*** Abel avait rassemblé quelques affaires à Farnya. Son baluchon était plein à craquer de vinasse car le voyage vers Oriandre s'annonçait long. Ce fut quand même avec un petit pincement au cœur qu'il se préparait à partir, car au sein de la Bulle Noire, il s'était fait des amis. Nul doute qu'il les recroiserait un jour ou l'autre. Peut-être après le temps nécessaire pour que tout le monde oublie sa faiblesse avec le miroir...

Il sortit par la porte est de la ville et distingua dans les montagnes bordant la route, Fonkin Sheppen, sans doute en train de se rouler dans les ronces, pour collecter les stigmates d'une lutte avec un arkonien, dont il pourrait se vanter.

Le tchaë hâta le pas. Il n'avait aucune envie de se coltiner Le "héros" après tout ce qui s'était passé. Lorsqu'il fut hors de son champ de vision, il ralentit un peu la cadence. C'est alors Abel aperçut un Tisseur de rêves lui barrant la route ***

*** Le mastodonte l'ignora, tirant sur sa bouffarde rêveusement. Abel se fraya un passage dans les arbustes aux branches épineuses et rebelles, alors que le Tisseur ne prêta aucune attention à lui. Même pas une petit gifle de considération. Le tchaë fut presque déçu de ne pas avoir à essayer d'éviter un coup du géant à fourrure.

Il marcha encore quelques temps et parvint à proximité de la zone où devait se trouver d'après ses renseignements une mine de diamants. ***

*** Il n'eut pas le temps de pousser les recherches trop loin. Un loup malfaisant se faisait menaçant. ***

*** Alors qu'il entama le combat contre la bête, il ne put éviter l'attaque d'un de ses congénères, camouflé, d'une violence inouïe. Jamais Abel n'avait subi telle blessure. Il fit alors tournoyer son arme, cherchant son agresseur avant de s'écrouler de toute sa masse, les sens et les chairs déchirés.

Il se releva péniblement alors que les grognements se faisaient menaçant, mais dans une dernier sursaut que la douleur provoqua, il parvint à reprendre la route pour s'éloigner de cette zone mortelle.

Un peu plus loin, il se laissa à nouveau tomber sur le sol, vidé de sa volonté et de beaucoup de sang, attendant que la mort le prenne, ou qu'un miracle intervienne.

A demi-conscient, quelques images défilèrent dans sa tête, les rues de Farnya tout d'abord, puis les traits de Dame Thanakis, de Knïg, de Brill et de bien d'autres encore lui apparurent. Tous ces visages avaient pour point commun de prendre forme dans cet objet qui suscitait tant de passion, et de haine, ce miroir maudit. Sur tous ces visages se dessinaient un rictus moqueur. Leurs lèvres bougeaient, et si aucun son ne sortait de ces bouches, le message en était pourtant parfaitement clair... ***

*** Ah bon...
...
C'est vrai qu'en y regardant de près, ces dernières semaines n'avaient pas été de celles qui font un chapitre entier sur l'héroïsme et la vaillance de la Bulle Noire.
Tout perdu...
Déjà tout ce sang qui se répand au pied du tchaë... surtout qu'il s'agit du sien...Il favorise une introspection urgente de son subconscient, au cas où la prochaine heure serait la dernière ...

Tout perdu... en effet...
ce sang...
le miroir...
l'Honneur...
une place enviée dans la Fraternité...
des amitiés...
la reconnaissance...
un but...
...
Même cet horrible casque d'apparat qui lui avait explosé dans les mains alors qu'il tentait de le réparer.
...
Même Georges l'insupportable pamplemousse pensant avait lâché Abel... Ce dernier fouilla mentalement l'espace environnant, une petite pointe d'amertume dans la boîte à sentiments ***

*** C'était bien la première fois qu'Abel accueillait avec soulagement la présence de Georges. Recroquevillé, il releva sa tête qu'il tenait appuyée contre ses genoux, un sourire triste sur son visage. ***

