Les Mémoires de Syfaria
La région d'Arameth

Au bout de la Nuit

Récit de la Deuxième Bataille d'Arameth
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Sujet lancé par Agliacci
Le 23-10-1512 à 00h44
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Posté par Mirwen,
Le 29-10-1512 à 13h15
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Agliacci

Le Matal 23 Otalir 1512 à 00h44

 
Ils étaient là.

Tous, et chacun : les têtes brûlées de la Confrérie, les timides tournés héros, les jeunes filles aux silhouettes d’amazone, les sorciers qui embrassaient le feu, les plus malins et les moins futés, jusqu'aux étrangers et aux beautés de passage, en passant par les rêveurs réveillés.

Dans les Faubourgs, ça hurlait et ça puait. La population civile, incertaine, fuyait comme elle le pouvait ; certains valeureux avaient bien tenté quelque chose ; comme cette patrouille de Gardes Pourpres qui, tentant de couvrir la fuite de civils, s’était faite décimée.

C’est que personne ne s’y attendait, à cette Effluve. Oh, certes, ils avaient été prévenus ; mais ce genre de choses, c’est comme l’amour, ça arrive toujours trop tôt, c’est imprévisible…

Oh, ils auraient pu foncer audacieusement, ils auraient pu planifier un plan d’attaque, ils auraient pu hésiter, réfléchir, et puis créer une comission d’enquête sur la période migratoire de la mouche de Lerth. (Mais d’où lui venait cette idée… ?)Mais de tout ceci, rien : ils étaient là, et puis c’est tout.

Au milieu de ce chaos de cris, de sueur et de peur, ils n’étaient guère plus qu’une poignée, si peu, si peu, et pourtant bien présents. Oh, comme cette description était pompeuse ! Est-ce que c’était héroïque ? Est-ce que c’était juste idiot ? Défendaient-ils leur ville, sauvaient-ils leurs peaux, avaient-ils peur, y croyaient-ils ?

L’Effluve avait l’air de s’en moquer, elle.

Tout cela, la Luthière l’ignorait et pourtant elle aimerait en savoir la réponse, mais ce n’est pas le moment, ce n’est vraiment pas le moment. Ce qui est certain en cet instant, c’est qu’elle ne se sent pas prête. Ses mains sont un peu moites et elle essaie de cacher ce détail par quelques pensées faussement enjouées. Les gens ont besoin d’un symbole, les gens ont besoin d’une attache, et elle ne prétend pas être celle-là, mais il faut bien qu’il y ait quelqu’un alors elle fait de son mieux. Elle présume qu’ils font tous de leur mieux.

Et puis, qu’importe. Si c’est sa dernière représentation, Agliacci désire qu’elle soit tout sauf ennuyeuse.
Elle sait que plus loin il y a Eleidon, elle a aperçu Hir’Daeles et Hohen est à ses côtés. Mirwen ne s’est pas éloignée non plus, et elle sent la présence psychique de Kether et d’Hael’Darnis.

Quelle belle bande de bras cassés, songe-t-elle en faisant glisser ses paumes gantées contre les cuissardes de son armure de lien. Mais ce sont« mes» bras cassé. Et en ce moment, alors que le monde perd son équilibre, c’est tout ce qui compte. Arameth et ses enfants. N’aie pas peur, s’intime-t-elle. Aie la rage.

Elle échange un regard avec Hohen. Des pensées avec Cydine. Elle ne parle pas beaucoup mais si on l’écoute de près on a l’impression qu’elle se chantonne à elle-même un petit air de trois fois rien.


La Luthière a le visage d’une biche aux aguets mais se tient curieusement droite et raide pour ses habituelles courbes de danse. L’armure lui fait un revêtement bizarre et elle vient déjà d’user de ses premiers sortilèges de soins. Sa figure est rigide et elle pense à toute vitesse, et elle sent que ce n’est encore pas assez. Elle ne veut pas que les siens souffrent, pas qu’il y ait ces cris sans accords, ces notes déboussolées, pas qu’il y ait un tel manque de style aux abords de sa Perle Noire, pas décevoir son père adoptif ( que lui aurait-il dit, s'il avait eu le temps, et le symbiose nécessaire, pour lui adresser quelques mots ? ), ses souvenirs – si nombreux et si beaux ! -, et puis non, une Histoire pareille, ça ne se manque pas.


Il est tard et sous la lueur des deux lunes les contours de la créature miroitent comme un lac sombre, et puis eux…

Il faut bien qu’il y ait quelqu’un.

Et ce soir, Agliacci Le Fol, Luthière du Luth, symbiosée à damner, amoureuse d’une note perpétuellement bleue, est là.

