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Le Merakih 6 Astawir 1511 à 22h19
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| Petites heures du matin, grosses heures de la nuit.
Antiorn se lève avant le chant du coq.
Nouveau poste, nouvelles responsabilités.
Au moins son prédécesseur aura laissé les choses dans l'ordre.
Une bassine d'eau froide plus tard, le voilà dans les cuisines où le cuistot à moitié endormi n'a pas trop l'air d'apprécier sa présence. Une théière et quelques tartines plus tard, le voilà dans les entrepôt en train de contempler l'inventaire et les cahiers. Si les choses sont on ne peut plus en ordre, on ne peut pas dire qu'elles roulent autant qu'elles le pourraient.
De retour à la salle commune pour la fin du petit déjeuner de la population du comptoir, le Blanc Nelda, qui n'est apparu que la journée précédente, se présente devant tous et convoque chacun à diverses réunions auxquelles il assigne une heure précise. Du même coup, il fait connaissance avec Rhédoine Mailloux, le tydale apparemment sans émotion qui sera son bras droit.
Aurore
Réunion avec le responsable des entrepôts pour comprendre les routines d'arrivage de marchandises en provenance d'Arameth et celles en provenance des mines de la région de Lerth. Prise en note des témoins à contacter pour passer de nouvelles ententes. Déplacement à Lerth pour visiter les marchands et se faire connaître.
Retour pour le déjeûner.
Déjeûner:
Deux galettes de sarasin et une demi-théière durant la réunion avec le prévôt Nabil Antaki, responsable de la sécurité du fundeq. Réunion courte, la région est paisible et les locaux, aimables.
Suite au déjeûner
- Réunion avec le responsable des comptes courrants. Revue de la comptabilité des douze derniers mois. Les dossiers sont classés dans un ordre impeccable, aucune irrégularité n'est à signaler.
- Visite des infrastructures. Quartiers des gardes, geôle, écuries, dortoires des caravaniers, ailes des domestiques, puit, jardins, potager, alouette...
- Prise de possession de son bureau. Réaménagement mineur du mobilier.
- Communication mentale avec le chambellan des caravanes.
- Rencontre avec un marchand mécontent de ses coupons de kes maedh... kesh madeh ? khesh mahed ? Bref, mécontent de ses ballots de laine animale.
- Dégustation d'un vin considéré pour l'importation vers Lerth.
- Prise de contact avec Esosh, maire symbiosé de Lerth.
Dîner
Repas servi à son bureau. Le nouveau directeur de comptoir mange dans le silence total.
Soupir.
Et la journée n'est pas terminée...
N'est impossible que ce à quoi on se défend de rêver...
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Le Matal 17 Manhur 1511 à 00h38
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| Petites heures du matin, grosses heures de la nuit.
Achara se couche après le chant du coq.
Nouvelle cité, nouveau monde à explorer.
Et parce que tout commence au crépuscule, y a passé la nuit à s’égarer.
Elle a rejoint la Miséricorde du S’sarkh avant l’aube, se glissant dans les ruelles vides comme une ombre ténue. La nuit tous les chats sont gris. C’est en tout cas, ce qui se dit. L’adage se vérifie alors qu’elle pénètre discrètement dans la grande salle de l’auberge, à cette heure encore vide, l’âtre depuis longtemps éteint. Le félin surgit de la pénombre et, sans même daigner lui accorder un regard, profite de la porte un instant entrebâillée pour se carapater.
Elle retient un sursaut, laisse échapper un éternuement. Insensible à l’allergie de celle qui vient de la passer, la porte se referme doucement, sans un bruit. C’est à pas de loups qu’elle se dirige vers les escaliers qui mènent aux étages et à sa chambrée. Devant la porte des cuisines, elle hésite. Se souvenant d’une autre aube et d’un petit déjeuner. Mais le temps a passé. Piller maintenant les cuisines n’aurait que peu d’attraits. Il y manquerait quelqu’un.
