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Le Matal 5 Manhur 1509 à 17h45
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L'heure du recueillement était désormais terminée. Veiglaigh, encore assis sur un banc de pierre au cœur du gigantesque temple de Syrinth, venait d'achever sa dernière séance de prière et de dévotion à la Dame avant de quitter le territoire de l'Equilibrium pour un laps de temps indéterminé.
Trop longtemps il avait repoussé ce moment où il devrait s'en retourner sur sa terre d'origine à la recherche de sa famille...S'il en avait encore une. Les derniers évènements qu'il venait de vivre l'incitaient à prendre un peu de recul par rapport à lui-même, sa fonction, sa faction...Quitte à voyager, autant en profiter pour réaliser cette quête personnelle qui, d'une certaine façon, participerait à son introspection et cette nécessité qu'il éprouvait de mieux se connaître lui-même.
Dix années auparavant, il avait certes fui le Matriarcat, mais pas forcément avec la volonté de rompre les liens à tout jamais. Peut-être parce qu'il avait besoin de réponses, peut-être aussi parce qu'en lui, résonnaient les liens du sang. Des liens qui transcendent les frontières, aussi bien physiques que morales ou culturelles.
Avoir rejeté le Matriarcat ne signifiait pas pour autant avoir rejeté sa famille. Même si lui, en tant que mâle, semblait avoir été rejeté comme c'est la tradition dans cette faction. Mais de cela le Tydale n'avait aucune certitude. N'ayant jamais eu de contacts avec sa mère après sa naissance, il se demandait encore aujourd'hui si elle avait eu le choix...ou pas. Tentait-il de lui trouver des circonstances atténuantes ? D'idéaliser une mère qu'il n'avait pas connue. Projetant sur elle des pensées forcément altérées par son propre vécu au sein de l'Equilibrium.
Le Preux se leva, jeta un dernier coup d'œil circulaire autour de lui, s'attardant sur les larges candélabres de bronze qui diffusaient une lumière apaisante dans ce lieu de recueillement. Il céda le passage à quelques Grises qui se déplaçaient silencieusement dans les larges travées des salles réservées aux visiteurs venus prier, puis prit le chemin de l'entrée où il put récupérer ses armes et ses effets personnels.
Il lui fallait désormais essayer de retrouver sa mère, s'il elle était toujours en vie. Pour essayer d'obtenir les explications qu'il attendait depuis si longtemps. Et peut-être retrouver trace de sa sœur aussi. Car étant un Tydale mâle, il ne pouvait qu'avoir été le fruit d'une grossesse gémellaire. Mais pendant les années où il avait vécu enfermé au sein de la Ruche, jamais il n'avait entendu parler de l'existence de cette sœur.
Quant à son père...Il n'y a pas vraiment de père au sein du Matriarcat du Déclin. Juste des géniteurs qui, de toute manière, n'ont jamais l'occasion d'assumer une véritable fonction paternelle. Si le Preux n'avait pas été marqué du sceau des inaptes et était resté dans sa faction de naissance, il n'aurait pas non plus cherché à le retrouver. Au Matriarcat, on grandit sans père et c'est tout.
Veiglaigh se retourna une dernière fois pour embrasser d'un seul regard la silhouette monumentale du lieu saint qu'il venait de quitter et se dirigea vers la sortie de la cité. Son absence était officielle. Sa hiérarchie et ses frères d'armes du Groupe du Crépuscule étaient au courant de son départ.
Ainsi, il quittait Syrinth sans savoir quand il y reviendrait. S'il y revenait un jour. N'ignorant rien des risques qu'il encourait en retournant à Utrynia.
Pourtant, il ne partait pas en direction du Matriatcat uniquement pour toutes ces raisons familiales qu'il ruminait depuis si longtemps. Il partait aussi pour retrouver là-bas une Rêvante auprès de laquelle il s'était engagé à réaliser à ses côtés une mission plus que périlleuse...
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Le Dhiwara 17 Manhur 1509 à 15h49
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| Penthésilée a reçu le message mental du Preux crépusculaire l'avant-veille.
Elle a donc quitté sa chambre d'auberge et repoussé ses activités provisoires d'étude de la garde pour se rapprocher des portes Sud, coté pilier... car le tydale n'est pas venu en transport nemen, mais à pied. Elle commence à connaître le personnage et imagine déjà sa réponse laconique, s'il était questionné à ce propos : Si la Dame avait voulu que je vole, elle m'aurait donné des ailes.
