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Elle cueille tranquillement les quelques baies retardataires.
Ces temps-ci sont relativement calmes. Les natifs de Jypska ont réussi à faire une place aux rescapés de Korsyne, et chacun reprend sa respiration - pas trop fort, de peur de réveiller quelque nouvelle catastrophe, ou un Rêvant, ce qui serait d'autant plus grave.
Les guerrières ont à faire, il faudra beaucoup de provisions pour cet hiver, et les environs proches de la ville commencent à manquer de tout.
Chaque jour, les cueilleuses et les chasseuses s'avancent plus loin dans la plaine, à pas de loup, pour ne pas revenir bredouilles.
Souvent, elles envoient Mraw'La encore un peu plus loin, histoire de ne pas trop la voir s'empêtrer dans ses mensonges lorsqu'elle revient après une journée de cueillette, les babines barbouillées de baies trop vite avalées, en jurant que non ! Par les Quatre ! Rien de ce côté là !
Elle vadrouille donc seule, et pour la voir rentrer avant que le soleil se couche, une de ses compatriotes lui a prêté une monture. Elle la traine derrière elle en laissant dans la terre humide de rosée de la route de grandes traces de pattes fatiguées.
Pfffouuu... Et les copines elles sont où ? Ca fait combien de temps qu'elle n'a pas de nouvelles de Penthésilée ?
Elle soupire de plus belle et continue sa route, les épaules bien rentrées dans son humeur noire.
Lasse, elle s'arrête près d'un buisson potentiellement remplis de fruits, qu'elle a déjà fouillé hier, mais enfin, personne ne le sait. Elle bidouille la longe de son cheval autour du feuillu, bouge les branches au cas où quelqu'un viendrait jeter un œil sur sa participation, se couche derrière et le museau entre les pattes :
Qu'est c'que j'peux faire... Chépa quoi faire...
Il faut très peu de temps, en principe, après ses pensées là avant qu'un léger ronflement se fasse entendre.
Mais le cheval, peu habitué, prend peur de ce bruit derrière le buisson, s'ébroue, sur la défensive, ce qui fait lâcher le nœud de l'attache qui le tenait. Et, une fois rassuré sur la non dangerosité du bruit entendu, à lui de gambader histoire de voir si l'herbe n'est pas plus verte un peu plus loin.
Le réveil d'une sieste est toujours dur, mais là, quand on a même pas le temps de s'étirer quelques fois, de refermer les yeux - oh juste quelques minutes - c'est terrible.
Et il faut courir, en cherchant dans la terre les traces de sabots de la monture coquine.
Clair comme le jour, une réalité lui cogne dans les tempes.
Elle ne-peut-pas-rentrer-sans.
Elle court.
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Le ridicule ne tue pas
- dit-on -
Et heureusement parce que sinon
On ne compterait plus ses trépas.
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