Aurore.
Elle dort.
Déjeuner.
Un œil s’ouvre. Se referme.
Elle se rendort.
Suite du déjeuner.
Un rayon de soleil, qu’a laissé s’infiltrer les persiennes, vient lui chatouiller le museau. Elle retient cette fois l’éternuement et ouvre les deux yeux. La chambre est zébrée. Lumières et ombres jouent sur les draps la partition des volets. Elle décide immédiatement qu’elle installera des persiennes dans son palazzio des canaux.
La suite est savamment orchestrée :
Le lever, incohérent, amas de draps et d'oreillers.
Le bain, très chaud, fragrances d’épices.
Le thé qu’accompagnent quelques biscuits et fruits frais, le tout saupoudré de comédie tragique.
Quelques lettres, une ou deux pensées.
L’esquisse d’une mélodie.
Vient le dîner.
Dîner.
Dans la grande salle de l’auberge. Elle y mange en bruyante compagnie : une troupe de Soupirs est sur le départ après avoir joué durant quelques semaines une pièce équilibrienne de sa connaissance. Cette nuit, c’est la dernière. Demain ils reprendront la route vers Syrinth. Le vin à beau être coupé à l’eau (représentation oblige) l’atmosphère est joyeuse, emplie de l’allégresse de ceux qui rentrent bientôt chez eux.
Il faut s’y attendre, elle est conviée à venir assister au Mystère. Elle décline poliment, arguant une précédente invitation qu’elle ne peut annuler. Ce qui est la plus stricte vérité. Son hôte seul ne le sait pas encore.
Quelques instants suffisent pour qu’elle s’enveloppe d’une cape épaisse et qu’elle franchisse l’espace dégagé qui sépare les deux bâtiments. Le fundeq l’accueille de sa bienfaisante chaleur, sa salle commune étrangement calme après l’agitation de l’auberge. Les lieux bénéficient déjà de la sérénité de leur nouveau directeur. Un doigt sur les lèvres, elle fait taire le valet venu s’enquérir de la raison de sa présence et se fait indiquer le bureau de celui qui fut jusqu’à il y a encore peu son Artiste. Si elle peut lire de la réprobation dans le regard du tydale qui la guide jusqu’à la porte du Blanc Nelda elle n’en a cure : la chambellance lui permet d’être fantasque, elle ne va pas s’en priver.
Elle attend que le tydale disparaisse pour prendre la mesure de la porte qui lui fait face. Bois sombre vernis et poignée de cuivre brillante. Une jolie porte. Simple, fonctionnelle, parfaitement entretenue. Elle jurerait qu’elle ne produit aucun grincement, les gonds huilés quotidiennement. Une porte comme ça, nul doute qu’elle ne résonne remarquablement.
Elle n’y résiste pas.
Toc Toc Toc
Le son est parfait.
Sourire.
La journée ne fait que commencer.
Voudriez-vous me dire quel chemin je dois prendre pour m’en aller d’ici ?
- Cela dépend de l’endroit où tu veux aller, répondit le chat.
- Peu importe l’endroit… dit Alice.
- Dans ce cas peu importe la route que tu prendras.
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Le Julung 19 Manhur 1511 à 00h19
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| Elle s’incline à son tour, se pliant avec grâce à leur jeu favori.
Monsieur le directeur…
Son sourire en dit long. Mutin.
C’est fort aimable à vous de me recevoir si vite.
Si la formule de politesse est destinée au secrétaire, le clin d’œil est réservé à son double opalin.
Mais ne vous donnez pas la peine d’ajouter pour moi un couvert. J’ai déjà eu le plaisir de dîner à l’auberge. En revanche, je ne refuserais pas un verre… Il nous faut trinquer à votre nomination, n’est-ce pas ?
