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Le Merakih 2 Manhur 1512 à 22h13
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| Le désert offre à sa vue le long écoulement soyeux de ses dunes arrondies et soufflées par le vent. Comme il fait nuit, Agliacci ne peut pas vraiment se prévaloir d’être très à l’aise, niveau température. Cependant, elle ne se plaint pas et rien dans sa figure ne trahit son inconfort.
Il y aurait pourtant de quoi : le torse dénudé et entièrement recouvert de peintures orangées, elle ne fait pas franchement office de sage égérie. Pour tout dire, elle est occupée à danser follement autour d’un grand feu de camp, encouragée en ceci par une douzaine de caravaniers matissés d’étrangers qui se filent leur gnôle de pogne en pogne et tapent des pieds au son d’un violon qui se la joue tzigane frivole.
Il y a une autre danseuse avec elle, mais elle ne tardera pas à défaillir, Agliacci s’en rend bien compte. Faut dire que c’est un par un, qu'elle les a défié sur le champ de sable :
"Toi, acrobate ? T’as deux pieds gauches et une figure de ganache. Andromar se dandinerait avec plus de grâce que toi !"
"Alors, c’est ça qu’on vous apprend, dans votre faction ? Pas étonnant que vous soyez autant à débarquer ici…"
"A Arameth, on naît derviche, t’as aucune chance ! Tournée générale sur mon compte : de toute façon, c’est sûr que je vous le plie, ce bleu-là !"
Du coup, on a fait monter les paris et les pierres et sardoines se sont vite échangées. Mais ça, Agliacci s’en fiche : au fond d’elle-même, la folle Luthière en est convaincue, personne ne peut lui tenir tête. Alors elle s’est peinte et a commencé à tournoyer autour du grand feu – on dit souvent que « les flammes se tordent. » Jusqu’à ce qu’elle se lance dans sa dansante imitation, Agliacci ignorait à quel point cela était vrai.
L’artiste du Luth n’envisage qu’une chose tandis qu’elle frôle le brasier : l’épuisement total. Comme ça serait bien, de ne s’arrêter que lorsque son corps ne pourrait plus aller plus loin ! Peut-être qu’elle s’écroulerait, comme cette bravache de Loenne au second round, avec sa cheville foulée. Peut-être bien, ouais…et elle tomberait juste là, les yeux clos, dans le grand feu plein de joie qui bouillonne.
Mais pour le moment, là n’est pas la question.
Son adversaire s’arrête et, cisaillée de fatigue, en tombe à genoux. Gagné ! Elle-même sent ses muscles en feu qui la torturent alors qu’elle cesse sa danse, mais elle tâche de l’ignorer en se précipitant vers le premier venu :
Passe-moi la bouteille ! J’en ai bientôt fini, de ces amateurs aux chevilles molles…Et par les Six, qu'est-ce que j'ai soif !
Comme si c'était la dernière fois. La première fois.
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Le Vayang 4 Manhur 1512 à 18h47
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| Le spectateur lui passe la bouteille sans rechigner. C’est un nelda assez large et trapu, au museau écrasé et aux orbites enflées. Du Suaire, sans doute. Bagarreur, à en croire son oreille déchirée.
Pas mal, le numéro, petite, gronde-t-il. J’ai bien remporté trente sardoines ce soir.
*Pas assez pour moi*, juge la tydale mais elle se garde bien de la rouvrir.
Et t’en remporteras bien plus, si tu continues à miser sur la bonne personne, fait-elle avec morgue et assurance.
Pour toute réponse, le nelda éclate de rire et lui passe une large pelisse.
Attrape pas la mort, sinon c’en est fichu de ma fortune.
Personne ne fait mine de lui chercher des noises et le contenu – au demeurant piquant et âcre – de la bouteille intéresse bien plus la danseuse qui foule à nouveau ses vœux de sobriété. Elle n’est pas aussi satisfaite qu’elle veut bien l’afficher : elle tient encore debout malgré ses mollets épuisés et cela prouve bien qu’elle n’a pas été jusqu’au bout, n’est-ce pas ?