*** ***


Comme si c'était la dernière fois. La première fois.

 
Hael'Darnis

Le Matal 23 Otalir 1512 à 00h59

 
***
Tout avais commencé par des cris et de la panique dans les faubourgs.
Hael'darnis surprise avait été voir ce qui se passait... et fut repérée par l'effluve avant l'inverse.
Heureusement un vieux sort de résistance majeure avais absorbé la majeure partie du choc et elle put s'éloigner sans gros dommages. Elle prit ensuite le temps de retirer la perversion que l'effluve avait mis en elle avec un sort de purge corporelle, se trouva un coin tranquille d'où elle pouvais observer les combat et se prépara mentalement à soutenir tout le monde avec surtout son sort de chant du renouveau.
***


 
Cydine

Le Matal 23 Otalir 1512 à 10h13

 
Une vague silhouette habillée de fils, au dernier étage de la haute Boîte de Pandore. Un gracile point blanc qui observe, stoïque, immobile. Qui semble contempler la Mort qui s'avance, sans broncher, sans peur, sans regret.

Deux minuscules échardes vertes dans un visage de poupée.
Une mer de boucles noires.
Un diffus parfum de Poison.
Un lointain murmure... une espérance avortée.
Un rire cristallin depuis longtemps évidé.

Tout sera balayé.

Nul espoir ne subsiste : le Mal vient tous les croquer.
Cydine sourit.
Enfin.


 
Mirwen

Le Matal 23 Otalir 1512 à 20h03

 
*** C'est avec un cynisme désarmant que j'avais pris la situation. ***


*** Mes paroles, mes actes, mes pensées, étaient assez lumineuses pour me garder en vie, mais assez sombre pour que je juge ma propre vie avec indifférence.
Les vies des autres, un peu mieux, tout de même.
La première effluve me faisait presque rire.
J'allais arriver trop tard pour une Cydine que je voyais agoniser non loin, mais elle fut sauvée par d'autres.
Tant mieux. Tant pis.

Par contre, l'arrivée de la deuxième effluve changeait grandement la donne.
Évidemment, une seule était gérable, a priori.
La deuxième indiquait une probable récurrence du phénomène.
C'est à cet instant que je soupirai et me demandai ce que je faisais si loin de la sainte.

Je crie à tout le monde de rentrer en ville.
De l'entrée, je vois des cristaux - corruption ? - à l'intérieur de la ville.
Merde...
Si ça décidait de se réveiller, ce serait joyeux...

Mais pour l'instant, la priorité était de rentrer en ville.
Les gardes n'allaient quand même pas me refouler à l'entrée ?
Bah... après avoir pris un coup d'effluve - une égratignure, en plus fort - je n'avais aucun mal à paraître mal en point.
C'est dans cette occasion que l'on apprécie de savoir jouer la comédie.
Me voilà donc pleurant, l'air paniqué, en train d'essayer de rentrer en ville.

Tous les gardes que j'allais croiser auraient droit à des yeux de biches larmoyants, et puis ils avaient d'autres chats à fouetter que de virer une étrangère.
Enfin... a priori.
***


***
Celle-qui-enseigna-l'art-du-cache-cache-à-des-Neldas
***

 
Hohen

Le Matal 23 Otalir 1512 à 22h26

 
Souvent les gens disent que l'Histoire se répètent. Malheureusement, cela n'est pas aussi simple. Oui pourrai-je répondre d'un point de vue Confrère. Non pourrai-je répondre d'un point de vue Matriarcal. Il y a cette sensation de déjà-vu qui grandit d'heure en heure. Mais il y a aussi cette sensation que bientôt tout cela se finira et que le boucle sera bouclée. Pour de bon.

On signalait l'apparition d'une terrible créature. Du genre annonciatrice de Fin du Monde. Le genre de voisins...envahissant et bruyant.

Je me regardais dans la glace du miroir qui me faisait face. L'exosquelette me comprimait malgré les ajustements réalisés. Je n'avais pour ainsi dire quasiment rien comme vêtements. La sensation du métal sur ma peau me faisait frissonner. J'avais l'air...différent. Enfiler l'armure de mon paternel me mettait mal à l'aise. En prenant son armure et son épée, j'avais l'impression de prendre le même destin. Moi qui avait toujours tout fait pour éviter ce moment, j'y étais.

J'avais ma place dans le Tableau.

Je suis un Gardien malgré moi. J'obéirai sans réserve à ce que me dicte mon enseignement. J'agirai en fonction de ma famille. Quant aux débouchées, c'était bien le dernier des détails.

J'enfile le casque et baisse la visière. Seule une fine ouverture me permet de voir, le reste de mon visage disparaît sous un noir de nuit. D'une main tremblante, je me saisis de la Fauchelame que j'attache à ma ceinture.


