Les Mémoires de Syfaria
Hors de toute région civilisée

Le voyage du trouillard matassin

Comme dit le proverbe : à vol d'oiseau, c'est tout droit
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Sujet lancé par Hohen
Le 09-12-1510 à 21h44
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Posté par Hohen,
Le 15-01-1511 à 09h08
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Hohen

Le Julung 9 Dasawar 1510 à 21h44

 
Ambiance

Depuis combien de temps suis-je parti ? Une semaine ? Deux ? Un mois ? J’ai l’impression d’avoir perdu la notion du temps. Pour un poussiéreux dont le chef de faction se nomme « l’Horloger », ça fait désordre.

Premier voyage en solitaire, et il ne se passe pas un instant où je regrette l’idiotie complète d’un tel choix. Cette symbiose aussi inconnue que révélatrice m’a ouvert de nouvelles portes. Restait à savoir si j’en étais à la hauteur. La Confrérie si riche, si variée, si diversifiée, carrefour cosmopolite chaotique, ne me suffisait plus. Je souhaitais voir ce monde dont je n’entendais parler que par l’intermédiaire des poivrots ou des marchands de passage qui franchissaient le seuil de la gargote où j’étais cuisinier. Avoir cette étrange créature, molle de son attribut, à mes cotés m’ouvrait de nouveaux horizons, repoussait mes limites certes pas très élevées. Et dépasser zéro, c'est toujours facile.

Alors patiemment, depuis un an que je suis symbiosé, je me suis efforcé à mettre ce temps à contribution, pour me préparer à cette idée farfelue de visiter chaque faction. Préparer est un bien grand mot. Chaque faction est un bien grand rêve. Être confrère n’ouvre pas toutes les portes, en ferment certaines également. C’est le cas de la terre de mes aïeules qui classe tout confrère comme persona non grata. Qui sait, dans quelques années, avec un peu de chance. Les différents villages semblaient plus souples sur les visiteurs de passage, peut-être essaierai-je en premier lieu là-bas. Alors, j'ai économisé pour me payer les ustensiles de tout bon aventurier qui se respecte et qui ne veut pas mourir dans le ventre de la première bestiole venue. La Confrérie des Six n'a pas besoin de moi semble-t-il pour l'instant. Le temps est à la reconstruction pourtant, je supposais que tous les bras seraient mis à contribution. Je n'ai pas à faire preuve d'initiative. Ce n'est pas dans ma nature, ce n'est pas mon rôle d'être pro-actif. Obéir oui. Réfléchir non. Alors, je me suis dit que mon absence ne serait même pas remarquée. Oh je pense que ma supérieure m'aurait donné sa bénédiction mais elle a du oublier que j'existais également. Sur le consensus, pour la première fois depuis longtemps, j'ose penser. Une phrase, trois mots, pas plus. C'est bien suffisant et même déjà beaucoup à mon sens. Mais l'idée de cette artiste excentrique, mon quasi opposée m'intéressait trop pour garder mon mutisme légendaire. Mais avant ça, avant tout ça, il me fallait me sortir d’un léger pétrin.

En fait, de deux pétrins. Le premier a un dard empoisonné gros comme ma tête, le deuxième est invisible, a des dents grandes comme mes jambes et vient de m’immobiliser. Je quittais l’environnement sécurisé d’Arameth –enfin plus tellement depuis quelques semaines– pour la rudesse du monde extérieur. Rudesse ou plutôt dangerosité. Je découvrais à mes dépens à quoi ressemblaient un jytryan et un smilodon cristallin. Adorables créatures pour ceux qui aiment, personnellement, j’éprouve un certain malaise à communiquer avec eux. J’ai aussi l’impression de mieux comprendre le sentiment d’un cochon devant un boucher qui affûte sa lame.