La gorge incendiée par l’alcool bon marché, et en l’absence d’adversaires neufs, la tydale se laisse choir sur le banc de fortune qu’occupent le nelda miteux et la série de larrons et gaillardes qui festoient dans le noir désertique, et rabat sur ses épaules la pelisse offerte, en espérant très fort qu’elle ne soit pas pleine de puces comme ces paillasses qu’elle s’est payée du côté de Lerth. C’est alors seulement qu’elle note l’entrée en scène d’un deuxième violoniste, qui semble vouloir concurrencer Ysvard Six-Doigts. La scène lui est incongrue : la Luthière connaît bien le joyeux musicien, un tydale fort et à l’embonpoint prononcé, surnommé à l’unanimité Six-Doigts depuis son succès faramineux dans la joute musicale du cycle dernier. Et pour cause : le caravanier lui a donné ses ficelles, il y a quelques cycles de cela. Aussi, tout en s’offrant une nouvelle et généreuse rasade, Agliacci fixe son attention vers le nouveau venu qui vient faire du gringue au violoniste attitré de la caravane à laquelle appartiennent nombre des figures ici présentes. Elle n’est d’ailleurs pas la seule : bien inconscients du fait que le musicien soit un étranger, (sauf, peut-être, pour les autres étrangers eux-mêmes) la bande de buveurs, parieurs, danseurs, amoureux du feu, se met à brailler en rabaän, sans distinction, pour encourager tantôt l’un tantôt l’autre. Au terme d’un minute de ce pénible brouhaha, les forces en présence constatant qu’on n’entend plus rien par-dessus leurs propres bravades, c’est à coup de « Mais boucle-la ! » que le silence revient. Un silence particulièrement attentif.
Se repoussant en arrière et refermant les pans de la pelisse tantôt offerte sur ses épaules, Agliacci sourit, et se surprend à regarder les étoiles, le regard curieusement éteint. Oui, le silence est attentif, même chez ces figures bizarres et creusées et malpropres et vulgaires. A Arameth, on ne rigole pas avec la musique…on rit par et pour elle. Quel que soit l’issue de cet échange musical, il ne sera pas ignoré des confrères ; et encore moins d’elle.
Comme si c'était la dernière fois. La première fois.
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Le Sukra 5 Manhur 1512 à 23h05
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| Agliacci surprend le sourire d’Ysvard tandis qu’il vide cul sec la moitié de la bouteille offerte – qu’il rattrape, par ailleurs, in extremis. Elle devine sans un mot ce qui passe par la caboche rougeaude du musicien : comme tydale qui s’est toujours bien passé de connaître ses manières, il ne peut qu’apprécier le culot effronté de son jeune vis-à-vis. Pas qu’il va lui laisser la vie facile, ça non…au contraire : pour cet écart appréciable et qui déjà fait ramener quelques parieurs du côté de l’étranger, il va accélérer la cadence. Après tout, Six Doigts n’avait-il pas gagné son surnom par son extraordinaire dextérité au violon, et à la rapidité de ses déplacements ?
Néanmoins, il faut admettre au crédit de l’étranger que celui-ci semble posséder un meilleur sens du spectacle que son vieux maître de musique à elle. L’assurance qu’il dégage est complètement folle lorsque l’on connaît son adversaire, et cela ne le rend que plus appréciable à ses yeux. Les déments, c’est bien connu, sont le sel de la Perle. De plus, Agliacci le sait bien, Ysvard a autant d’orgueil que de tours de taille (c’est-à-dire, beaucoup.) Ce n’est pas un tydale minutieux comme le sont les élèves de l’Amphithéâtre. Il y a peu de chances pour qu’un « péquenaud d’étranger », comme le désigne déjà son voisin le nelda, l’emporte sur le maître…mais c’est d’un symbiosé dont on parle, aussi jeune soit-il par rapport au caravanier.