Elle attend que la porte se ferme pour prendre la mesure de la pièce. Et c’est avec une curiosité non dissimulée qu’elle s’avance dans le nouveau domaine du Blanc Nelda. Elle y retrouve les objets du quotidien dont elle sait qu’il aime s’entourer, ainsi que nombreux autres éléments inhérents à sa fonction, sans aucun doute déjà présents dans le bureau du temps de son prédécesseur. Le lieu est plaisant. Les vastes fenêtres laissent présager une agréable luminosité tandis que la bibliothèque regorge de chefs-d’œuvre de comptabilité. L'ancien Artiste, ex-Chambellan des caravanes n’y a pas encore apposé sa marque mais ça ne saurait tarder.
Elle se tourne finalement vers son hôte un léger sourire aux lèvres pour répondre enfin à sa dernière remarque.
Voyons, je n’allais pas te laisser seul affronter les affres d’une première journée parmi tes dévoués subordonnés. Sans compter qu’il y a surement une cuisine à visiter aux heures les plus sombres de la nuit… Je serais très déçue du contraire, tu t’en doutes.
Achevant son exploration, elle s’installe confortablement dans un des sièges qui parsème la pièce.
Son visage a repris son sérieux. Son regard est incisif.
Tu n’as rien mangé. La prise de fonction s’annonce-t-elle plus ardue qu’escomptée ?
Non pas qu’elle se fasse de l’inquiétude à son sujet. Mais elle sait qu’il est certaine journée où l’esprit comme le corps sont las des tâches encore à accomplir et où il fait bon partager le poids de ses pensées afin de mieux pouvoir les alléger.
Voudriez-vous me dire quel chemin je dois prendre pour m’en aller d’ici ?
- Cela dépend de l’endroit où tu veux aller, répondit le chat.
- Peu importe l’endroit… dit Alice.
- Dans ce cas peu importe la route que tu prendras.
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Le Matal 24 Manhur 1511 à 20h17
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| Regard vers son plat intact qui trône sur une pile de papiers.
Les premières journées seront les plus pénibles. J'ai bon espoir d'établir rapidement un système où il me sera possible de déléguer et m'adonner aux recherches qui nous ont amenées à Lerth en premier lieu.
Son regard se fixe au sien, suppliant.
Moi qui m'étais juré de ne plus jamais me retrouver derrière un bureau... me voilà le dindon de ma propre farce !
Puis son visage reprend un une contenance.
Je te dois des explications, Achara. Ou si je ne te les dois, je tiens à te les donner.
Un ange passe, on cogne à la porte et un domestique s'introduit dans la pièce, bouteille en main, et sert deux verres extraits d'un vaisselier qui orne le bureau du directeur puis laisse la dîte bouteille sur le mobilier avant de disparaître avec moult courbettes. Antiorn désigne un fauteuil à la chambellan des Arts alors qu'il pose son scéan sur le coin de son bureau en face d'elle en faisant tournoyer le nectar vermeille dans sa coupe.
Sans préambule aucun, sans toast (il y en aura bien un avant la fin), il se lance.
Tu dois bien te douter des raisons qui m'ont poussées à intégrer le Terreau.
Les Umbre, Jemori, Dorian et Aliundil sont dispersés aux quatre vents comme des cendres froides.
Muets, invisibles et, qui sait, peut-être même trépassés ou pire.
Leur quête ne doit cependant pas tomber dans l'oubli.
C'est là une croix qui doit être portée. Et c'est pour éventuellement suivre certaines pistes que j'ai quitté le Luth. Tout comme ton frère d'ailleurs. L'arborescence de nos chemins futurs n'en sera que plus vaste si nous occupons plusieurs horloges.
Un instant le Blanc Nelda semble perdu.
Tant de non-dits,
Tant de suppositions et de chimères dans le noir.
Tant d'ombres et de suppositions.
Il s'était imaginé en avoir long à palabrer pour se vider les tripes.
Il se rend compte maintenant que les mots n'allègent en rien le poid qu'il porte.
Qu'ils sont inutiles.
La bouche légèrement ouverte, il tente désespérément de conjurer une phrase de plus.