*** Georges se lança alors dans une longue plaidoirie qu'Abel suivit avec un intérêt croissant. Georges, d'ordinaire si détaché, malicieux et incontrôlable paraissait grave et sérieux.
Non Abel n'avait pas échoué, et à travers lui la Bulle Noire était digne. En effet, l'artefact avait été découvert par Knïg, la neutralisation du gardien Jyrkalien avait réussi notamment grâce à l'implication de l'ex-lieutenant, et le miroir était en sécurité, aux mains d'un nelda certes.
Mais tout cela n'empêchait pas la Fraternité de revendiquer une place au Concile, qu'Abel devrait lui même solliciter s'il le fallait.
Que le miroir n'ait pas atterri dans les mains du Prince et de la Bulle rouge n'avait aucune importance. Quant à la Bulle bleue, elle ne s'était pas montrée intéressée.
Enfin, l'ensorcellement d'Abel n'était que péripétie sans conséquences, puisque l'objet n'avait pas été brisé et se trouvait maintenant à la disposition du peuple de poussière. ***

*** C'est fou comme le psychisme peut influer sur le physique. Aux portes de la mort quelques heures plus tôt, Abel qui n'avait pas une constitution de musaraigne reprenait lentement et sûrement du poil de la bête.

Il avançait doucement en direction d'Oriandre, sur ses gardes,. Le loup qui l'avait durement touché pouvait l'avoir suivi. Et au vu de la blessures infligées, il devait s'agir d'une bestiole hors du commun.

Mais l'ex-lieutenant recouvrait ses forces peu à peu, et les joutes mentales avec Georges n'y étaient pas pour rien. A vrai dire, les idées du mou allaient et venaient dans la tête du tchaë. il avait son Honneur à reconquérir. Il ne sentait plus la douleur, tout occupé qu'il était à échafauder un plan. ***

***
Finalement sur les conseils du mou, il se verrait bien filer jusqu'au lieu du Concile, pour expliquer au Taulier son point de vue sur le miroir de la forêt. S'il se montrait convaincant, peut-être que cela ouvrirait une porte à la Bulle Noire... ***

*** La nouvelle avait allégée le coeur d'Abel. Si l'on pouvait en croire le Régisseur des Ressources, mais cela était un autre problème, la Fraternité avait donc son Obsession ! Bien que du point de vue de l'ex-lieutenant de la Bulle Noire, les artéfacts n'était pas de simple laisser-passer pour accéder au Concile, cette nouvelle l'apaisait.

Ce long voyage entre Farnya et Oriandre, qui l'avait vu frôler la mort pour quelques pierres précieuses, s'achevait donc mieux qu'il n'avait commencé. D'autant plus qu'une silhouette familière se dessinait au loin : Khaëriak.
Abel se mit à gesticuler en direction du soldat ***

*** Quelque chose pourtant le tracassait encore. Sur le chemin, Abel avait aperçu un Farryen de feu...connus pour être, en troupe, les premiers à être envoyés en guerre par le Pen'S'sarkh..... ***

*** Khaëriak essayait de recruter les quelques musards qui flânaient dans la capitale quand l'ordre d'escorter le porteur à Farnya avait sonné. Il progressait au pas de course quand Abel apparut. ***

*** Abel ne semblait pas en grande forme, le lieutenant ressentait comme un malaise. Sa mésaventure devait lui peser mais une question lui brulait les lèvres
***

*** Gêné d'avoir avoir abordé brutalement ce sujet sensible, Khaëriak marqua un courte pause puis posa sa main sur l'épaule d'Abel. ***

*** Abel trinqua avec enthousiasme. Il ne souhaitait pas trop parler de l'obsession mais il profita des quelques instants partagés avec Khaëriak.

Toutefois leur rencontre fut brève, car le lieutenant devait se rendre à Farnya rapidement. Il se quittèrent donc sans qu'Abel ait eu le temps de lui apprendre que le Général en personne avait souhaité son retour dans la Bulle Noire. Mais Abel ne s'en estimait pas digne et avait décliné l'offre.

Il se remit en route vers Oriandre, et troqua la position de garde contre un verre de vinasse. Il est vrai que le verre de kiarbat offert par Khaëriak avait réveillé sa soif...
...
C'est en titubant sous l'effet de l'alcool qu'Abel parvint aux portes d'Oriandre un peu plus tard. Le chemin lui avait paru plus long que prévu, car le dernier verre de vinasse avait incontestablement déréglé son sens de l'orientation. Il s'écroula quelque part dans les montagnes bordant la muraille Ouest et s'endormit, en cuvant bruyamment. ***