Elle-même s’offre une nouvelle lampée, toutes oreilles tendues pour découvrir le premier écart, la première fausse note.
Lorsque la musique reprend - susurrée et puis criée de part et d’autre – c’est dans une sorte de transe que bascule le public. L’alcool, la communauté, le ciel ouvert et la chaleur ronflante du brasier fait tourner les têtes de beaucoup. Sans prévenir, une des gueules cassées se met à battre des mains et des pieds ; et l’idée est reprise par le groupe. Bientôt, c’est tous les spectateurs, danseurs comme buveurs, qui se mettent à battre le tempo en rythme, usant de qui de tambour, celui-ci calant contre ses pieds un immense atabaque décoré de gris-gris et colifichets, celle-là se levant pour faire claquer ses jolies pieds contre le bois rance du banc…sans qu’elle sache exactement pourquoi, et à l’égal de deux autres musiciens du même acabit, c’est d’un tambourin dont se retrouve soudain affublé Agliacci qui, s’accordant aux percussions basses qui encouragent les violoneux, se met à tourner autour du grand feu, croisant ses camarades ivres comme pris de folie, battant l’instrument de ses paumes, se battant avec l’instrument, se battant contre le reste du monde, se battant pour la musique, toujours pour la musique, tandis que le chant-duel des violons persiste dans son affrontement…
Comme si c'était la dernière fois. La première fois.
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Le Dhiwara 6 Manhur 1512 à 15h30
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| Le Temps n’a plus vraiment court désormais. C’est un duel au premier sang que se sont lancés les deux orgueilleux musiciens, et rien ne saurait les arrêter. Dans la nuit, les silhouettes de chair projettent des ombres immenses le long des dunes. La poussière d’étoile est juchée sur les épaules d’un géant de feu ce soir.
Les loups guettent impatiemment le premier sang. L’alcool change de main et de glottes plus vite qu’une catin des Dames change de partenaire ; un nelda émet un cri étrange, sauvage.
Le Temps déborde tout autour du groupe, et l’entraîne dans sa crue.
Agliacci tournoie, tournoie, tournoie. Ses longues jambes s’envolent autour d’elle, sa conscience se dilate jusqu’à ne plus rien être. Ses bras papillonnent autour du tambourin et c’est tout son être qui frappe, frappe, frappe l’instrument.
C’est par pur réflexe qu’elle esquive le corps impromptu du violoniste étranger. Un souple entrechat, et elle ne fait que l’effleurer. Pas sûr que cette chance-ci se reproduise : l’artiste est ailleurs, par-delà les hommes et la ville. Elle danse comme d’autres vivent et meurent.
Un autre obstacle s’immisce sur son parcours circulaire. On lui tend une bouteille à peine entamée – qui ? elle ne saurait le dire – et, sans qu’elle ne sache pourquoi, la tydale en déverse le contenu dans les flammes qui aussitôt rugissent de joie et de férocité et gagnent en ampleur. Le feu caresse son visage de si près qu’elle est obligée de reculer. Eût-elle encore porté ses cheveux longs…
Mais la caresse du brasier lui paraît presque tendre. Elle sent son rythme cardiaque s’accorder à la cadence débridée imposée par les musiciens. D’autres suivent son exemple et le cercle de flammes poursuit son expansion dangereuse, sous les cris de joie du groupe.
Fascinée comme un papillon par la lumière, la gracieuse tydale poursuit sa danse infernale, impassible face aux langues de flammes qui sont si près, si près.
Comme si c'était la dernière fois. La première fois.
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Le Dhiwara 6 Manhur 1512 à 17h53
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| La Musique fait mourir le Temps...
Musique toute puissante ce soir, associée à Alcool elle semble être devenu maîtresse de ce monde.
Elle possède les corps et les fait s'agiter, bouger en rythme. Chaque geste fait la volonté du Dieu Musique.
