*** Ca y était, ils étaient partis. Après de longues semaines de préparation, Akhavë était prête. Et ce matin, de bonne heure, elle avait attendu son compagnon de route devant les portes Sud de la ville. En passant dans les rues désertes à cette heure matinale, la jeune neldame avait humé une dernière fois les arômes épicés provenant du Shamesha, dont les travaux avançaient à vue d'oeil; puis, parvenue au marché, elle avait respiré les embruns marin charriés par le petit vent qui soufflait toujours aux abords du phare. Puis, gagnée par l'excitation du départ, elle s'était hâtée jusqu'aux portes, et avait envoyé une pensée à Vorondil pour lui expliquer le lieu de rendez-vous, histoire qu'il ne se perde pas.
Le tchaé était arrivé peu après elle; après une salutation amicale, ils s'étaient lancés sur le chemin. En croisant les panneaux de Jypska, Akhavë avait souri; et pressé le pas.
Korsyne, bientôt. ***

*** Et ainsi commençait le voyage avec Akhavë...
Je n'étais jamais allé à Korsyne de son "vivant", et maintenant je me demandais ce que j'allais y trouver.
Akhavë cherchait quelque chose là-bas.
Moi pas.
Je n'avais aucun but réel, si ce n'était me lier d'amitié avec la Nelda dont l'esprit m'intriguait.
Sur la route, j'essaye d'amener la conversation...
***

*** Peu de chances que ce soit possible, mais tant de choses peuvent encore arriver... ***

*** La neldame marchait, comme à son habitude, d'un pas vif et rapide. Elle s'amusait de la présence du jeune tchaé à ses côtés, enchantée de ses questions. ***

*** Sans réfléchir, elle s'était mise à parler, et fut la première surprise de ses mots. Un sourire confus et étonné vint ponctuer sa tirade ***

*** Elle regarda en avant, huma un instant l'air frais matinal. Jypska, derrière eux, disparaissait petit à petit. ***

*** La passion de la Nelda suivie du fait qu'elle tente de s'en excuser montre à quel point elle pouvait se montrer délicieusement sensible et agréable...
***

*** Mais seul il est clair que je ne pourrai rien faire... ***

*** Soulager sa douleur... C'est vrai, c'était la tâche première des Témoins. Akhavë se rappela des enseignements de Tomasin, et secoua la tête pour chasser ces pensées. ***

*** D'ailleurs, s'il se passait la même chose qu'à Arameth, les effluves en question risquaient d'avoir une drôle de tête absolument inédite...
Méditant un instant, elle ajouta: ***

*** Les souvenirs de la ville blanche, étincelante dans le soleil du matin. ***

*** La question trahissait l'impatience et l'envie d'Akhavë. ***

*** Puis, tristement... ***

*** Revenant à des questions me concernant : ***

*** Une pointe de regret se fait entendre là... ***

*** La neldame hochait la tête aux paroles du Témoin, mais l'impatience grandissait en elle...
N'y tenant plus, elle se tourna vers son compagnon de route et déclara d'un ton enjoué: ***

*** Sans attendre la réponse de Vorondil, elle s'élança au pas de course, suivant son instinct (et une bonne carte) pour s'orienter en direction de Korsyne.
Chez moi.
Ma maison...
***

*** Je fais un signe de la main à Akhavë qui prend de l'avance sur moi, et je marche lentement, évitant tant que possible les différentes créatures qui étaient sur la route...
La plupart des créatures ne faisaient que me blesser, mais j'avais le temps de me soigner et de m'éloigner.

Là, apparaissait une nouveauté.
Je ne l'avais pas vu.
Mais ça ne l'empêchait pas d'être là.
Un Khalitzburg.

Le premier coup me laisse chancelant, comme paralysé, mais je me lance un sort de régénération pour faire face.
Maintenant je me préparais à fuir dès qu'une opportunité se présenterait.
La créature semblait vouloir patiemment jouer avec moi.
Avant de me tuer.
Mais peut-être que son attente allait être ma chance...

Grinçant des dents, après avoir envoyé une pensée à Akhavë pour la prévenir, j'envoie rapidement une autre pensée...
Sur le consensus.
***

*** Une petite moue jaune, ronde, sautille à côté d'une neldame maigre au pelage clair, et à la chevelure blond pâle, qui marche sans la regarder. ***

*** Dialogue de sourdes...
Akhavë a perdu beaucoup de choses, dans le pilier de poussière. Ses vêtements, tout effilochés; ses pierres; un peu de force physique, qui la laisse plus vite haletante; et la mémoire. Ansi, chose particulièrement étrange, que la couleur de sa chevelure.
Et... la vue. Ses beaux yeux émeraude autrefois sont maintenant vides, la pupille sombre est voilée de ce gris opaque qui caractérise la cécité.
Topia la petite moue ne sait pas quoi faire, hormis veiller sur sa symbiosée et prier les Quatre, S'sarkh et la Dame réunis de lui rendre ses capacités.