Marchant la truffe en l'air, les oreilles au vent et la queue en panache, la jeune nelda presse le pas sous un orage menaçant qui persiste à ne pas vouloir s'exprimer, alourdissant l'air d'une première moiteur préliminaire à l'été qui s'annonce. Dans la rue, les filles du Déclin et les quelques mâles en goguette semblent un peu assommés, apathiques, victimes de la chape de plomb atmosphérique et des lourds nuages accumulés. C'est à proximité des portes que les premières gouttes, rares et lourdes, tombent soudain et crêpitent sur le sol de terre brulante.
Un premier craquement se fait entendre, un éclair flashe la scène, puis un véritable mur d'eau s'abat sur la cité. Au même moment, la Haut-Rêvante pénètre dans une tour, salue respectueusement deux guerrières et monte les marches quatre à quatre - c'est une tradition - jusqu'à la pièce sommitale. Elle se positionne sur le belvédère circulaire qui la ceint, puis observe les alentours de la ville et du pilier.
L'Onÿr n'est pas longue à trouver l'Equilibrien, stoïque sous la pluie battante, avec sa silhouette indifférente aux éléments déchainés. Il lui fait penser à un phare côtier sous la tempête, la tignasse claire dépassant de son casque sombre.
Profitant d'une brève accalmie dans le concert de roulements de tambours, elle le salue du haut de sa tour d'ivoire :
Héjia, Arc'Rhon Veiglaigh !
Penthésilée
Vigie du Rêve
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Le Luang 18 Manhur 1509 à 00h56
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| Ah ça, pour l'entendre, elle l'entend !
Les deux oreilles orientées vers le tydale telles des antennes paraboliques, elle capte son message comme s'il l'avait hurlé à ses cotés. Sursautant, puis vérifiant que la foudre n'a frappé ni sa tour scalaire, ni sa queue déployée et quelque peu électrisée, la rhona se penche à tomber dans le vide et dit, avec force gestes des plus démonstratifs :
Mais chuuuuuut, ne criez pas ! Vous allez réveiller les...
Achille dit :Réveiller qui, mémère ?
Tu es à Utrynia, une ville normale, avec des gens normaux, qui ne dorment pas comme des loirs au beau milieu de la journée...
On ne voit pareille décadence que dans vos cités de fainéants ! Mais quoi d'étonnant ? Tous les neldas ont un poil dans la main...
Euuuuh... les... ah non, rien...
Hem.
Reprenant quelque contenance, Penthésilée se redresse et reprend avec dignité :
Vous allez bien ? Dès que vous pourrez entrer en ville, venez donc à l'Etoile du Rêve, une grande maison située à deux pas à l'Est de la bibliothèque : je vous ferai visiter !
Penthésilée
Vigie du Rêve
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Le Julung 25 Jayar 1509 à 14h56
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La piste n'était pas difficile à suivre. Un chasseur novice s'en serait d'ailleurs aisément sorti. Il faut dire que l'énorme gastéropode n'avançait pas bien vite et qu'il laissait, couchées derrière lui et maculées d'une épaisse substance visqueuse, les hautes herbes de la plaine entourant la bourgade de Lestris.
Le Tydale, rompu à ce genre d'exercice, eut tôt fait de rejoindre l'immonde créature qui se dirigeait vers la petite cité. Il avait beau ne pas être sur le territoire de l'Equilibrium, son instinct ne lui commanda pas d'agir de façon différente à ses habitudes, lorsqu'il patrouillait en tant que Surveilleur. Il devait éradiquer le mal dès lors que des Poussiéreux étaient menacés. L'Equilibre le commandait.
Profitant du camouflage offert par les hautes herbes, il s'approcha silencieusement de la bête qui ne l'avait pas repéré. Enfilant son demi-gant d'archer en cuir composé seulement de trois doigts et rangé en permanence dans une poche de son pourpoint, il se plaça à portée idéale de tir. Là, il encocha une première flèche puisée dans son carquois huilé, jaugea le sens du vent afin de corriger sa visée en fonction de l'angle de tir choisi et banda puissamment l'épaisse corde de chanvre tressée de son arc. Il fallait atteindre la tête.
Le Preux connaissait bien la morphologie de ce genre de créature. Il en avait déjà croisé dans la dense forêt d'Hatoshal. Sa carapace abritait les organes vitaux mais était beaucoup trop dure pour être percée facilement et à distance. Et puis le reste du corps de la bête pouvait supporter de multiples impacts sans que cela ne l'affecte trop, ni ne la blesse sérieusement.
La tête ou rien...
Veiglaigh suivit de son regard azur le vol parabolique de sa flèche qui fit mouche. L'escargot géant se recroquevilla sous l'impact afin de protéger sa tête blessée, mais ses mouvements semblaient anarchiques et saccadés. Son système nerveux étaient sûrement endommagé. Le Tydale encocha une seconde flèche et se déplaça promptement afin de bénéficier d'un meilleur angle de vue pour porter le coup de grâce. Il n'avait pas grand chose à craindre, le monstre semblait au bord de la mort et avait stoppé sa progression. Des convulsions traversaient désormais son énorme corps spongieux et dégouttant de mucus.