Joyeuse divinité qui opère au milieu de cette chaleur suffoquante.
Les perles de sueurs ruissèlent le long des corps et viennent glisser sur le sable.
Sable du désert arrosé de sueur et de gnôle qui devient semblable à celui des plages.
Les poussièreux présents sont pour le plupart ivre de musique et d'alcool.
La majorité n'est plus tout à fait sur Syfaria. Leur esprit décolle vers un monde de musique et de sensations étrange.
Les corps n'obéissent plus à leurs propriétaires et prennent leur idépendance.
Admirable chaos. La raison n'a plus court en ce lieu, jetée dehors à grand coups de pied au derrière. Elle reviendra peut-être demain avec son ami la Gueule de Bois.
Les flammes grandissent rapidement.
Quelques autres danseurs voyant le geste d'Agliacci décident de l'imiter, certains poussent des cris étrange.
Fournaise autour de laquelle gravite les danseurs
Agréable enfer, spectacle à la fois dérangeant et magnifique.
Les deux violonistes achèvent de faire sombrer les âmes dans la folie de part la cadence qui passera bientôt le cap de l'infernal.
Vel tourne encore, trempé de sueur.
La chaleur qui vient encore de monter d'un grand entamme son énergie mais rien celui-ci ne laisse rien paraître.
Son visage est juste horné d'un sourire quasi dément. Sourire des grandes occasions.
La flamme dans ses yeux elle-aussi s'intensifie.
Jamais il n'a ressenti tant de chose. Il se sent enthousiaste, il en déborde.
Ysvard accélère encore une fois. Il fait de même. Son adversaire essaye de le surprendre en augmentait encore la cadence.
L'équilibrien fait alors mine de rester sur le rythme, comme si il avait de mal à passer à la vitesse supérieur puis soudainement il monte d'un cran, élargissant son sourire par la même occasion.
Il voit alors la surprise se peindre sur le visage du confrère.
Autre accélération de Vel...
Ysvard suit mais une expression domine désormais chez le tydale: l'incrédulité.
Le symbiosé repère immédiatement la faille et la cadence augmente...
Le duel touchait à sa fin...Vel le sentait.
Mais mieux valait rester concentrer, et ceci jusqu'au bout.
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Le Matal 8 Manhur 1512 à 22h11
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| Oui, Ysvard est incrédule.
Incrédule car ses doigts se font glissants et moites autour de l’archet, incrédule car soudainement il se rend compte qu’il risque bien de perdre…
Et sa rage n’en est que plus ardente tandis qu’il se lance dans un affriolant chant du cygne. L’on arrive à la fin, et cela ne peut être qu’une acmé, qu’une explosion, et l’un des deux adversaires devra tomber à genoux pour que cesse cette folie.
A chaque souffle.
A chaque geste.
A chaque inhalation, de plus en plus difficilement répétée.
A chaque seconde conquérante qui se voit refoulée par la Musique.
Agliacci, elle, continue à danse. A un rythme effréné maintenant. Le tambourin tambourine comme un diable sorti de sa boîte et des silhouettes se poussent pour la laisser passer.
Elle en a connu, des moments incroyables, qui vous ouvraient le cœur en deux, la tydale. Souvent, elle tâchait d’en être l’instigatrice. Mais ce soir…, ce soir est incomparable. La frénésie du groupe la ramène à un état sauvage, barbare et elle n’en virevolte que plus vite. Elle se sent bien. Heureuse. C’est pour ça qu’elle est née, elle en est sûre : ce mouvement pur, là où tout va si vite que rien n’a plus de significations. Agliacci se sent comme dans un rêve. Rien de ce qu’elle a jamais connu n’existe plus et rien ne lui résiste, ni gravité, ni silence ni temps, tout cela ploie devant le cri joyeux des cœurs qui battent à l’unisson.