Finissons-en.

Thème

Je n'ai pas peur de mourir car je sais que je n'ai jamais vécu.

Fermant la porte, j'hésite à mettre un tour de clefs. Quelle importance maintenant ? Puis finalement, je verrouille quand même. Par principe. C'est important les principes, il ne reste plus que ça dans les pires moments. Remontant le courant de fuyards, j'arrive bientôt en vue de l'antichambre de la ville où l'immense créature commence son sinistre carnage. Sans y faire davantage attention, je me dirige vers l'Artiste qui se tient prête à soigner de son mieux les fous qui tenteront leur chance.

J'essaye de la convaincre de partir sans conviction. L'idée de l'assommer et de l'emmener loin d'ici me traverse l'esprit à plusieurs reprises. Elle m'en voudrait mais serait vivante. J'hésite. Mais en cet instant précis, ici et maintenant, nous choisissons notre destin. Je concède. Pour une fois, nul n'a besoin de me dire ce que je dois faire. La protéger.

Du pouce, je sors quelques centimètres d'acier, je n'ai pas besoin de plus.

Les premiers combats font rage. La créature ne fait qu'une bouchée des malheureux qui se jettent à sa rencontre. Quelques sorts pour la ralentir mais nous sommes désespérément sous armés. Où sont les effectifs du Poinçon ? Où est la Garde Pourpre ? Les sombreurs ? Les chuchotteurs ? Le limonaire ?

A la place, il n'y a que nous.

Agliacci s'échappe pendant que je soigne une consoeur mortellement blessée. Je relève la tête, la cherche dans le paysage.

Devant moi, la réalité se trouble, l'air s'agite en tourbillons et avant que je ne comprenne ce qu'il se passe, une autre de ces créatures apparaissait. Le temps de dégainer que je me retrouve déjà à voler dans les airs un peu plus loin. J'en ai le souffle coupé, l'armure, pourtant si résistante a à peine amorti le choc puissant.

Comme d'une canne, je me sers de mon épée pour me relever, bien amoché mais encore vivant. Je ne pense qu'à une chose, où est l'Artiste ? D'instinct, je prends la direction du Dard de Sykramen. Malgré l'odeur de sang qui imprègne de plus en plus la zone des combats, je sens encore son parfum.

Je la retrouve à l'intérieur, assise sur le sol. Elle a triste mine, même elle. Je rengaine l'épée doucement tandis que je m'approche puis m'agenouille.

Avihia...

Je sors la trousse de soin.

Je suis désolée, d'accord ? Désolée ! dit-elle. Pour la première fois, elle a perdu sa candeur et de sa superbe. Ce pourrait-il que ce soit sa première fois sur un champ de bataille ? Une innocence envolée à tout jamais.

Allons allons avihia. C'est moi qui suis désolé, je n'ai pas su être là. Ne bougez pas. Ca va piquer...

Je pose quelques boules de coton remplies d'alcool sur plusieurs plaies. Je sais qu'elle est empoisonnée mais je ne peux rien y faire. Je déroule quelques bandes, appose quelques onguents. Les bases de la médecine rudimentaire. Au final, j'ai un doute sur ce qui est le plus dangerreux : mes soins ou leurs attaques.

Vous êtes très courageuse avihia, tenez. Vous en aurez besoin.

Je retire la bague que j'ai au majeur gauche. C'est un simple anneau noir strié de blanc si petit, si insignifiant qu'on pourrait l'oublier.

Ce n'est pas grand chose, je m'en excuse. Mais ça peut aider. Prenez-le.

 
Hael'Darnis

Le Merakih 24 Otalir 1512 à 01h23

 
***
Alors que Kether m'avait demandé un sort d'adresse, je m'approche de lui... Quand soudain, je recule de 10 m sous le coup de l'attaque de la 2éme effluve que je n'avais pas vu. à la place je me lance donc un sort d'endurance pour la fuir et un sort de purge corporelle pour me débarrasser de la corruption qu'elle répands. Finalement mon action n'aura servi à rien à part à me blesser, mais rien de catastrophique et je devrais vite récupérer dès que j'aurais récupéré assez de mana pour lancer une régénération.
***


 
Agliacci

Le Merakih 24 Otalir 1512 à 15h54

 
Ce n’est pas vrai ! Tu mens ! Tu mens !

Elle écarte d’abord d’un geste rageux l’anneau que lui tend Hohen.
Ce faisant sa main perd l’appui stable qu’elle lui avait donné pour compresser la blessure que porte son torse et elle grimace douloureusement. Ah, la belle Artiste qu’elle fait là ! Elle serre les machoîres, et regarde tristement Hohen.
Oui, elle a perdu de sa candeur et de sa superbe.
D’ailleurs, Agliacci pleure.