La seconde flèche, projetée à la suite d'un tir plus tendu, mit un terme à la vie de l'abomination gluante.
Le Tydale ne s'attarda pas près de la carcasse. Il était temps pour lui de rejoindre une nouvelle fois Utrynia. La mission aux côtés de Penthésilée et de Syin Lothar étant terminée, il pouvait se préoccuper totalement de ses recherches familiales.
Restait à savoir si les Matriarches allaient coopérer...
Veiglaigh choisit de ne pas entrer dans Lestris. Sitôt son arc repassé autour de ses puissantes épaules, il essuya d'un revers de manche la sueur qui avait envahi son visage et suivit la piste qui menait à Utrynia. Après le rude climat des montagnes, la douceur printanière de l'endroit lui paraissait produire l'effet d'une vigoureuse chaleur estivale. Mais il se savait proche de la grande cité matriarcale et n'avait plus besoin de se hâter. Il prit donc le temps de se désaltérer et de profiter de l'instant. Seul, non loin des remparts de Lestris mais dans un coin pour l'heure dégagé de toute perversion. Le genre de situation que lui, le solitaire, affectionnait vraiment. Le regard perdu sur la ligne d'horizon, se laissant à rêver d'un monde dépourvu de corruption et des maudites effluves du S'sarkh.
Un monde qu'il ne connaîtrait sans doute jamais.
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Le Julung 30 Julantir 1509 à 11h24
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Le Tydale observait l'empenne de sa flèche dépasser de la gorge du sorcier arkonien.
Quelle mauvaise idée avait-il eu de passer dans le coin alors que le rôdeur équilibrien s'était soigneusement caché et embusqué, pensant être poursuivi par sa sœur.
Le Mystique se tortillait au sol alors que son sang jaillissait de sa gorge déchirée dans un tourbillon noire et poisseux. Une seconde flèche était aussi fichée dans son plastron et lui avait cloué l'avant bras contre celui-ci.
Le spectacle était navrant. Pourtant, Veiglaigh n'y trouva rien à redire. Peut-être était-ce là la conséquence de l'incroyable face-à-face qu'il avait vécu quelques heures plus tôt avec sa sœur Séoane et Kaliss, la Mestre de la cité d'Utrynia.
Il sortit de son couvert et s'approcha de l'Arkonien. Déjà un voile gris avait envahi les yeux du mourant. Dans quelques minutes tout serait fini.
Mais les pensées du Preux du Crépuscule étaient ailleurs. Il ne pouvait s'empêcher de songer à sa sœur. En quittant la cité, il avait choisi l'apaisement. Et puis il commençait à être un peu trop connu à Utrnynia.
Il n'était cependant pas complétement satisfait...Et il n'était pas question de fuir. Cela, il l'avait déjà fait dix années auparavant. Il avait besoin de réponses et sa sœur les détenait...
Un dernier regard en direction du Mystique lui indiqua que celui-ci avait exhalé son dernier souffle. Le Tydale, déterminé, repartit à grands pas en direction d'Utrynia.
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Le Julung 30 Julantir 1509 à 19h15
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Elle avait quitté précipitamment la cité. Sans un regard pour les badauds qui trainaient devant l'auberge, dans l'attente soit qu'elle s'écroula, soit qu'une opération de merchandising leur offre la bière. Sans un regard non plus pour les passant qui l'ignoraient où lui jetaient leur regard haineux, méprisant, dédaigneux.
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« Comme toujours. Que le Destin vous rattrappe ! »
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Ce n'est que parvenue à la sortie sud de la ville que la tydale sentit à nouveau l'air pur. Ce n'est que parvenu ici qu'elle sentit toute la tension qui l'habitait. Elle se mit à rire. Ses nerfs lachaient, mais cela lui faisait du bien.
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« Par la Mère, je n'ai même pas vérifié s'il était parti. »
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Peu lui importait dans l'immédiat. Ce qu'il lui fallait, c'était d'aller voir sa mère. Mais quelques lieues plus loin, la Semeuse de Mort fut contrainte à une Danse avec une chimère qu'elle n'avait encore jamais rencontré. Un Killiarth
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Toujours nauséeuse, Séoane n'était pas prête. Quelques heures plus tard, le corps couvert de contusion, elle avait oublié même pour quelles raisons elle se trouvait là.
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Semblez être la fleur innocente, mais soyez le serpent qu'elle dissimule. (Macbeth) | |
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