Malheureusement son extase prend soudainement fin. Sans qu’elle y fasse attention – perdue dans sa transe musicale – la tydale s’est bien trop rapprochée du feu et à la chaleur poignante qui consume soudainement la plante de son pied gauche et la chair de sa jambe, elle pousse un cri de douleur en ayant tout juste la conscience de se jeter de côté.
C’est avec horreur que, le cœur battant, son élan soudainement brisé, la danseuse se rend compte que dans son rêve, elle vient de traverser les flammes. Elle étouffe rapidement le feu qui prenait sur son pantalon et, dans l’obscurité nocturne, ose à peine regarder l’état de ses pieds. La douleur soudaine lui arrache presque des larmes.
Malgré l’interruption vocal, Ysvard, lui, ne s’arrête pas.
Comme si c'était la dernière fois. La première fois.
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Le Dhiwara 13 Manhur 1512 à 23h13
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| Le duel a donc son vainqueur, et son vaincu – les cris de ravissement saluent et récompensent l’endurance et le talent des deux opposants.
Une activité à laquelle Agliacci aurait aimé se joindre, n’eût-elle caressé de trop près le brasier. Bien loin de l’alacrité extatique qui l’environne, elle envie les camarades dont plus tôt encore elle se targuait de pouvoir les plier à l’usure, entre deux vagues de douleur qu’elle parvient désormais à réprimer. Cela au moins est bon signe : ses brûlures, quoique vives, ne sont sûrement pas profondes. Quant à l’ironie de la situation, elle n’échappe pas à la conscience de la tydale ; tout au contraire, elle semble même s’y ébattre avec cette complaisance qui est le propre du sarcasme. Agliacci cherche Ysvard des yeux, prête à requérir son aide – elle ne lui en veut pas, non, pas vraiment, de s’être battu jusqu’au bout pour sa musique ; aurait-elle fait autrement ? – mais à la place de son vieux maître à musique à la face essoufflée, c’est le frais étranger qui s’agenouille à ses côtés.
Agliacci lui jette un regard étrange et perplexe. Elle a cette expression défiante qu’ont les animaux sauvages, pour peu qu’on cherche à les acculer.
Aussi triste qu’il est universel, lâche-t-elle à brûle-pourpoint (c’est le cas de l’écrire.) La brûlure est la règle, le talent l'exception.
Elle hésite à accepter l’aide de l’inconnu, certaine qu’elle pourrait s’en sortir seule. Néanmoins, ses certitudes ne l’ont jusque là jamais mené très loin, et mettre un peu sa fierté de côté ne saurait lui faire du mal. Elle soupire et tend la main vers le bras du tydale – c’est qu’elle ne peut se relever sur ses deux pieds d’elle-même…
Si tu veux m’aider, vaudrait mieux rester près d’une source de lumière, et trouver de l’eau. Les faubourgs ne sont pas très loin…commente-t-elle.
Comme si c'était la dernière fois. La première fois.
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Le Sukra 19 Manhur 1512 à 15h27
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| Agliacci se laisse porter sans se débattre. Mieux, elle semble même se laisser bercer par le mouvement et renverse la nuque en arrière, les yeux clos. Cette attitude relâchée a de quoi surprendre ; mais la tydale semble l’adopter avec désinvolture, pas le moins du monde gênée par sa situation. Ce ne sera pas la première fois qu’elle se fait porter/traîner/sauver dans ces dunes, oh non…ce qui ne paraît pas enthousiasmer particulièrement l’étranger. Agliacci ne s’en plaint pas ; elle trouve cela presque reposant.
Hmm…, fait-elle en guise de réponse.