Pour ainsi dire, je ne fais pas le fier en cet instant. Les blessures ne sont pas trop importantes mais le poison et le froid qui parcoure mes jambes m’inquiètent davantage. J’ouvre un œil discrètement. La technique de faire le mort semble plutôt bien fonctionner. Peut-être n’ont-ils pas si faim que ça ? Que me reste-t-il d’autre à faire ? J’attends. J’évite de ne pas mourir bêtement et tout devrait bien se passer. Facile à dire. Doucement, je sors ma trousse de soin de sous ma cape et fouille à tâtons pour y sortir une bouteille d'alcool à 90°. Je serre les dents pendant que je cautérise quelques plaies ouvertes. Par acquis de conscience, je constate bien que je n'ai aucun anti-poison. Tant pis, il faudra faire avec. J'ai lu dans un bouquin que le poison pouvait durer deux bonnes journées et que l'immobilisation ne tenait pas plus d'une nuit. Je reprenais, bien malgré moi, conscience du temps. Savoir quand je pourrai partir et quand je pourrai mourir. Charmant. Les voyages forment la jeunesse...mon oeil.

J’ai mal dormi, allez comprendre pourquoi… Quoi qu’il en soit, j’ai la bonne surprise de constater au réveil que je suis encore vivant et libre de mes mouvements. Courage, fuyons. Je marche, ou plutôt devrai-je dire que je titube avec la frousse aux trousses. Je m’éloigne aussi rapidement que possible. Je marche pendant des heures avant de me réfugier dans une grotte pour la nuit. La nuit est froide, il neige. Quelle idée j’ai eu de partir en hiver au lieu du printemps. Décidément, je n’ai pas inventé l’eau tiède. J’ai tout mon temps, j’en profite pour calculer ma position. J’ai rattrapé mon itinéraire prévu, dans deux jours maximum je devrai sortir des montagnes. Si bien sûr je suis encore en vie d’ici là. Je m'endors dans cette grotte, désertée par son ancien propriétaire. Du moins je l'espère car sinon, je risque d'avoir une surprise pénible.

La plaine, certes plus plate, reste toujours mal fréquentée par endroits. Il n’est pas rare de croiser quelques créatures peu recommandables. J’ai aussi la chance de rencontrer quelques grosses boules de poils dont mon petit bestiaire insolite de la terre de Syfaria me raconte quelques histoires. Tisseurs de rêves et autres placides se laissent approcher facilement pour peu qu’on ne montre aucun signe d’hostilité. Ces créatures natives m’inspirent un certain amusement à les voir vivre leur petite vie au milieu d’autres rejetons plus ou moins vindicatifs. J’ai même pu échanger avec un tisseur du nom de Tok’ quelques tranches d’une viande inconnue contre une chanson confrère. Instant insolite, éphémère mais qui m’a enrichi. Même si au final, je suspecte cette viande d'être à l'origine d'un mal de ventre carabiné qui vaut bien un poison de jytryan.

Le temps passe encore. Je mesure le temps écoulé depuis mon départ à la longueur de ma barbe. Oh, je pourrai le mesurer à d’autres indicateurs. La date de mon dernier bain dans un petit village dont j’ai oublié le nom ou alors mes stocks de nourriture dangereusement bas. J’attends la nuit pour voir où j’en suis. Deux jours de marche, trois peut-être avant d’être à Farnya. La fin du voyage. De ce premier périple maladroit, inconscient et pourtant tellement vivant. Même si j'ai faillit mourir quelques fois.

Les deux jours suivants furent calmes. Une seule créature, amusante et un peu bizarre, un koprocle. Pauvre bestiole fléchée à vue alors que son visage grotesque prêtait davantage au rire qu’aux pleurs. Tant pis. Enfin au loin, j’aperçois la silhouette des hautes murailles de Farnya. J’envoie une pensée à mon interlocuteur pour l’avertir de ma présence et pose mon séant sur le coté de la route où il ne me reste plus qu’à patienter.


