| Le corps fatigué, l’esprit embrumé par le lent ressac d’adrénaline, le minuscule diplomate n’avait pu revivre, au retour, la féerie du voyage en transport nemen.
A peine installé dans sa cabine, le sommeil du juste l’avait pris en traître et n’avait pas épargné un filet de sa conscience.
Un braxat déchaîné aurait pu débouler dans la pièce, un Gambol jouer sur sa poitrine un concerto pour une avalanche, rien ne l’aurait fait entrouvrir ne serait-ce qu’un œil.
L’atterrissage un soupçon épicé ne brisa nullement son application, pas plus que le nemen s’étant escrimé une petite dizaine de minutes sur son épaule.
Le vaisseau abandonné par ses passagers, l’équipage, en la personne du capitaine, un de ses seconds, une navigatrice et un chargé d’entretien, décidèrent de se pencher au sens propre du terme sur cet épineux problème.
Le seau d’eau, non pour des raisons de licences scénaristiques, mais bien de tact diplomatique fut abandonné, au même titre que le saut du lit énergique.
Passablement excédé, le capitaine, avec l’accord du chargé d’entretien, ouvrit la fenêtre, et un air sournois sur le visage (il avait beaucoup vécu avec les êtres de poussières) retira le tromblon que notre malheureux serviteur gardait tout contre-lui.
Pas de réponse.
Passablement énervé, il chargea l’arme de ses dernières munitions avec l’expérience de celui habitué des lignes vers Farnya et visant dehors, plaça l’instrument à moins de cinq pouces tchaës de l’oreille gauche du pauvre diplomate.
Ce qui s’ensuivit fut à rajouter au palmarès impressionnant de cette merveilleuse arme tchaë.
Une malheureuse mouette qui passait, innocente et libre, par là, fut réduite à ses composants premiers éparpillés sur une quinzaine de pas.
Dans un souci d’efficacité, il avait trop rapproché l’ustensile de Thosen et mal jugé l’angle du canon évasé de l’arme. L’erreur lui coûta la fenêtre en question, et le mur de la cabine.
Malgré sa prodigieuse force nemen, il sous estima le recul, son doigt sur la gâchette prit un angle inquiétant et le capitaine poussa un cris aussi puissant que l’arme elle-même.
Vite étouffé et entrecoupé par sa toux et ses larmes, un nuages épais de poudre noire ayant envahi la pièce.
Enfin, des yeux pleins d’innocence, de joie de vivre s’ouvrirent, et des tympans bourdonnèrent dangereusement.
Ce qui s’ensuivit fut à inscrire dans les annales de la diplomatie tchaë, et c’est avec un sourire satisfait, des tympans bourdonnants toujours aussi dangereusement, et une bourse un peu plus légère que le jeune diplomate de l’armée rallia Farnya.
Contactant le régisseur Sheppen, il s’équipa à bas prix sur le dos de bien peu malheureux marchands. Cela lui causait parfois quelques troubles, mais si la bulle rouge proposait elle-même de rendre la vie plus dure pour d’autres frères rouges, il n’allait tout de même pas, en frère noir, s’en plaindre. Il réceptionna et paya aussi deux de ses commandes auprès du maître tailleur Nielg et du maître enchanteur Jeaneudon et enfin s’offrit encore une babiole magique pour satisfaire sa soif obsessionnelle d’efficacité.
Lorgnant dangereusement sur le casque « troisième œil » il ferma les yeux et discuta avec Alastor, son mou, de l’hygiène de vie en milieu montagneux, suffisamment longtemps en sortant de la boutique pour oublier les avantages évidents et la classe indéniable que ce casque procurait.
Bien, la bourse décidemment plus légère après deux cents cinquante girasols de courses, mais encore lourde d’autant, il s’apprêtait à quitter la ville rouge pour aider ses frères combattants sur les routes, faire son rapport en personne à son Général, et remettre l’obsession qu’il gardait toujours dans son sac à dos à son Roi.
Malgré son jeune âge, les combats qu’il avait menés l’avaient endurci sans qu’il ait véritablement l’impression qu’il pourrait en revenir, chaque victoire arrachée dans son sang alimentait un peu plus sa détermination. Ses mains ne tremblaient presque plus quand il tuait. Son corps même ne le faisait plus que rarement souffrir quand des atrocités étaient commises à son encontre, malgré des fractures, déchirures, il gardait une efficacité qui l’effrayait.
Il l’avait croisé une fois, mais si souvent côtoyé que la mort était devenue un adversaire de plus. Un adversaire que sa condition de symbiosé aurait du atténuer, mais auquel son sens du devoir prêtait des armes nouvelles. Il ne pouvait simplement pas se permettre de mourir car cela signifierait dans la majorité des cas l’échec de sa mission.
Guerrier, diplomate, parfois il sentait que ces deux rôles ne devaient pas vivre ensemble, qu’ils se nuisaient, que le guerrier faisait d’abord usage de sa voix, que le diplomate laissait trop souvent supposer ses armes. Mais il savait aussi que la Fraternité avait besoin des deux, lui-même avait besoin des deux.
Seulement si son organisme en situation de combat résistait de mieux en mieux au sollicitations d’une douleur qui réduirait à l’inconscience d’autres, le quotidien était de plus en plus dure. La magie ne résolvait pas tout et certaines horreurs combattues, certains spectacles revenaient parfois la nuit.
Quittant Farnya en fin d’après midi, un petit verre d’alcool de prune dans le sang après son passage au poste de garde de la porte est, il prit une profonde inspiration de cet air glacé soufflé des montagnes avoisinantes et marcha à grands pas vers la cité noire.
Il aperçut, quittant la ville au même moment, un de ses frère noir symbiosé qui s’était exprimé sur le conclave. Un chirurgien. Un frère qui lui permettrait peut être un jour d’accomplir son devoir.
S’approchant, un sourire typiquement fraternelle aux lèvres il l’interrogea sur son voyage.
Identique au sien.
Une bonne nouvelle, assurément !
Le voyage serait peut être plus long mais forcément plus enrichissant.
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