Le silence retombe. Maintenant que le duo improvisé a quitté le campement et son chaleureux brasier, l’air nocturne commence à se faire…piquant. Rien qui n’étonne la consoeur, qui a eu le temps de s’habituer – et a appris à aimer – les rudesses du désert…
En rouvrant les yeux, c’est le ciel étoilé qui s’offre à la vue de la Luthière. Une vision qui a de quoi laisser à penser. Elle caresse le décorum des yeux, satisfaite par le calme apparent du paysage. Indéniablement, si Muses il y a, alors elles ont posés dans cet écrin désertique une des plus intarissables sources d’inspiration…Il y a quelque chose dans la souplesse infinie des sables, et l’ouverture comme béante du ciel par-dessus, qui pousse étrangement à la réflexion, songe-t-elle.
En tout cas, il la pousse, elle, à offrir une réplique plus consistante. C’est tout bas, et le regard perdu, qu’elle s’adresse au tydale :
Toi-même, l’étranger, tu as déjà brûlé. Tu ne jouerais pas comme ça, sinon…Pas avec cette flamme.
Je me trompe ?
Comme si c'était la dernière fois. La première fois.
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Le Luang 28 Manhur 1512 à 18h06
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Un phénix, répète-t-elle tout bas, comme pour elle-même. L’idée semble l’amuser. De la cendre qui renaît. De la poussière de feu…et de la Musique.
Lorsque la tydale reprend la parole, c’est d’un air concentré et son ton de voix est sensiblement différent. Une octave de moins, un caractère pressant à chaque détour de la ponctuation :
C’est drôle parce que j’ai parfois des désirs de cendre …mais sois donc ton propre braiser : ne faut-il pas faire feu de tout bois… ?
Je crains le feu. J'aime le feu. Le feu consume. Il a de ces morsures qui vous illuminent les veines. Non, vraiment, à tout prendre, mon maître, c’est le vent : invisible, insaisissable, qui sculpte les paysages, épouse les terres les plus lointaines, jusqu’à cette catin de ligne d’horizon ! Le vent, ça va jusqu’à vous caresser les flammes, ça ne lui fait ni chaud ni froid, même pas tiède aux yeux…Il est Danse, divine Danse, de celle qui veut faire tourner l’axe du monde à chacun de ses pas et que l’on ne voit pas.
Qu’est-ce que je donnerai pour un orage… !
Est-ce que tu y crois, toi ?
A quel point ce monde brûle…d’espoir.
Oui, tout à l’heure, ils brûlaient ; et ils auraient eu tôt fait de tout embraser, pour quelques accords en plus !
Ce n’était même pas l’instant présent…c’est plus que ça : la suspension du Temps. Sa défaite par l’Art. Qu’est-ce qui peut compter plus que ces secondes qu’on s’offre hors du Temps ? Qu’y a-t-il de plus beau et poignant, de plus vrai ?
C’était rompre une fois pour toute la frontière, tenter la tentation elle-même. Le plus enivrant, dans le vertige, ce n’est jamais que l’attirance du vide…Etre parfaitement libre.
Agliacci secoue la tête, se demandant ce qui la pousse à partager ses impressions intimes avec un étranger qui aurait tôt fait de les ignorer…Mais cette nuit semble sous le signe du délire et l’inattendu, aussi ne va-t-elle pas à son encontre. De sa position quelque peu inconfortable, elle aperçoit tout de même la façade rassurante et connue du Dard, de toute façon repérable immédiatement à l’ambiance de beuverie qui s’en dégage. Sans doute n’a-t-elle-même pas besoin de signifier au tydale la présence du bâtiment, car un tabouret vient tout juste de transpercer une fenêtre et de sombrer à quelques mètres devant eux…accompagné d’un tchaë costaud qui se relève aussitôt et n’hésite pas à retourner tête baissée vers le chaos duquel il émerge.
Dubitative, Agliacci fait la moue.
De toi à moi : d’ordinaire, c’est moi qui lance les tchaës par la fenêtre, dans le coin, confie-t-elle d’un ton badin qui tranche nettement avec son précédent discours.
Comme si c'était la dernière fois. La première fois.
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Le Dhiwara 3 Jayar 1512 à 12h33
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| Sans dire un mot il écoute le discour de la tydale.
