front se plissait et que les larmes lui montaient aux yeux. ***

*** Kvetha, elle, ne se dépareillait pas de son sourire énigmatique. Elle prit la parole. ***

*** Kvetha lui ouvrit alors la porte du tribunal, l'invitant à entrer. La nuit tombait et il était fatigué.
Il ne leva pas la tête en passant la porte.
Pourtant, dans le ciel, l'étoile flamboyante était à nouveau visible. ***

*** Lorsqu'il se réveilla, Dangraal ne reconnut pas l'endroit où il se trouvait. Des coussins, de longues tentures... Il sortit dans la lumière éblouissante du soleil. Il se trouvait en fait dans une tente typique du désert. ***

*** Mais autour, une luxuriante végétation s'était développée. Jamais Korsyne n'avait été entourée par autant d'arbres. Ils apportaient une agréable fraîcheur, une brise humide qui aidait le nelda à quitter les limbes du sommeil. ***

*** Où était-il maintenant. Il s'éloigna un peu et ne tarda pas à retrouver le pilier, toujours pareil, tel un phare autour duquel il pouvait tenter de mener son exploration. ***

*** La cité se trouvait à l'ouest. Mais il ne vit qu'un immense tas de gravats. Une vraie montagne barrant l'horizon. ***

*** Plus aucune trace de cité. Elle avait totalement disparu. ***

*** Dangraal entreprit de grimper au sommet. Il cherchait son guide, la mystérieuse Kvetha. ***

*** Elle l'attendait bien là haut, éblouissante dans son habit de lumière. ***

*** Dangraal, qui comprenait l'absurdité de sa quête, lui demanda ***

*** Elle lui répondit. ***

*** Et sur ces paroles, elle disparut dans un éclair flamboyant, se confondant avec la lumière crue du soleil. ***

*** Dangraal se sentait bien.
La température douce, la brise légère, le calme,
Tout concourrait à profiter de ce moment de répit.
Oublié le néant, oubliée la souffrance, oubliée la solitude. ***

*** Il redescendait de la colline, respirant à pleins poumon cet air pur.
Il ne savait pas que faire, mais il ne s'en préoccupait pas. Il était bien.
Il erra donc sans but toute la journée dans l'immense palmeraie. Il découvrit qu'elle était habitée par une vie foisonnante. Des oiseaux surtout. De toutes les tailles, de toutes les couleurs.
Des rongeurs et autres petits animaux batifolaient, peu farouches devant ce visiteur. ***

*** En fin de journée, il revint doucement vers la tente où il s'était réveillé.
Là , une douce musique vint lui caresser les oreilles.
Elle venait de... derrière la tente.
Quelqu'un jouait du cavaquinho.
Stupéfait, Dangraal fit lentement le tour de la tente. ***

*** Pendant ce temps, la nuit tombait, et l'étoile céleste se levait. ***

*** La nuit tombait et l'Etoile Céleste se levait, plus brillante que jamais.
Dangraal marchait toujours. Il contournait la tente.
Il eut juste le temps de voir un nelda gris jouer d'un instrument. Mais il ne put voir son visage. ***

*** Puis, le rayonnement enveloppa tout, noyant le décor dans une nuée blanche immaculée. ***

*** Et Dangraal se sentit arraché au sol, attiré par l'Etoile comme par un aimant. ***

*** Un son, un Songe... ***

*** ***

*** Une frêle lumière semble apparaitre et lier Sirilius au Rédempteur. ***

*** Il s'était élevé et la silhouette mystérieuse avait rapidement disparu. Seule une flamme douce resta visible pendant plusieurs minutes. La douce musique s'était rapidement évanouie et le silence de l'infini emplissait ses oreilles. ***

*** Il voyageait telle une comète. ***

*** Projeté, attiré, entrainé. ***

*** Il fonçait droit vers l'étoile, vers l'Etoile du Rêve. ***

*** Et quand il atteignit la lueur, la Cité Céleste s'étala devant ses yeux éblouis. ***

*** Il y pénétra en toute confiance, flottant entre les bâtiments transparents. Il se sentait chez lui. de retour après un très long voyage. ***

*** Encore et toujours, il était seul. mais cette solitude l'avait guidé jusqu'ici. Là où tout prenait un sens. Là où tout s'assemblait. ***

*** En fonction de la lumière, les runes apparaissaient ou disparaissaient sur les murs . Tous en étaient recouverts, comme un immense livre. Une encyclopédie offrant au voyageur tout le savoir et toute la beauté des mondes. ***

*** Faisant partie intégrante de ce décor, Dangraal ressentait un sentiment de plénitude absolu. Il avait l'impression d'être au centre de tout, là où tout trouve sa place. ***

*** La transparence des murs donnait l'impression que les runes flottaient dans l'air. En fait, Dangraal avait l'impression d'être au coeur d'une foule dense. Un foule de pensées, une foule de rêves. ***

*** Tous ces rêves étaient ici ordonnés et servaient de fondation à ces bâtiments faits d'éther. Ils étaient la somme de tous les savoirs, la somme de tous les apprentissages, accumulés au fil des âges par tous ceux qui rêvent. ***

*** Et c'était beau. C'était merveilleux. ***