Ceci a lieu quelques heures après la sortie du pilier, deux jours après l'attaque fatale du chiroptère. ***

*** Après un long, long, looooooong voyage... ENFIN !!!

Le pilier de poussière au loin. Oh, et... d'autres symbiosés.
Mais pas d'Akhavë en vue.
Suivre la route en direction du transport, c'est ça qu'elle avait dit ?

Une pensée est envoyée.
Je me repose un instant, le temps de récupérer après ce léger accrochage avec diverses bestioles du désert.
Assez heureux d'avoir survécu au final.

Ce fut long et pénible.
Mais Il était avec moi...
***

*** Elle avait marché, erré au hasard, sans réellement savoir pourquoi elle posait une patte devant l'autre; mais elle avançait, elle était vivante.
Aveugle, amnésique, mais vivante.
Et puis elle n'était pas seule, il y avait toujours cette... voix, là, dans sa tête... avec tout plein d'autres... Mais c'était contrôlable. Et étrangement rassurant.
Un nom revenait sans cesse: Akhavë. Peut-être était-ce le sien? ***

*** Jour 4. Topia entend le message du tchaë, et reprend espoir.
Elle sautille jusqu'à l'épaule de sa symbiosée, et lui explique: ***

*** La neldame hoche la tête. Elle s'est habituée à entendre parler la voix, mais pas à lui répondre... Et puis, ça lui ferait bizarre d'entendre le son de sa propre voix, sans rien voir d'autre que la lumière.
Elle s'arrête donc, incante un sort, et se remet à marcher en sens inverse.
Au moins, elle a conservé sa magie. ***

*** En voyant Akhavë, je m'approche d'elle assez heureux, mais méfiant.
La moue m'a prévenu qu'elle avait changé.
Je le comprends vite quand elle me demande qui est là...

Très vite je m'inquiète pour elle...

Elle semble aveugle et m'avoir oublié...
***

*** Je prends sa patte dans ma main pour la guider sur la route... ***

*** Elle a senti les présences près du pilier, elle l'a reconnu, lui aussi.
Et la voix masculine et jeune qui lui parle l'effraie, elle recule ***

*** Elle sursaute quand il prend sa patte, mais ne la retire pas. Topia lui explique, dans sa tête, que c'est un ami, et qu'elle doit le suivre. Perdue, elle est tellement perdue...
Elle hoche la tête, la gorge nouée d'angoisse, ses yeux vides fixant l'horizon, et marche à la suite de Vorondil. De toutes façons, ça ne peut pas être pire... ***

*** Bon... ça risque d'être long... ***

*** Plus facile à dire qu'à faire dans son cas je suppose...
Mais elle suit malgré tout.

Puis, près du pilier, je retrouve Dangraal à qui je m'adresse avec respect :
***

*** Chuchotant : ***

*** Toujours il recherchait l'isolement
Toujours il fuyait ses semblables
Cherchant dans la solitude et la méditation les improbables réponses aux tourments de ce monde

-- Présomptueux... --

Petit, défiguré, faible et aveugle
Peu doué pour les relations
Avare de conversation
Dangraal était vraiment le parfait contraire d'Akhavë, la blanche neldame

Et pourtant, toujours elle réapparaissait à ses côtés
Comme un songe, comme un gardien
Brisant sa solitude... et guidant ses pas dans la poussière.

Mais quelque-chose était différent
La flamme avait terni...
Et pourtant il la "voyait" beaucoup mieux.

D'un geste, il invita en silence Vorondil et Akhavë à entrer dans la fraîcheur et le silence du pilier où il s'était retiré depuis plusieurs jours ***

*** Le pilier, oui, elle l'avait reconnu. Comme si le fait d'en sortir par trois fois avait imprimé une marque indélébile dans sa chair, comme le sein de la mère immédiatement reconnu par quelque sens surnuméraire.
Le cinquième, dans son cas, remarque.

Et la présence du petit nelda, son aura charismatique, l'avait elle aussi enveloppée immédiatement qu'il avait posé son regard aussi vide que le sien sur elle. Souvenir d'une mélodie dessinée ensemble, souvenir d'un chagrin si lourd, si lourd, que même les notes de Dangraal n'avait su totalement l'apaiser - il s'appelait Dangraal... Et personne ne lui avait soufflé, elle le savait.
Elle se souvient de lui.