Elle pleure comme elle n’a jamais pleuré de sa vie, elle pleure comme personne ne l’a jamais vu. Des sanglots lourds de sincérité, de sang et de flammes lui tracent des marques claires le long de ses joues pâles et entâchées d’hématomes. C’est un animal blessé qui s’est terré dans la bâtisse, comme le loup va dans sa tanière pour y lécher ses plaies et le chat se perd dans un recoin pour y crever en silence. Et sa voix est petite et ténue, un souffle plus déchirant que celui d’une gamine.

Je suis désolée, tellement désolée, pour tout…, répète-t-elle en boucle. Désolée, désolée, désolée… !

Agliacci baisse le visage dans un geste de pudeur et de honte. Le regard d’Hohen lui fait prendre conscience d’à quelle point la scène est embarassante. Au fond elle aurait aimé qu’il ne la voit pas ainsi, que personne ne la devine jamais ainsi. Elle a honte mais elle ne peut pas s’arrêter ; elle n’a rien de superbe ni de candide du tout. Ses paupières se compriment douloureusement tandis qu’elle cherche à reprendre le contrôle de sa respiration battante. Elle tremble comme une feuille et ne réagit même pas aux soins d’Hohen. Un flux de mana déforme le front sale de la Poussiéreuse et y trace une brève écorchure, une jolie fleur rouge. Ses doigts se resserrent timidement sur l’anneau qui a roulé à ses pieds, mais elle ne fait pas mine de l’enfiler et le serre convulsivement dans son poing libre.

C’est ma faute, Hohen, hoquète-t-elle. Elle voudrait s’arrêter de parler mais cela lui est impossible.
Je n’ai pas été à la hauteur.
Je n’ai pas été assez forte.
Je les ai trahi, toutes, tous.
Je ne suis toujours pas assez forte.
Je suis désolée, j’ai dit que j’étais désolée, comme je suis désolée … !



Comme si c'était la dernière fois. La première fois.

 
Hohen

Le Merakih 24 Otalir 1512 à 21h14

 
Ileïness ! Ressaisissez-vous !

Thème

Pour la première fois de ma vie, j'ai haussé le ton. Je m'en mords les doigts immédiatement, j'ai outrepassé mon rôle et ma position. Mais face à des circonstances exceptionnelles, que puis-je faire ? Dois-je me débrider, m'affranchir de mes barrières et renier ce qui fait ce que je suis ?

Je baisse la tête et tousse un peu dans ma barbe. Je cache ma main ensanglantée. En voilà un de poisons qu'il est méchant. Je réfléchis un instant. Que faire ? Il est probable que d'autres effluves vont surgir progressivement. Dans notre état, sortir maintenant équivaudrait à une mort certaine. Certes, ce n'est pas ce qui me dérange le plus. Mais je ne peux pas la laisser seule dans cet état. J'hésite à nouveau. Et si je l'assommais et je l'emmènais loin de tout ça.

Quitte à vivre ses derniers instants, autant être confortablement installée à dormir. J'emmerderai le Destin, crever ici n'apportera aucune gloire, aucune récompense ou aucune libération. Rien hormis le néant.

Je regarde autour de moi, l'auberge est désertée, ses occupants partis précipitamment. Dehors c'est le carnage. Et pourtant, une artiste est en première ligne. Ce n'est pas sa guerre.

Théoriquement, nous sommes suffisamment loin pour échapper à la deuxième effluve si on sort. Après, le temps de l'emmener jusqu'au manoir du Docteur. Il s'en occupera. Et je pourrai y retourner l'esprit libre. Oui...

La bosse que je lui ferait sera un moindre mal que ce qui l'attend si elle reste ici.

Je m'approche.


 
Morkreek

Le Julung 25 Otalir 1512 à 21h43

 
Sur les murailles d'Arameth le nelda noir se traine. La décharge de l'Effluve l'a sérieusement amoché mais surtout l'a mis en colère.
Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas senti son sang bouillir. Trop longtemps assurement.
Mais il était également déçu par cette confrérie dont il était membre. Il avait honte de tout ce bordel dans les faubourgs, de tous ces gens qui crient, de tous ces civils que les effluves déchquettaient sans aucune vergogne ou qui mourraient écrasé par les décombres qui volaient de toute part.


Même pas foutu d'avoir fait évacué...

