Les Mémoires de Syfaria
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Tous les matins du monde

Les Tribulations du Masque
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Sujet lancé par Umbre
Le 05-06-1509 à 13h42
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Posté par Umbre,
Le 01-10-1509 à 14h35
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Umbre

Le Vayang 5 Jayar 1509 à 13h42

 
Le Masque.

Politicien, courtisan, précepteur... Au placard.
Il avait abandonné ces trois rôles en abandonnant le poste de Chambellan et, surtout, en quittant Arameth.
Arameth... Il la reverrait bien assez tôt. Sa putain capricieuse, son amour véritable.

Il ne restait plus que...
L'esthète, l'artiste et le libre-penseur.

C'était déjà bien assez. L'esthète ? Collectionneur, marchand et chercheur.
L'artiste ? Dramaturge, comédien, marionnettiste, musicien et peintre.
Le libre-penseur ? Poète et philosophe, réformateur critique, libertaire et amoral.

Le reste n'avait que peu d'importance.
Il avait vendu à l'Horloge du Terreau un beau projet. Un projet auquel il se tiendrait. Mais un projet tout à fait secondaire.
Il avait d'autres buts en tête. Autrement plus intéressants, dangereux et fondamentaux.

"Chercheur d'Art". Oh oui, il allait en chercher des oeuvres.
Au quatre coin de l'île, provenant de toutes les factions et de toutes les époques.
Se construire un cabinet sans précédent. Accumuler les connaissances et les beautés de ce monde.
Rencontrer des artistes, organiser des discussions et des échanges.

Mais cela...ce n'était que la face visible d'un iceberg autrement plus profond.
Un iceberg géant aux faces multiples. Bâti sur deux concepts : l'Art et le Temps.

Il se demandait d'ailleurs si le Terreau était dupe. Surement, il n'avait pas le choix.
Puisqu'il n'avait mis personne au courant de ses véritables desseins (lui-même en doutait quelquefois).
Et ceux qui devraient l'être ne le seraient qu'en temps voulu. Une poignée, même pas.
Alors le Terreau se méfiait sans doute, mais il ne pouvait rien faire d'autre.

Délectable situation. Et franche liberté. Grandiose liberté.
Pour la première fois depuis longtemps, le Masque était heureux.
Il se sentait de nouveau l'âme lyrique, la pensée hardie et le verbe audacieux.

Ce matin là était celui qui engendrerait tous les autres.
Tous les matins du monde.



Un visage est-il un masque de comédie posé sur la tragédie de l'âme ?

 
Umbre

Le Vayang 5 Jayar 1509 à 14h17

 
Transport Nemen.

Après avoir parcouru les quelques kilomètres qui séparent Arameth du reste du monde, Umbre arrive en vue de la station Nemen. Il s'approche de la guitoune, accompagné de deux serviteurs qui ont la charge de transporter une grande malle renforcée, peu lourde, mais scellée. Le Masque s'explique longuement avec les Nemens du transport, leur expliquant qu'il entreprend pour sa part un voyage vers Syrinth, mais que cet intrigant chargement doit rejoindre Ulmendya. Il est prêt à payer, bien entendu, et désire qu'on dépose le bagage dans une consigne, à la station de la Cité Puits. Il s'y rendra alors en temps voulu, d'ici quelques semaines sans doute, pour l'y récupérer.

Car Umbre voyage seul et il n'a aucune envie - il n'en a d'ailleurs pas la possibilité - de se trimballer cet impossible coffre partout où il se rend. Il lui apparaît bien plus simple de l'envoyer directement là-bas. Il la reprendra alors quand ses pas l'auront amené dans les environs de la ville Nemen. Après quelques négociations et des sardoines baladeurs, l'Ordinant est satisfait : on répond favorablement à sa demande incongrue. Il s'achète alors un billet pour Syrinth et monte sans tarder dans l'aéronef, déjà prêt à s'engouffrer dans les cieux syfariens. Il n'a avec lui qu'une valise noire, suffisamment bien conçue pour contenir tout ce dont il a besoin sans être encombrante, et un étui à violon.

