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Le Sukra 14 Astawir 1512 à 12h51
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| Nay était occupé à rafistoler son arc.
Il m'en faudra bientôt un neuf...
Ces dernières semaines, il avait passé le plus clair de son temps à s'entraîner en utilisant l’astuce offerte par Finghin.
Le directeur du Fundeq de Farnya réveillait en lui une forme de sympathie, ce qui était très rare chez Nay. Cela tenait probablement à ce qu'ils étaient dans la même situation tous les deux, retirés temporairement des affaires de la Confrérie alors que la grande majorité des poussiéreux se passionnait de nouveau pour les mystères de Syfaria.
Temporairement ? Nay n'en était plus sûr.
Cela avait commencé de façon anodine, il avait eu envie de rester quelques jours de plus à Farnya, alors qu'il n'avait plus rien à y faire. La pensée d'Eleidon aurait du lui indiquer le chemin du retour, leur affaire avait avorté et son interprète de fortune avait été rappelé d'urgence à Arameth.
Il avait commencé à s'entraîner, à courir, tenir des poses pénibles pendant des heures, tirer surtout. Beaucoup de tir, en cela Finghin l'avait bien aidé. Nay n'avait que peu de capacités sommes toutes et - tare gênante sur Syfaria - pas très diversifiées. Se cacher et frapper de loin était pour ainsi dire tout ce qu'il savait faire, même s'il le faisait bien.
Un premier jour, le lendemain. Puis une semaine avait passé. Puis deux, puis trois, quatre... Il ne savait plus, il ne connaissait même plus la date exacte. Devant ces murailles, bercé par la brise venue du lac proche, foulant un sol d'herbe rase, il était comme en dehors du monde. Ce qui n'était pour les autres qu'un point de passage, une halte avant une transaction, un complot, un combat ou une aventure au sens le plus privé du terme, était devenu pour lui un univers clos dont les frontières étaient la route, les murailles, le lac et l'ombre des montagnes. Sans même s'en rendre compte, la certitude qu'il avait de retourner à la Perle s'était estompée. Il avait créé une prison à ciel ouvert dont il était à la fois le geôlier et le détenu.
Ce qui ressemblait au départ à une simple pause avait révélé quelque chose de beaucoup plus profond, quelque chose qui couvait en lui depuis longtemps, très longtemps.
Mais ce jour là un évènement brisa les murs invisibles de la prison.
Qu'est-ce que...
De la musique. Il avait même oublié que cela existait. Un violon, plus précisément. Et cela changea tout. Car si Nay pouvait assimiler les silhouettes des voyageurs ou celle de Finghin a des éléments du décor, il ne pouvait pas y intégrer les sons qui venaient d'emplir l'air. Il posa son arc et se leva.
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Le Dhiwara 13 Manhur 1512 à 18h08
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| Le musicien a lâché quelques mots. Nay remarque d'autant mieux qui parle ou pas qu'il ne comprend rien à ce qu'ils disent.
Sa curiosité ne cesse de monter. Il a toujours été très curieux. Pendant toute sa jeunesse à Kryg, il a collectionné les réprimandes et punitions plus ou moins sévères pour s'intéresser à ce qui ne le regardait pas. Son naturel réprimé par le carcan dans lequel il vivait est revenu au galop dès ses premiers mois d'errance. A Arameth, tout et tous l'ont poussé à son paroxysme. Et puis il y a eu...
Pour l'heure, ce qu'il voit c'est que les Frères aiment boire, danser et faire la fête.
Mais cela n'a rien à voir avec Arameth. Il s'est longtemps senti mal dégrossi à côté des confrères nés à la Perle ou qui y vivaient depuis bien plus longtemps que lui. Tous ces gens du Luth maîtres des mots et des rythmes aux jeux desquels ils ne comprenait pas grand-chose... Petit à petit, tout cela s'était imprégné en lui. Il avait compris que l'état d'esprit comptait parfois plus que les convictions qu'on claironnait, ce qu'on faisait moins que la manière dont on le faisait.
De ce point de vue la plupart des Tchaë qui l'entouraient ne posaient pas de problème: ils étaient en train de s’enivrer en s'agitant et faisaient cela comme des lourdauds. Tout dans leur comportement dégoûtait Nay qui n'avait pourtant jamais été un citadin hautain ou un aristocrate. Le seul qui l'intéressait, c'était le violoniste. Un Tydale, comme lui. Mais pas un confrère, il l'aurait salué en reconnaissant son insigne. Il hésite à lui parler, ne sait pas trop comment engager une conversation avec quelqu'un en train de jouer. Il préfèrerait qu'ils soient seuls, il aurait été très intéressé d'apprendre d'où il venait et ce qui avait mené ses pas ici...
Qu'est-ce que je fais là en fait ?
Il pourrait s'en retourner d'où il vient mais il trouve cela absurde. Finalement le destin, le hasard ou quel que soit le nom qu'on lui donne, aide Nay à sortir de sa gêne: un des noirauds en train de danser lui rentre violemment dedans et le projette sur le sol.
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Le Luang 14 Manhur 1512 à 16h31
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| Le hasard voulut que la pensée de Vel Ihalgarm entre dans la tête de Nay un bref instant avant qu'elle heurte la terre gazonnée sur laquelle la petite fête improvisée se tenait. Et la symbiose fit qu'elle y resta imprimée, empêchant Nay de faire comme si la question n'existait pas, tandis qu'il se relevait.
Le Tchaë qui l'avait bousculé se redressait également et commença à l'invectiver dans sa langue comme si c'était de sa faute. Nay fit comme s'il n'entendait rien, cela marchait souvent. Un autre Tchaë rigolard voulut prendre le furieux par les épaules et le ramener dans la danse mais il le repoussa et empoigna le col du tydale en vociférant de plus belle.
Le visage par nature peu expressif de Nay, qui se satisfaisait actuellement d'un jeu de deux ou trois expressions à la persistance record, ne laissa en rien présager du solide coup de pied qui renvoya dans la poussière le Tchaë en colère contre sa propre maladresse. Cette fois une partie des regards se tournèrent résolument vers le Confrère, facilement distinguable. Nay tira de sa ceinture sa dague, et fixa son "adversaire" d'un regard qui voulait dire qu'il n'hésiterait pas à l'égorger sauvagement s'il tentait encore une fois de s'en prendre à lui. Ce qui était faux, du reste.
C'est à ce moment, avec son sens de l'à propos inexistant, que Nay décida de répondre à la question de l'autre tydale, de manière aussi symbiosée et donc silencieuse que lui:
Je suis de la Confrérie des Six, Prévôt Nay Saniden pour te servir. Je ne connais pas bien les gens du coin, tu as du le comprendre... Et toi, à quelle faction poussiéreuse appartiens-tu ?
Son tydale était rouillé et il le savait, il n'avait d'ailleurs pas mis grande volonté à l'entretenir.
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