Akhavë entre dans le pilier et se place machinalement face à Dangraal, sans avoir besoin d'aide pour se guider dans l'obscurité floue qui est son univers désormais. Elle s'assoit en tailleur, un peu ramassée sur elle-même, un peu voûtée - elle naguère si fière.
Une pensée timide est lancée, à tout hasard; Topia sursaute et frémit de bonheur de constater que sa symbiosée est capable d'utiliser le don qui lui a été offert. ***

*** Demande incongrue s'il en est, pourtant ô combien essentielle dans le cas présent.
Des souvenirs grappés en masse se pressent au portillon de sa conscience, elle doit savoir avant de les laisser entrer. ***

*** La silhouette lumineuse qu'il devinait aisément s'était assise en face de lui et la timide pensée en avait émané.
La quiétude du pilier avait renforcé la vision qu'il avait de la nelda.
Comme si les murs séculaires les avaient plongés dans une obscurité nouvelle où sa perception serait augmentée. ***

*** Il sentait près d'eux la présence rassurante du tchaë qu'il avait croisé en arrivant aux abords de l'Etoile.
Vorondil.
C'est lui qui avait guidé Akhavë jusque là.
Il avait gardé le silence depuis leur entrée dans le pilier. ***

*** J'observais et écoutais, simplement, sans intervenir.
Akhavë semblait avoir changé instantanément - très légèrement, mais effectivement - à l'approche de Dangraal.
Intéressant.
***

*** Cette voix...
Elle la reconnaît, tout comme l'odeur du nelda. Les souvenirs se brouillent, laissant place à une mélodie entêtante, dont elle ne comprend pas les paroles mais pourtant les connaît...
Elle écoute encore, bercée par la mélopée dans sa tête; quand Vorondil parle, elle entend encore autre chose, un accent, une fragrance qui lui évoque... du blanc. Partout, du blanc. Et la mer....
Troublée par toutes ces émotions confuses, Akhavë ouvre la bouche, la referme.
Sursaute quand elle entend parler de "tuer". ***

*** Heureusement, Topia chuchote à son oreille qu'il ne s'agit que d'une plaisanterie, et les battements de son coeur se calment. Une blague ? Drôle d'humour. ***

*** Elle a parlé sans réfléchir, et réalise en le disant qu'elle pense effectivement que son état n'a rien de dérangeant, au contraire. Qui a besoin d'yeux quand seul le Mensonge s'y présente ? Non, elle est bien mieux ainsi.

A Dangraal, elle ajoute en pensée: ***

*** Le doute subsiste, tout de même. C'était qui, cette Akhavë ? Et puis aussi.... ***

*** Paroles et pensées se mêlaient imperceptiblement dans la conversation.
Seule l'absence ou la présence d'écho dans l'immense et vénérable bâtiment permettait de faire la différence.

Depuis l'apparition de la symbiose, les poussiéreux usaient à la fois de la parole et de la pensée pour communiquer.
Certains, plus baignés dans la méditation et le silence avaient pris l'habitude de privilégier cette dernière.

En tout cas, depuis qu'il avait perdu l'usage de ses yeux et ne voyait plus les mouvements des lèvres, l'expression des visages, Dangraal avait progressivement et imperceptiblement laissé de côté l'usage de sa voix.

Et déjà, Akhavë faisait de même...

Elle ne l'avait pas exprimé directement. Mais il l'avait clairement "entendu" dans ses pensées. A quoi sert la vue du Mensonge...

Il avait ressenti exactement la même sensation. Et c'est avec un léger sourire qu'il se souvenait avec quelle insistance la jeune esculape avait souhaité le soigner. Lui rendre la vue et guérir son visage meurtri.

Maintenant, le problème est réglé, elle ne peut plus voir ce visage qui la remplissait de tristesse et de pitié.




Les paroles, les pensées même, ne l'accompagnaient plus dans les moments importants.

Il posa machinalement les mains sur son instrument.

Les notes fluides s'élevèrent doucement. Il savait qu'elles atteindrait si pas le cerveau, le coeur d'Akhavë.

Le silence absolu accompagnait la mélodie Il se mit doucement à muser, sa voix se mélangeant parfaitement et de manière envoûtante avec le chant de l'instrument.

Puis il se mit à chanter.
A chanter à haute voix.
Comme il ne l'avait jamais fait.
Il se mit à chanter
A raconter Akhavë ***