La journée ne faisant que commencer, Umbre dépose ses affaires dans sa cabine et se rend sur le bastingage pour admirer la vue et, pourquoi pas, faire quelques rencontres. Les voyageurs ne sont pas légion mais échanger quelques mots avec les ingénieurs Nemens lui apparaît une option tout aussi digne d'intérêt. Quoique, affairés comme ils sont, il est peu probable qu'il puisse réellement converser avec eux. Sans parler de la barrière linguistique...

Le Masque se retrouve donc rapidement seul, à contempler le spectacle fabuleux du paysage coloré défiler en contrebas, et le ronronnement des machines pour unique compagne.



Un visage est-il un masque de comédie posé sur la tragédie de l'âme ?

 
Umbre

Le Sukra 6 Jayar 1509 à 08h43

 
Au cours de la matinée, Umbre fait rapidement connaissance avec les quelques Confrères qui se sont embarqués avec lui.

Il y a un couple de marchands qui partent faire des affaires à Zarlif, un jeune bailli appelé au Fundeq de Syrinth et un botaniste du Suaire qui s'engage dans l'étude de certaines plantes curatives de l'Hatoshal. Le Masque, sans rien partager de ses réflexions, ne peut s'empêcher de songer au funeste destin qui attend le chercheur. De toute évidence, celui-ci se doute des dangers qui le guettent mais ne se rend pas compte de l'ampleur de la menace que représente la faune de la forêt sacrée. Menace d'autant plus réel pour un non-symbiosé. L'Ordinant se garde bien de refroidir son élan passionné, surtout maintenant qu'il est trop tard, et discute longuement avec le sudariste sur la nature exacte de son projet. Il ne reste plus qu'à espérer que le chercheur aboutisse à quelque chose avant d'être emporté par les caprices de la Dame Grise.

A l'heure du déjeuner, le petit groupe se réunit afin de partager le repas, cuisine Nemen au menu (sauf pour le couple de marchands, visiblement méfiants), et échange les dernières nouvelles de la Cité des Perles Sombres. Les discussions s'animent rapidement, comment souvent avec les Confrères (surtout d'Horloges différentes). Un vaste panel de sujet est abordé, au point que le silencieux soldat en vient aussi à jaspiner bruyamment. Les nouvelles lois commerciales et leurs réformes douteuses, les rumeurs sur les dernières grandes expéditions du Suaire, la création du poste d'Oeil du Poinçon et la nature du bonhomme qui s'y trouve, la situation dangereusement bancale du Luth... Autant de thèmes qui éveillent les passions des uns et des autres. Umbre apprécie tout particulièrement ces deux heures passées à discuter de sa Faction avec des compatriotes, en plein vol pour un ailleurs lointain. Et, pour ainsi dire, incomparable.

Il s'en retourne ensuite dans sa cabine pour déguster son déjeuner (enfin !), loin des regards et des curiosités. Les heures qui suivent lui permettent de réfléchir, de se reposer et de coucher sur le papier quelques pensées pragmatiques ou quelques vers imbéciles dont il tire une certaine gaieté. En plein milieu de l'après-midi, il rejoint finalement le botaniste et le milicien dans une partie de carte mouvementée qui ne s'achève que la nuit tombée. Pour le dîner. Rebelotte...

Mais cette fois-ci, les conversations sont moins mouvementées. On aborde des sujets plus mystérieux, plus troubles, plus inquiétants. Comme d'habitude, l'esprit confraternel, toujours fasciné par les contes douteux et les romans noirs, ne peut s'empêcher de faire fonctionner la mécanique de son imaginaire fertile et paranoïaque. Alors, chemin-faisant, le Masque prend le rôle qu'on lui attribue et se met à narrer quelque légende secrète qu'il tient d'un artiste, la tenant lui-même d'un marchand qui l'aurait entendu de la bouche d'un prêvôt travaillant sur une affaire des plus tortueuses....

Quelques heures après, c'est éreinté qu'il rejoint sa couche pour un sommeil fait de ronronnements célestes et de nuit glacée.



Un visage est-il un masque de comédie posé sur la tragédie de l'âme ?

 
Umbre

Le Sukra 6 Jayar 1509 à 14h20

 
Hatoshal.