Il ne trouve rien à rajouter, alors il se tait et le silence retombe jusqu'à l'auberge.
Tabouret volant suivi d'un tchaë aérien...
Vel émet un léger soupire. Ils étaient revenu à la civilisation, du moins c'était l'impression de Vel.
Surement, mais ce soir n'est pas habituel.
Sans se soucier le moins du monde du chaos dans l'auberge il y rentre, poussant la porte du pied.
A peine ont-t-ils pénétré dans l'auberge qu'ils sont assaillis par les odeurs d'alcool et de sueur.
L'ambiance ici n'a rien à voir avec celle autour du feu de joie.
Du bruit, certe...
De l'alcool, certe...
De la sueur, certe...
Mais il manquait la Musique. A la place il y avait une jolie bagarre général.
L'équilibrien regarde le spectacle d'un oeil distrait. Cela lui semblait vraiment ennuyeux, très ennuyeux.
Des projectiles volent dans la pièce, certains éffleurent les deux artistes de très prêt mais aucun ne les atteint.
Chance insolente des deux jeunes gens.
Tellement ennuyeux cet endroit. Je me demande parfois si les autres poussièreux sont animés par la pensée., lâche-t-il en montant les escaliers avec un peu de difficulté.
Les voilà devant la porte de la chambre qui comme toute porte a besoin d'une clé pour s'ouvrir.
La clé de celle-ci se trouvait dans son gilet, dans sa poche intérieur.
La clé est dans la poche intérieur de mon gilet, prend la et ouvrons cette porte.
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Le Luang 4 Jayar 1512 à 21h53
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| La Luthière arrondit le dos et cale sa tête contre la poitrine du musicien tandis que l’improbable duo traverse la mêlée générale comme si de rien n’était. Elle n’a, après tout, aucune capacité de vélocité ou de réaction dans son état, et autant profiter un peu de sa situation sinon assez triste…L’initiative semble bienvenue car elle sent un projectile raser l’omoplate du violoniste. Encore un peu, et c’était sa jolie caboche au milieu de la trajectoire !
A la demande de l’inconnu, elle obtempère et tâtonne. Devinant le contour de la clé, elle la retire aisément et la fait danser entre ses phalanges pour en jauger le contact, avant de la glisser dans la main de Vel.
Si tu trouves cet ennui accablant, fais-moi penser à te remercier en t’introduisant dans quelques milieux dans lesquels ton violon sera plus bienvenu à ton goût.
C’est bien la première fois qu’elle entend dire qu’une rixe du Dard de Sykramen est ennuyeuse, songe-t-elle avec une pointe d’amusement. Au demeurant assez rares, le tenancier étant assez strict sur le sujet, ces dernières, lorsqu’elles arrivaient, étaient toujours des plus salées…
Comme si c'était la dernière fois. La première fois.
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Le Merakih 13 Jayar 1512 à 21h19
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Agliacci s’apprête à répondre au défi de l’étranger, d’un ton à peu près tout aussi morgue, quand ce dernier a l’heureuse idée de tester sa résilience à la douleur. Comme ça. A l’improviste.
Si ça fait mal ?!...Oh, si peu !
Tandis qu’une bordée d’insultes toutes du plus grand raffinement échappent les lèvres de la tydale, (dont le contenu exact ne saurait être reporté ici, mais qui comporte un certain nombre de références à la maman de Vel, ainsi qu’à son intellect que la Luthière considère apparemment comme béotien) un réflexe des plus naturels la force à se débattre et…elle envoie son pied droit dans la figure de l’apprenti médecin, oubliant tout à fait que le geste initial était sûrement motivé par son propre état de santé et ses amours pyromanes.
Oui, parfaitement, entre les deux yeux, en plein dans le pif. Franchement violemment, d’ailleurs.
Et maintenant, t’as mal comment ? grogne-t-elle, visiblement agressive.
Comme si c'était la dernière fois. La première fois.
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