| Les longues heures d'étude à la bibliothèque de Lerth lui avaient rappelé quelques bons souvenirs. Il avait un temps réinvesti son vieux bureau, du temps où il se consacrait tout entier à la Transcience et à ses complexités métaphysiques. Du temps où il était un autre homme, avec un autre destin.
Les longues heures d'étude l'avaient aussi enfermé comme un moine dans la réflexion et les livres, entre les vieux murs de cet antique domaine du savoir syfarien. Les jours puis les semaines avaient passé et, petit à petit, les horizons, les paysages, le voyage et la route étaient venus le démanger au point de capter son esprit et de le désintéresser des ouvrages et de la pensée brute, abstraite et tortueuse.
Il savait qu'il n'était plus bon à rien, entre les lignes étroites de l'encre vieillie, quand il pensait à autre chose. Surtout quand il pensait au terrain et aux recherches qu'il pouvait faire à l'extérieur. Eveillé de sa torpeur, il avait appris sur le consensus que les siens, et d'autres, avaient pris la mer pour rencontrer Sa Majesté des Maux. C'était un Signe. Et il s'y connaissait, en Signes. Il devait, à sa manière, contribuer à cette odyssée. A défaut d'y participer.
Il savait d'expérience qu'on pouvait en faire autant sur le rivage que sur le navire - pour ainsi dire - en sachant où chercher et quels pierres soulever. Bien entendu, il n'était sûr de rien, mais on pouvait toujours essayer.
Et sa première réflexion l'avait amené à considérer le Matriarcat. Car le Matriarcat avait un savoir mystique unique.
Il n'était pas venu à Kryg depuis longtemps et il ignorait si les symbiosées de l'époque étaient toujours en activité, mais il trouverait bien une interlocutrice. Quant à savoir si il trouverait le type d'interlocutrice qu'il cherchait, c'était un autre problème. Au pire, il s'adresserait à une non-symbiosée. Mais cette option lui plaisait moins.
Dans le zeppelin Nemen qui l'emmenait à l'autre bout du l'île, il contemplait Syfaria sous ses pieds, pur joyau, avec ses montagnes, ses forêts, ses rivières et ses plaines. Palette de couleurs incroyables, du blanc à l'émeraude en passant au charbon et au bleu. Cette vision lui plaisait, le calmait, l'apaisait. De là, on ne distinguait pas les abominations, les monstruosités, les ravages des effluves et la douleur des vivants. Pour quelques minutes, il oubliait l'intolérable souffrance qui étreignait à chaque seconde cette île magnifique et son Dieu-Monstre.
Sous sa capuche ballotée par le vent, Diaspar souriait du sourire des bienheureux.
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