Lorsque le lendemain, Umbre s'éveille, le transport est déjà arrivé à destination. Encore assoupi, le Confrère jette un oeil par le petit hublot de sa cabine et découvre la prodigieuse végétation patientant à l'extérieur. Il s'habille précipitamment, prend ses affaires et sort sur le pont, pour admirer la resplendissante forêt qui se dresse sur l'horizon flamboyant. L'air, les odeurs, les sensations se multiplient en quelques secondes et envahissent son corps comme autant de symboles et de signes impérieux, millénaires, éclatants. Pour la seconde fois de son existence, il pénètre sur ce territoire magique et en apprécie la volupté. Il regrette cependant de ne pas voir l'attendre en contre-bas du vaisseau la charmante silhouette de Mellodi, qui l'avait accueilli deux ans auparavant, au même endroit, pour le guider jusqu'à Zarlif où s'était tenu la Journée des Fous.

Non, aujourd'hui, seuls les arbres gigantesques de l'Hatoshal s'offrent à son regard contemplatif.

Il scrute les alentours, à la recherche de ses compagnons de voyage, mais découvre bien assez tôt qu'ils s'en sont allés sans attendre. Peut-être a-t-il trop dormi ? Il retrouvera le jeune bailli et le chercheur au Fundeq de la Confrérie, sans doute. Le Masque salue brièvement ses hôtes Nemens et descend de la plateforme pour prendre la route, après une rapide consultation de ses cartes. Ici, il ne s'agit pas de se perdre. La forêt, presque autant que le désert, peut s'avérer mortel. Surtout l'Hatoshal, qui en plus d'être copieusement peuplé de monstres en tout genre, a la réputation d'abriter de profonds mystères qui pourraient bien égarer le voyageur trop curieux ou trop imprudent. Umbre commence donc sa progression sagement, s'engageant sur le sentier vert qui mène, paraît-il, jusqu'à la Sainte, close au coeur de l'imposante multitude.

Après de longues minutes, l'Ordinant sait à quoi s'en tenir. Le chemin est sinueux mais bien visible au milieu des plantes et de la verdure, sous le gardiennage (ou la menace ?) des immenses frondaisons. Si il reste suffisamment vigilant, il peut éviter tout déboire collatéral. Il passe donc son étui à violon en bandoulière, incante plusieurs sortilèges et reprend sa valise bien en main. Les énergies exaltantes de l'Entropie et de l'Evolution donnent désormais à son corps, et à ses jambes plus précisément, toute la force dont il a besoin pour arriver aux portes de la ville en un claquement de doigts. Et c'est peu dire. Quelques minutes qui auraient dû normalement s'apparenter à des heures, peut-être même à un ou deux jours, s'écoulent sans contrainte pour laisser filer le Confrère à toute vitesse...

Il ne profite guère du paysage, mais il ne doute pas que son séjour à Syrinth lui permettra d'admirer les hautes cimes de l'Hatoshal autant qu'il le désire. Lorsque, finalement, le Masque aperçoit le premier bâtiment, il ralentit son incroyable cadence et sourit derrière son visage d'artifice. Le Fundeq de la Confrérie se trouve là, à quelques mètres, mais surtout, l'admirable cité équilibrienne.

La Sainte Syrinth, fière et majestueuse, en osmose parfaite avec son milieu.
Prodige de la Poussière et de la Nature. Bénie par la Dame Grise.




Umbre est ébloui, tout bêtement....



Un visage est-il un masque de comédie posé sur la tragédie de l'âme ?

 
Umbre

Le Luang 22 Jayar 1509 à 06h38

 
Arameth.

Il en est loin, très loin.
Arameth est à plusieurs centaines kilomètres de distance.
Trop loin pour qu'il s'en soucie. Car Umbre ne se soucie que de ce qu'il peut voir, sentir, entendre.
Maintenant. Tout de suite. Or il ne voit ni ne sent la Cité des Perles Sombres pour l'instant.
Souvenir puissant, certes, mais éphémère, que sa conscience présente - vibrante comme un cyclone - déchiquètera quoiqu'il arrive.
Alors pourquoi y pense-t-il ? Parce qu'elle est marquée au fer rouge dans chaque recoin de son esprit ?
Qu'elle est indélébile ? Qu'il ne peut s'en déposséder ? Que son parfum le hante ?
Qu'elle est l'expression physique de la ligne baroque qui guide son existence ?
Peut-être, peut-être pas...