Mais derrière la colère il y a aussi la peur.
Les effluves ont commencé à déchainer leurs forces sur les murailles qui ne serait qu'un tas de cailloux dans peu de temps. Et presque personne ne tentait plus de combattre.
Les cadavres s'entassaient... Et les symbiosés restaient aux portes sans rien faire.
Arameth allait surement tomber. Il se faisait déjà à l'idée mais il voulait que la confrérie combatte. Il voulait sauver l'honneur de sa faction sur lequel tout syfaria crachait.


Alors du haut de la muraille il hurle à ses confrères:

Confrères! Est-ce là tout ce que nous avons?

Ne suis ni un salopard ni un brave gars: je fais juste mon chemin.

 
Agliacci

Le Vayang 26 Otalir 1512 à 00h45

 
Elle sursaute comme si Hohen venait de la gifler.

Du fin fond de sa peur pathétique, du fin fond de sa douleur qui lui rend impossible de penser à autre chose qu’à elle-même, il y a quelque chose qui enfin s’allume et réagit, comme une chandelle dans la nuit.
Elle se noyait comme dans ses rêves et puis il y a eu cette éclaircie, cette veine d’argent et d’or dans les ténèbres qui l’empoissaient.

Il y a eu son nom, son vrai nom, celui qu’elle a donné comme une énigme à son père adoptif et à personne d’autre, celui qu’elle a porté quand elle était encore petite, malingre et chauve et qu’elle riait avec Pietro sur les berges du lac d’Utrynia.
Celui qu’elle a perdu quand il a fallu être quelqu’un d’autre, et qu’elle a relegué sur l’étagère de ses souvenirs tandis qu’elle changeait, patiemment, de noms, de visages et d’histoires au fil de sa jeunesse.

Son nom comme Pietro le criait lorsqu’elle disparaissait.
C’était il y a longtemps.
Elle a perdu l’habitude qu’on la cherche quand elle se dérobe.

Elle sursaute et renifle, redresse légèrement la tête. Pas qu’elle ait meilleure mine ; mais Hohen a effleuré la juste corde.
Ses larmes lui ont gonflé les yeux et ont mangé ses joues mais elle les essuie d’un revers de la chemise crasseuse qui dépasse des pans de l’armure. Elle regarde Hohen s’approcher d’elle sans se douter de ce qu’il manigance.

Pardon, dit-elle doucement en lui prenant la main et en l’invitant à s’asseoir à ses côtés.

Elle inspire. Elle a toujours un mal de chien – une perforation de corruption pareille, ça ne s’oublie pas – et sa gorge est terriblement nouée, mais il y a eu son nom et quelqu’un qui la cherchait dans le noir alors qu’elle ne voulait pas être trouvée.

Heureusement que tu es là. Il faut que je te dise…

Si elle avait été seule ici…

Elle étouffe un dernier sanglot et, dans un croassement de gorge, murmure les mystères d’une guérison. Cela ne suffira pas à retendre ses chairs écartelées mais il y a Hohen et c’est un bon soigneur, elle s’en sortira.

Dehors le fracas et des cris lointains, mais incompréhensibles à cette distance, les alarment quant à la fragilité de leur cachette temporaire.

Un temps. Quelques pensées.

Cette fois, c’est vraiment foutu, hein ?


Encore une fois, cette envie de pleurer.

Mais elle n’est plus seule dans le noir et elle serre les machoîres. N’aie pas peur, aie la rage, ne sois pas faible, se répète-t-elle mentalement. Sois digne, jusqu’au bout.

Il faut que je sois là, Hohen.
Tu comprends ? Je ne peux pas fuir. S’il te plaît, ne m’interromps pas, écoute…
Je m’en voudrai à vie. Je ne veux plus m’enfuir. Je l’ai fait trop de fois.
Juste…pas cette fois.


Parce qu’elle devine bien le désaccord muet de son ami.

S’il te plaît, dis-moi que tu comprends. C’est important pour moi. Vraiment important.

Et parce qu’elle craint qu’il ne la désapprouve trop tôt, elle enchaîne sans lui laisser le temps de répondre :


Tu as toujours été là pour moi et aujourd’hui encore…je veux dire…, tu te rappelles cet Akrotykar dans Amody ? J’étais malade à en crever et tu m’as porté dans le désert. Tu venais de perdre ton père et tu devais encore t’occuper de moi et de mon insouciance.

Tu te rappelles le Banquet du Nouveau Cycle ? Quand il fallait convaincre Achara que nous avions eu une bonne idée ?
Tu te rappelles, l’harmonium de verre ?

Le limonaire de Petrorius ? Qu’est-ce qu’il jouait mal, et je n’ai jamais osé le lui dire ! Les missives de complaintes qu’envoyaient les voisins, et que j’avais fini par collectionner ?

Les plaintes qu’il faisait, quand tu ne faisais pas le repas à temps pour ses invités ? Moi, je le revois encore agiter sa canne après toi.