 
Hohen

Le Dhiwara 9 Jangur 1511 à 21h53

 
Ambiance

C'est un étrange sentiment qui s'empare de moi. La joie de retrouver les routes, de voyager à nouveau et cette tristesse de quitter un lieux si particulier qu'était la ville de Farnya. J'aurai aimé rester à la Fraternité encore un peu mais j'avais aussi ce besoin, ce sentiment de devoir repartir, de rentrer à Arameth. J'ai dans la tête une foule de souvenirs qui me donnent envie d'en avoir plus. Syfaria est un monde hostile, dangereux, sur le Déclin. Des évènements tragiques s'y produisent chaque jour, à chaque instant. Des villes détruites, des familles sur les routes, la peur, la tension, l'incertitude. Mais malgré ça, je me dis que le monde est beau. Beau pour un monde qui court à sa perte. Je suis ignorant de beaucoup de choses et j'aime cet état de fait. Il y a tant de choses à voir, de factions à visiter que je ne sais pas si je pourrai tout faire. Être dépaysé est une félicité disait un personnage dans un conte populaire. Tout ce que j'ai découvert à Farnya m'a émerveillé et c'est ce qui me pousse à continuer cette entreprise insensée. Visiter toutes les factions, continuer à poser sur ce monde un oeil candide, bien loin des manigances, des cachotteries et autres complots qui me dépassent et ne m'intéressent pas.

Le début du voyage retour est loin d'être monotone. Plusieurs attaques pimentent à leur façon mon parcours. Des créatures invisibles, d'autres beaucoup plus voyantes. Je n'ai pas l'impression d'être en danger pour l'instant. Et quelque part je comprends. Je suis sur une terre qui n'est pas la mienne, un territoire que je viole. Mais je ne fais que passer. Je me félicite, une fois n'est pas coutume, d'avoir pensé à m'équiper aussi bien. Quelques griffures, quelques bosses, un peu de sang qui coule mais rien de bien méchant. Je suis en vie et c'est l'essentiel. Je me force juste à marcher un peu plus vite. J'ai un peu moins peur de ce qui m'entoure mais je sais également que c'est la partie la plus facile du voyage. J'éprouve cette joie, quasi égoïste, à voyager seul, livré à soi-même sur une route taillée à flan de montagne. De ne troubler le silence que par le son de ses propres pas. Pour tromper l'ennui je sifflote une chanson de ma jeunesse ou prends le temps de faire une sieste.

Je ne réfléchis plus, je me contente de marcher jusqu'à ce que je trouve un bon endroit où passer la nuit. Je lève la tête vers une construction qui perturbe le paysage montagnard. Le pilier d'Oriandre. Je reprends mes esprits pour remarquer que je suis effectivement à coté de la ville. Silencieuse comme la mort qui l'habite, le vent vient siffler à mes oreilles. J'ai l'impression d'entendre des cris. Je dois rêver. Sur les hauteurs de la route, j'avise un petit renfoncement dans la roche qui fera office de gîte pour la nuit. Confort spartiate et hôtel des courants d'air, ça fera l'affaire. J'allume un petit feu et sors une galette de riz que je fais réchauffer.

Devant moi, le troisième soleil se couche. Je suis heureux.

*** ***


 
Hohen

Le Sukra 15 Jangur 1511 à 09h08

 
*** Concentre toi ou ta tête tombera.

En face de moi, mon père tient sa fauchelame à l'horizontale, prêt à frapper. Il est en position d'attaque, les jambes légèrement fléchies, pied droit en avant sur la pointe, pied gauche en retrait. Les deux mains sur la fusée de l'arme, son regard est aussi tranchant que l'épée. Je sais qu'il ne me décapitera pas, mais parfois j'ai un doute.

Cela fait plusieurs heures que nous nous entrainons. Le corps ruisselant de sueur, j'ai la vue qui se trouble. J'ai du mal à reprendre mon souffle et mon bras saigne. Rien de grave mais la douleur m'empêche de me concentrer, voir mon propre sang inonder la natte de paille me donne la nausée.

Apprendre l'art de la Danse du Matriarcat est quelque chose qui demande des années aux meilleures exécutrices d'une faction réputée pour son art de la guerre. Alors pour le bon à rien que je suis, imaginez la catastrophe que je suis. Cependant, mon paternel voyait ça comme la moindre des choses à me transmettre. A demi-mots, il reprochait mon éducation maternelle trop confrère, trop futile et pas assez rigoureuse. Je n'ai que quatorze ans et pourtant, je dois apprendre à protéger ma vie. Dans quel but, pour quelle raison moi qui sera probablement qu'un insignifiant confrère à qui on ne demandera que de faire la cuisine dans quelque restaurant ou taverne.

