Les Mémoires de Syfaria
Hors de toute région civilisée

Trois points en suspension

Chapitre de conclusion
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Sujet lancé par Aliundil
Le 11-02-1511 à 17h52
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Posté par Aliundil,
Le 11-02-1511 à 17h52
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Aliundil

Le Vayang 11 Fambir 1511 à 17h52

 
***

Hors de toute région civilisée...



Il ouvre les yeux et son rêve prend fin.
Un rêve qui semble avoir duré toute une vie.
Des noms, des visages, des obligations. Des déceptions aussi.
Mais le réveil dissipe déjà les brumes du sommeil et tout devient réel autour de lui.

Dans la poussière et l’abandon il découvre qu’il n’a jamais rien cherché d’autre que ce qui gît ici.

Il se lève et inspecte son corps avec soin. Pas de tatouages, pas de barbe, des cheveux plus longs. Tout va bien. Curieuse impression que celle de se retrouver soi-même. De s’appartenir à nouveau. Ainsi donc, ravi, pour la première fois depuis longtemps, il sourit.

Il promène ensuite son regard sur ce qui l’entoure et hausse un sourcil, impressionné. La structure est fantastique, ses proportions démesurées ; et que dire de cette… de ce… oui, qu’en dire ? Comment l’appeler ? Devant lui s’expose une somme de connaissances encore inconnues, des mystères dépourvus de mots pour les expliquer.

Il était professeur.
Il redevient soudain étudiant. Existe-t-il plus formidable excitation ?

Il n’a jamais éprouvé le besoin de toucher pour comprendre – sauf une fois mais elle lui a brûlé les doigts. Et pourtant, le voilà qui caresse les murs avec fascination et douceur dans l’espoir de déceler quelque chose dans la texture du bâtiment. Quelle merveille. Quelle merveille !

Il lève les yeux vers le plafond, découvre sa profondeur et ricane comme un enfant. Respect et crainte se mêlent dans la contemplation.
Le spectacle est-il si exceptionnel ? Sans doute que non mais pour lui cela représente l’apogée d’une carrière, le paroxysme d’une vie, le point culminant d’une destinée… Tout ce qu’il a toujours voulu, tout ce qui l’a toujours motivé pourrait bien être concentré ici, entre ces murs, loin de tous, au calme.


Loin de tous ?


Au calme…


Il se détourne pour faire quelques pas vers la sortie. Hésitant, regard bas. Une douzaine de mètres seulement le séparent d’une porte monumentale qu’il reconnaît du dedans pour avoir souvent attendu au dehors le retour d’un être cher. Ses êtres chers.

Il se rapproche encore en plaçant des noms sur des souvenirs.

Qui sont-ils ?

Qui reste-t-il ?

Triste bilan.

Arthur Savile, tué une fois de trop.
Archess Ney, perdue dans le labyrinthe de sa voie.
Yeshal, disparu sans laisser de traces.
Hazimel, mort mais loin d’être enterré.

Puis il songe aux autres, à ceux qui sont là, à une distance ridicule, derrière cette lourde porte, dans un monde fait de rêves et de cauchemars.

Le Pantin, écrivant sa dernière farce.
Le Dandy, roulant sa clope de condamné.
La Mère, hochant imperceptiblement la tête.

Serphone, reflet ténébreux de son existence.
Krym, la droiture personnifiée.
Antiorn, subtile mélange de loyauté et de rébellion.

Dorian et Tara, sages piégés dans des corps d’enfants.
Edoar et Achara, élèves, mutins puis compagnons.
Oda Nobunaga, compère providentiel.
Agliacci, la… celle qui…



Agliacci.



Tous ces gens ont-ils besoin de lui ?



Non.



Ils n’ont pas besoin de lui, pas besoin qu’il soit à leur côté, pas besoin de savoir ce qu’il fait ni ce qu’il devient. Il est mort pour la première et la dernière fois. Cela répond à la question en y mettant un point final. Après toutes ces années il estime avoir le droit de penser un peu à lui, de se consacrer pleinement à son projet initial. Que leur doit-il en fin de compte ? Plus rien, il a déjà fait bien assez pour le compte de la Confrérie.

Pour le bien être d’Arameth, il a rétabli l’ordre dans une Horloge et combattu la tyrannie au sein de sa propre cité. Pour renforcer la Confrérie, il a écrasé les autres factions, retrouvé plusieurs des Six et noué stratégiquement des relations avec certains des plus beaux esprits de l’île. Pour qu’on respecte sa faction, il a fait taire les prétentieux comme Loïa, mouché les imbéciles comme le Matriarcat, réduit au silence les incapables qui ont bafoué sa loi. Par symbole, il montré à tous que de « simples marchands » valent mieux qu’une armée d’abrutis casqués.

Voyez le Tark’Nal ? Non, voyez Arameth.

Mais plus encore, pour l’avenir des siens, il a retrouvé "l'Horloger" et ouvert une porte qui, sur le Temps, est restée trop longtemps fermée.

Il a servi la Confrérie, parfois au grand jour, parfois dans le secret, mais toujours pour garantir son succès. Et qu’en est-il aujourd’hui ? Sa faction est de loin la plus grande d’entre toutes, la plus crainte, la plus haïe. La plus respectée malgré tout.
Ses opposants en sont réduits à utiliser la violence pour essayer de se donner une contenance.
Ils abattent leurs lames pour tenter d’exister – quel drame.

Allons, bébés, voici une épée en bois pour que vous vous amusiez.
Laissez donc les grandes personnes décider à votre place.

Le philosophe n’a-t-il pas dit que la voie du sabre est la voie de l’incompétence ?




Trinité soupire et secoue la tête lentement.




Il a fait bien assez.
Haï ou aimé, il a fait ce qu’il devait faire sans jamais se remettre en question. Pour quoi faire ?
A la base homme de lettre il aura, finalement, surtout été un homme d’action.

Souriant avec douceur, il s’éloigne de la porte, mains dans le dos, pour plonger dans les entrailles du bâtiment.
Son tombeau, son temple, sa prison.
Il n’a plus son sempiternel carnet avec lui, plus de crayons pour griffonner.
Son Mou est loin.

Mais tout cet attirail lui a-t-il seulement servi un jour ?
Ultime réponse en trois mots :


Pas du tout.




***


Se suffire, c'est être puissant.

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