Tu te rappelles, quand le consensus était plein et que Colcook préparait des coups fourrés à tout va ? Comme j’ai pu rire, et pleurer, et rire encore après, tu t’en souviens ?

Le petit cheval que tu m’as donné ? Je l’ai gardé, finalement, tu sais.

Tu te rappelles quand je suis devenue symbiosée, et que j’ai pensé pour la première fois ? Qu’est-ce que j’étais pompeuse, à l’époque… ! Tous ces rêves que j’avais !

Et quand j’ai voulu faire ouvrir un bar et t’aie mandé pour convaincre la Chambellane du Commerce. Tu m’as dit alors qu’on ne pouvait sortir du monde des fables et que je ne m’en apercevais même plus. Te souviens-tu de ce que j’ai répondu… ? :« Je sais ce qui m’attend. Ces fables me brûleront. Je vais brûler, je brûle et je sais qu’il n’y aura pas de fin ; je sais tout cela ; crois-tu que cela me fasse peur ? Que je lâcherai prise ? »

Tu vois, je savais bien que je finirai ici. Il fallait me croire.

Quand je t’ai effrayé pour la première fois à la sauterie d’Edaregord, le frère, je veux dire. Tu m’as dit que j’étais une chouette en armure. Qu’est-ce que tu étais bègue… ! Et cela m’a fait rire. J’imagine que je dois vraiment avoir l’air d’une chouette en armure, maintenant.

Et puis lorsqu’il y a eu le Tark’Nal, comme le monde a changé, soudain…, comme il a changé.

Le premier passage de Petrorius au Pilier. C’était toi qui étais parti le rechercher, pas moi. Toi. Vous étiez parti tous les deux, ensuite. Je crois qu’il t’aimait bien.

Moi aussi, je suis partie, après le Tark’Nal. J’ai traversé deux fois Syfaria et pourtant, je n’ai jamais oublié…je voulais oublier quelqu’un. Je n’y suis pas arrivée, tu sais.

J'ai toujours eu très bonne mémoire, c'est ma malédiction et ma chance. Je me rappelle de tout.

Quand je suis revenue à Arameth il n’y avait personne, les murs étaient vides.

Mais tu étais encore là pour moi. Tu m’as fait prendre un mécène et tu m’aurais suivi dans n’importe quelle folie.
S’il n’y avait pas eu les effluves, ce Faubourg serait plein à craquer de poussiéreux bariolés et Arameth brillerait de mille brasiers et mille joies, tandis que je croupirerai dans les geôles de Kalim, pour avoir introduit en douce des étrangers dans nos murailles…

Et je suis sûre que tu aurais encore été là.

Je ne veux pas mourir, Hohen. Mais il faut bien que je brûle, parce que je ne cesse de brûler depuis que je suis devenue consoeur. Je fais de mon mieux pour trouver d’autres solutions ; mais le Terreau est perdu ; Syphine a tout abandonné ; mon seul espoir réside en la promesse ténue d’une tchaë que je n’ai jamais rencontré, et dont les mots et les pensées scellent nos espoirs bien trop fragiles ; c’est tout, Hohen, j’aurai fait de mon mieux, mais je ne peux pas m’enfuir encore.
Tu sais, j’ai dans un grenier délabré rue des Clefs tout ce que j’ai jamais écrit et composé. Si jamais…enfin…tu sais.

Je ne t’ai jamais remercié. Je m’en rappelle aussi. Mais merci, Hohen, d’être encore le seul à m’appeler quand le monde s’effondre. Merci d’être là.


Un temps. Elle ravale ses émotions difficilement.

Est-ce que tu voudrais bien te souvenir de tout ça…, une dernière fois…, et si je disparais, Hohen, pour de bon, je veux dire, pas comme d’habitude, vraiment…te rappeler de ce que je viens de te dire?


Comme si c'était la dernière fois. La première fois.

 
Hohen

Le Sukra 27 Otalir 1512 à 19h40

 
Je continue à m'approcher. Un choix, encore, s'offre à moi. Mais à y réfléchir, je me rends compte à quel point j'ai été stupide. Le choix ne se situait pas ici, mais plus loin. En amont.

Je me souviens.

Oui je me souviens. Peut-être pas aussi bien que j'aimerai. Mais je me souviens. Bientôt quatre décennies de servitude, de réminiscences d'auto conditionnement. Je me souviens des gens que j'ai rencontré, que j'ai servi, de ceux qui ne m'ont même pas remarqué, de ceux qui m'ont méprisés, de ceux que j'ai déçu.