Juste une... un petit effort ... une toute petite phrase...
Rien.
Soupir.
Silence...
Dis-moi Achara... chassons-nous toujours des chimères ? Faisons-nous toujours voler l'impossible en éclats ?
N'est impossible que ce à quoi on se défend de rêver...
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Le Luang 20 Jayar 1511 à 22h39
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| La nouvelle arrive alors même qu'il allait porter un pruneau bien cuit à sa bouche, cueilli à même son plat, du bout des griffes.
Le dit pruneau reste suspendu quelque part en l'air, embroché au dessus de la bouche béante du blanc nelda.
Ce dernier sourcille et fige un bref moment.
Ceci est imprévu...
Le pruneau chute et disparaît derrière les crocs du directeur de comptoir.
Alors tu t'engouffres sur le même chemin que ton frère...
Cela aurait pu être prévisible…
Il se demande même pourquoi l'annonce le surprend. Son faciès affiche une mine inquiète mais résolue. Bien entendu, il n'aime pas du tout l'idée qu'Achara se mette à fouiner du côté de ceux qui chuchotent (et empoisonnent) dans l'ombre. Il met cependant en veilleuse ses réflexes qui voudraient bien tenter de la raisonner afin de la protéger. Il la connaît trop bien pour tenter. Et la respecte trop pour la traiter comme une demoiselle en détresse.
Ne crois-tu pas qu'un lien avec le Luth pourrait s'avérer plus qu'utile ? Oh, je ne dis pas que cela doit absolument être toi, mais si nous pourrions rester très près du prochain chambellan des Arts, nous pourrions garder en main un des fils de la pelote. Je parle ici en partie du testament d'Alveck... et puis le Luth a toujours eu de bonnes oreilles...
Au fur et à mesure qu'il verbalise, ses traits semblent plus sereins. Son oeil pétille légèrement.
Et puis il y a cet entretien avec Batyias pour en apprendre plus sur la corruption et comment mettre Loïa hors d'état de nuire à la poussière pour de bon... et retrouver la trace du Poinçon... , ce qui n’est pas sans lien avec le testament d’Alveck je crois… et suivre la trace de Takamaka et du Limonaire... ce qui nous ramène aux Obsessions, au roi Vortex, à la Tour du Concile et au Grand Lac… sans oublier le morceau de ce métal étrange que je trimbale dans ma besace depuis des mois… un petit morceau de la Tour… Et une nouvelle donnée intéressante sur les gardiens des cités, gracieuseté de Bakean et des tydales du Matrarcat, je t’en tiendrai informé dans un instant. Et n’oublions pas l’Effluve disparue d’Arameth, et le mystérieux inconnu intervenu durant la bataille des faubourgs…
La pelote reprend forme. Péniblement mais elle reprend forme. Dans les brumes, Antiorn perçoit la direction qu’ils avaient pris suite à leur serment de faire mentir l’impossible et de saisir des chimères de leurs doigts. Une brise se lève entre ses deux oreilles. Une brise fraîche qui balaie les toiles d’araignée qui lui embourbaient l’esprit sans qu"il ne s’en rende compte.
Il a l’impression de se réveiller.
C'est pourtant simple.
Et il sait exactement pourquoi son esprit s'est assombrit, embourbé, assoupi.
Son regard plonge dans celui d'Achara, et si ce n'est la première fois, elle peut aisément déceler que quelque chose de différent s'opère. Ils son les deux penchants de la même âme. Ombre et Lumière, jour et nuit. Cela, il l'a bien vite saisi en la rencontrant. Ce qu'il réalise maintenant est à quel point son absence le diminue.
Il sourit.
Tendrement.
Il renaît.
Nous ne pouvons plus nous quitter ainsi Achara. Nous ne pouvons plus disparaître.
Ou alors je m'écarterai ou, pire, me disperserai comme du vent.
N'est impossible que ce à quoi on se défend de rêver...
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