Mais il y pense, c'est un fait. Et c'est tout ce qui importe pour le moment.
Le consensus s'agite, bourdonne, tourbillonne. "Un Furyan aux portes d'Arameth"...
Il ne peut que deviner, s'imaginer, esquisser des semblants d'hypothèses sur ce qui se passe, sur ce qui se déroule, sur ce qui se trame.
Grâce aux Six, il y a assez de pensées pour s'en faire une idée précise. Assez de peur, d'appréhension, d'attente.
Mais chaque silence est un souffle perdu, pour lui qui est loin. De ce genre de silence où tout peut arriver.
Sont-ils tous morts, déjà ? A-t-il attaqué ? Que se passe-t-il ? Les murailles sont-elles enfoncées, détruites ? Est-il entré dans la ville ? Les faubourgs sont-ils des ruines fumantes ? Autant de doutes fébriles qui l'excitent.

Jour de Massacre à Arameth ?
Il regrette de ne pas être là-bas, pour cela. Un tableau.
Il est certain qu'il y a bien un ou plusieurs tableaux à tirer de tout cela.
Des chansons, peut-être, voir des sculptures. Une symphonie ? La Charge du Furyan...
Oui, il laisse dériver son esprit sur les pensées sombres, scrute ce qui s'y dit.
Mais surtout ce qui ne s'y dit pas. Les sensations, les impressions, le sentiments. Tous les résidus télépathiques les plus intéressants.
Et il sait aussi surement qu'il respire, que le Dandy se tient devant l'Hydre, au milieu du désert. Il peut le voir.
Jemori, face au monstre, diplomate devant l'éternel, grandiose face à la monstruosité, retors face à la médiocrité.
Dernier rempart contre les funestes folies qui s'annoncent. Joueur de fatalités, plaisantin du destin.
Par les Six, qu'il regrette de ne pas voir cette scène pour l'immortaliser à tout jamais.
Du Grand Art. Il en est certain.

Tant pis pour le verbe, la verve, les phrasés.
L'image suffirait. Flamboyante. Splendide. Percutante.
Tirer de cette scène ambiguë sa substantifique moëlle.
Sa quintessence esthétique.

Peu importe que les autres meurent, se battent et tombent.
Ce ne sont que des pions impuissants sur l'échiquier de la Beauté.
Peut-être le combat sera-t-il bon et bien, mais il en doute.
Il n'y aura que du sang, des larmes et de la poussière.
Une violence éperdue et confuse. Laide.

Mais faire face avec les Mots...

Voilà tout ce qui importe. Le Panache.
Voilà ce qui mérite d'être porté au regard de l'éternité.



Un visage est-il un masque de comédie posé sur la tragédie de l'âme ?

 
Umbre

Le Matal 11 Agur 1509 à 20h25

 
Transport Nemen.

Un océan de nuages sur lequel vogue un étrange vaisseau.
Posé contre la rambarde du navire Nemen, le Masque observe avec distance cet intrigant paysage.
Ses réflexions sont un peu au-delà de l'horizon, quelque part entre ici et ailleurs.
Ce qu'il a appris en Equilibrium le laisse songeur. Ses pensées dérivent.
Tant de choses à faire, si peu de Temps.

Il ferme les yeux et respire, bercé par la mélodie du vent et le souffle aérien.
Même la mécanique bruyante des machineries du vaisseau lui paraît cliqueter en rythme.
Est-il, lui aussi, un rouage de la Grande Horloge ? Un rouage ou un grain de poussière ?
Quelle est sa place dans cet univers ? Y a-t-il seulement sa place ?

L'Ordinant tire de sa poche une montre à gousset. Tic, tac. Tic, tac.
Des aiguilles sur un cadran. Un symbole. Une voie.

Les murmures des Obsessions. Leur lancinante et incessante mélopée.
Douce, subtile, troublante, obsédante. Intime et profonde. Et leur rythme de va et vient, d'allée et de venue.
Il les entend maintenant jusqu'au tréfonds de son âme. C'est désormais sa mélodie.

"Être d'interstice" avaient chuchoté les Ombres.
"Nous nous souvenons de toi. Nous t'avons entendu hurler..."
Première métamorphose. Dans les limbes de cet abysse fondamental.

"Nous irons où ira l'être d'interstice.
Pénètre dans les flammes de l'oubli et porte nous.
Nous irons là où il le faudra...
" avaient ajouté les Obsessions.
Seconde métamorphose. Dans le feu transcendantal des âmes Eduens.