Oui je me souviens de la symbiose, l'accession à un Destin. Une chance pour être quelqu'un. De marquer l'Histoire de mon empreinte, espérant dire un jour au crépuscule de mon existence "je laisse quelque chose derrière moi et on se souviendra de moi". J'avais, comme tous, ces rêves puérils de gloire. Mais bien rapidement, j'ai compris ma véritable place. Symbiosé ou non, j'étais le même. Un serviteur parmi tant d'autres, un anonyme dans une foule au service de Noms. Certains diraient peut-être que j'ai gâché mon existence à être si insignifiant. Et je ne pourrai leur donner tort. Mais la servilité stupide me donnait cette paix intérieure, cette tranquillité face aux aléas de la vie. Je ne pouvais changer ma nature profonde, c'était me renier.

Oui je me souviens de mes maigres réussites et de mes innombrables échecs. De la centaine de petits boulots que j'ai pu effectuer, de l'inconstance caractéristique de ma vie, à ne jamais achever quelque chose, à toucher un petit peu à tout, à papillonner d'une chose à une autre, craignant de rater l'essentiel. De mes quelques voyages, découvertes d'autres cultures merveilleuses et inconnues que même la diversité de la Confrérie ne pouvait offrir. De ce moulin à vent en papier que j'avais fabriqué avec lequel je courais dans les rues jusqu'à être à bout de souffle. De ces cabanes à oiseaux que je bricolais gauchement à coups de marteaux sur les doigts.

Oui je me souviens de mon passage au Luth, des personnes formidables que j'ai pu y rencontrer à diverses occasions. J'ai été heureux et honoré de les servir, même maladroitement, même sans succès. Ce microcosme où toutes les folies se rencontraient au sein de ce Dédale du Luth, représentatif du joyeux bazar qui siégeait de repaire. Représentatif des esprits de ses habitants. De mon énigmatique supérieure poilue, un comparse matassin tué sous mes yeux parce qu'il était l'ombre et moi la lumière. De ce dessinateur malade aussi peureux que moi. Et bien sûr de l'Artiste qui se trouve sous mes yeux.

Oui je me souviens de ce vieux fou de Petrorius qui m'observait autant que je l'observais. Il m'analysait, je le détaillais. Il m’auscultait, je le diagnostiquais. Il me sermonnait, je le critiquais. Il le faisait à voix haute, je gardais mes pensées pour moi. Une fois, cependant, il comprit qui j'étais vraiment lorsque je disais, en bafouillant à mon habitude, que celui qui ne disait rien n'en pensait pas moins. Il m'avait sondé avec ses yeux perçants et avait compris.


Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre disait un grand homme d'Etat tchaë.

Je pose un genou par terre devant l'artiste. Je ne peux m'empêcher de sourire.

Alors j'oublierai tout. Et je revivrai tout.

Je porte ma main sur mon cœur et incline la tête.

J'ai toujours été là et je le serai toujours. Pour vous. Telle est ma fonction, tel est mon devoir, tel est mon Destin.

Un instant. Une fraction de seconde, j'hésite à outrepasser l'essence même de mon code génétique. Je le fais.

Et telle est ma volonté.

Je relève la tête, confiant pour la première et dernière fois. Je vais...

...Puis je reçoit cette vision, cette sensation. Antiorn n'exagerait pas quand il disait qu'il voyait au-delà de l'horizon et que c'était beau à s'en rendre aveugle. Non, il disait que c'était sublime à s'en brûler les yeux. Notre Rédemption arrive à sa fin. Nous avons été racheté. Notre salut est à portée de main.


Nous y sommes. dis-je soulagé.

Agliacci...

Mon coeur bat à tout rompre.

...le moment est venu.

 
Agliacci

Le Dhiwara 28 Otalir 1512 à 21h59

 
Elle rit.

Profondément, elle est bouleversée par ce que vient de lui dire Hohen, par son genou mis au sol comme si elle eût été une reine ou bien une jolie promise alors qu’elle ne se trouve être qu’une artiste blessée qui tente de jouer les héroïnes. Oh, certes, on lui en a fait, des farces et des promesses, mais ce coup-ci, c’est totalement inédit… !
Et puis, elle n’y pense même plus. Ils sont tous deux cachés à la vue du monde, alors que tout ce qu’ils ont jamais connu leur glisse entre les doigts et se brise, mais ils sont encore là et elle est vainement et simplement heureuse d’être encore en vie et qu’Hohen soit à ses côtés. De sa propre volonté. Comme il est beau, lorsqu’il lui dit tout cela… ! Comme elle aimerait que les autres le voient ainsi, le visage illuminé par cette soudaine confiance !