En un éclair, il se jette sur moi. Je n'ai pas le temps de le voir venir, à peine le temps de parer le coup mais la force de l'attaque me projette au sol. Je pensais qu'il ne m'attaquerait pas sur le dos mais je me trompais. Je roule sur le coté pour esquiver une nouvelle attaque, j'arrive à me redresser et tente de lui faucher les jambes. Mon coup est paré, une gerbe d'étincelles illumine la pièce. Je me fends sur le coté, essaye d'attaquer son flanc puis sa tête. Un sifflement, trop tard, son sabre va me fendre le crâne en deux. Tant pis.

L'acier matriarche s'arrête à un cheveux de ma tête, le geste est net et précis, je suis encore vivant.

Pour l'instant.

Si tu veux apprendre à bien vivre, apprends auparavant à bien mourir. ***


Ambiance

J'ouvre les yeux, je suis encore vivant. L'effluve d'Oriandre se retire dans son antre. Elle vient de m'attaquer. Le coup m'a envoyé voler plusieurs mètres plus loin. Combien de temps suis-je resté inconscient ? Pourquoi ce souvenir maintenant ? Même mort, mon paternel continue à me donner des leçons. C'est donc ça que vous voulez père ? C'est ça le message que je dois comprendre ? Vous qui n'avez pas résisté au Tark'nal, ai-je une chance contre ses engeances ?

Le choc m'a déstabilisé, sonné, je titube au milieu des montagnes, suivant vaguement la route. Je n'ai pas le temps de voir arriver le psurlon des sables. Ni le mégalithe de perversion. Ni l'assulter. Ni le gant d'acrimonie. J'encaisse sans broncher, sans crier, sans ciller. Je suis au-delà de la souffrance, en fait non, mais j'aurai bien aimé.

Je suis encore vivant, j'ai du mal à comprendre pourquoi et comment. Mais au final, quelle importance cela a. Je suis juste un mort en retard par rapport à mes ancêtres. Un sentiment s'empare de moi, celui de la volonté. La volonté de survivre. Je n'ai rien qui m'attends à Arameth, rien n'y personne hormis mes corvées serviles. Mais j'ai envie de continuer à vivre. J'ai un monde à découvrir et si je dois cracher du sang par hectolitres, alors je paierai mon tribut.

Je passe près d'une journée entière à me soigner les plus grosse plaies. A mon doigt, un anneau de régénération. Ca ne fait pas de miracles mais ça peut pas faire de mal me disait le vendeur sur le ton de la confidence. Toujours ça de pris je me disais. Dans mon sac, les potions que j'avais acheté à Farnya. Mais je ne sais quelle mouche me piquait, je décidais que je n'aurai pas besoin de tricher pour passer ce rideau de monstres.

Le lendemain soir, je rassemblais tout ce qu'il me restait d'énergie et préparait une course d'anthologie. Je dois avoir une épaule démise, une cote fêlée, une blessure quelconque à la tête. Mais du moment que j'avais mes jambes, le reste était sans importance. Je doute que mes estimées collègues et supérieures du Luth aurait pu reconnaître mon visage transformé par la détermination et le sang. Mes origines matriarcales prenaient le dessus.

Je levais la tête vers le ciel nuageux. La lune rouge, mauvais présage pour voyager. Tant pis. Patiemment, j'attendais qu'un nuage couvre Drajl. Camouflé dans les ténèbres, je pris ma respiration et fonçait à toute vitesse vers le nord-ouest. Un mégalithe, un gant d'acrimonie, un psurlon, un khalitzburg. Le premier bruit et c'était fini. Je perdis toute notion du temps, continuait à courir avec la mort derrière moi, concentré vers ma survie, je m'arrêtais de courir lorsque le premier soleil se levait. Epuisé.

Mes pieds s'enfonçaient dans le sable. J'étais de retour dans le désert. Je m'écroulais presque aussitôt de fatigue, le coeur prêt à sauter de mon torse.

Un mirage au loin, une vision éphémère, celle de mon paternel. La fatigue sûrement.


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