C’est pour cela qu’elle rit. Pour partager cette joie qui guérit sa peur et apaise ses doutes.
Et alors, Agliacci s’agenouille à son tour.
Ils sont tous les deux face à face et genoux au sol, maintenant.
Elle pose sont front contre celui d'Hohen et va pour saisir sa main.
Tout comme lui, la vision qui l’a cueillie émeut toute son âme. Elle inspire longuement.

Je n’ai jamais été là pour quiconque et ne saurai jamais l’être. Telle est mon essence, ma folie, ma liberté. Mon devoir.
Faisons ce serment, Hohen, si tu veux bien.

Lorsque nous nous releverons et sortirons d’ici tous les deux…, nous ne serons plus les mêmes que lorsque nous y sommes entrés.


Elle sourit, amusée par la dernière plaisanterie qu'elle se prépare à faire à son plus fidèle ami.


Moi, Ileïness Voroshk, Yrys la môme, Orage, Musyne, Daeléanne, symbiosée sous le nom d’Agliacci le Fol, jure solennellement et sur ce qui m’est le plus cher que lorsque je me releverai, et quoiqu’il puisse arriver à notre monde dans ces derniers et plus cruciaux instants, que :
Je ne fuirai jamais plus par lâcheté.
Je serai toujours celle-ci qui sera là.
Je promets tout ceci parce que, lorsque je me redresserai, j'oublierai tout ce dont je me rappelle.
Et je revivrai tout.
Pour mieux donner à vivre au monde…

En conséquence de quoi, il me faudra un nouveau nom que je charge mon ami Hohen de m’accorder dans le plus grand secret, celui-ci se portant garant de ma promesse.



Comme si c'était la dernière fois. La première fois.

 
Morkreek

Le Dhiwara 28 Otalir 1512 à 23h01

 
Seul les cris et le bruit des faubourgs qui deviennent ruines lui avaient répondus.
Il hausse les épaules. Au final ça n'avait aucune importance vu la vision qu'il venait d'avoir.
Arameth allait mourir? Et après? Il avait cru en s'échappant de sa cellule que cette ville valait encore la peine qu'on se batte. Mais non. Au final il avait juste été victime d'une illusion.

Il s'assoit sur la muraille. Autour de lui il y avait cette odeur de chair brulée. Ca aussi Morkreek y est indifférent, il y avait pire comme odeur non?
Il fouille dans ses vétements pour enfin y trouver ce qu'il cherche: quelque chose à fumer. En l'occurence il s'agit dans ce cas précis d'une cigarette vieille de plusieurs mois et à moitié consummée.
Il savait à l'avance qu'elle allait avoir un goût horrible mais il n'avait pas clopé depuis sa sortie du pillier et dans les circonstances présentes il n'avait que ça à faire. Fumer une dernière cigarette lui paraissait plus utile que de gaspiller ses forces inutilement .

Il gratte une allumette et l'approche de sa cigarette.
Le goût est affreux, comme prévu. Mais il tire tout de même un plaisir démesuré à fumer cette cigarette.
Une nouvelle air allait commencer.
Il se pose de nombreuse questions mais il les repousse. Il veut juste profiter du moment, se rappeler le passé...

Ce passé qui n'est au final qu'un enchainement de noms, de lieux et d'actions...
Ce passé qu'il ne regrette pas au final. Même son saut de l'ange à Lerth il ne le regrette pas le moins du monde, il avait été nécessaire pour qu'il en arrive à aujourd'hui.
Aujourd'hui...Aujourd'hui était la fin d'un temps...Et étrangement il se sentait bien. Il était calme.

Alors il fume sa cigarette en attendant cette fin que tout le monde attendait, fin qui serait aussi un nouveau commencement.


Il sourit et s'adressant à son mou:

La peine est comme une cigarette. Elle se consume et il reste plus rien. Plus rien que nous face à nous-même. Et tu sais quoi Alkev?

Alkev dit :
Oui?


Je crois qu'au final je suis content d'être moi-même...

Ne suis ni un salopard ni un brave gars: je fais juste mon chemin.

 
Mirwen

Le Luang 29 Otalir 1512 à 13h15

 
*** Repoussée violemment à l'entrée de la ville, je m'adosse contre la muraille, protégée des effluves pour le moment.
Je ferme les yeux, blessée.
Les cris se font moins nombreux.
Les effluves ravagent.
Je vois des symbiosés.
J'entends une voix dans ma tête.

J'ai peur.
Le changement m'inquiète.
Je ne sais pas comment réagir.
Je ne réagis donc pas.
Je me pose dans un coin, et ne bouge pas.
Je respire profondément, les yeux perdus dans le vague.
Attente.
***


***
Celle-qui-enseigna-l'art-du-cache-cache-à-des-Neldas
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