Alors qu'est-il devenu entre temps ? Un musicien damné ?
Un joueur de Luth ? Un reflet dans un Miroir ?

La Shaïm. Qu'a-t-elle dit ? "Umbre, mystère et masque.
Intérieur comme extérieur, le Masque reflète ce que les yeux voient ou ne veulent voir.
Parcourant des impossibilités comme d'autres enfants courent dans les rues, en se jouant des dangers.
Une compassion infinie. Qui se tourne vers ce qu'il ne peut comprendre...
La question demeure : que voient vraiment les yeux de l'âme à travers le Masque ?
"

Oui, les yeux de l'âme, que voient-ils ? Que voient-ils vraiment ?
Il cligne des yeux longuement, lentement. Non. Il les ferme.



Un visage est-il un masque de comédie posé sur la tragédie de l'âme ?

 
Umbre

Le Merakih 12 Agur 1509 à 14h43

 
Comme il s'y attendait, la réponse est négative.
Les relations entre la Confrérie et le Matriarcat en sont toujours au même point.
Et cela n'est pas près de s'arranger, sachant maintenant ce qu'il sait à propos de cette affaire.
Mais est-ce réellement important ? Ou grave ? Sans doute pas...
Même la politique doit s'incliner devant la Quête.

A y réfléchir, c'est peut-être mieux ainsi. Que Utrynia lui reste inaccessible.
Trop de souvenirs fragmentés, de mémoires brisées, de vieilles incertitudes.
A-t-il vraiment envie de ressasser le passé ? D'y penser ? Sans doute pas...
La réponse de la Mestre de la Ville est presque un soulagement.

Après tout il est là pour affaire, un simple crochet avant de revenir à Arameth.
Il n'est pas là pour reconstruire son histoire. Il n'en a ni l'envie, ni le temps. Ni le pouvoir.
Passer, marchander, discuter. Et puis repartir. C'est tout ce qui compte, pour le moment.

Malgré ce que lui évoque le Joyau. Son enfance, ses douceurs, ses charmes, ses richesses.
Ses difficultés aussi, largement surmontées par de purs instants de poésie et d'amour.
Des visages et des figures, des lieux et des scènes. Des impressions, surtout.
Le reste n'est qu'oubli, vaste confusion bouillonnante, images chaotiques.

Aucune importance. Il logera au Fundeq de la Confrérie des Six.
Et rencontrera le Sombre Nuage à l'extérieur de la cité.
Utrynia lui tournera le dos, comme autrefois.

*

Le Masque lève les yeux sur le paysage. La mer de nuages a laissée place à des ombres.
De grandes ombres inquiétantes, dressées sur l'horizon comme autant de pics lancés à l'assaut du ciel.
Les montagnes de Kryg et, enclavée dans les géants de roche, la Cité-Forteresse.
Citadelle froide et souveraine. Reine de glaces perdue dans les sommets.
Quelque chose, quelque part, se sert dans son estomac.

Est-ce de la nostalgie ? De l'appréhension ?



Un visage est-il un masque de comédie posé sur la tragédie de l'âme ?

 
Umbre

Le Julung 13 Agur 1509 à 11h04

 
Fundeq d'Utrynia.

Le chemin entre la station, aux pieds des montagnes, et Utrynia, perdue dans les plaines, s'est fait vite.
A grands renforts de ces sorts hautement favorisés par les voyageurs, le Masque a percé le paysage à toute allure.
Et le voilà désormais devant le Fundeq de la Confrérie, installé à quelques pas des remparts de la cité.
Il salue les gardes du Poinçon à l'entrée et pénètre dans le bâtiment.

Le grand hall circulaire qui constitue le coeur du Comptoir est enveloppé d'une douce lumière matinale.
C'est un peu d'Arameth et de sa prodigieuse culture, qu'il retrouve ici.
Avec des touches matriarcales, bien entendu.




Il se dirige sans attendre aux étages supérieurs pour se faire annoncer auprès du Directeur.
Il lui faut un lieu de séjour pour les quelques nuits à venir. Mais pour cela, il a bien besoin de se signaler.
Alors qu'il parcourt les lieux, ses pensées se tournent vers l'affaire Ambroise Lodaüs. Il n'y a pas si longtemps, le Fundeq a été touché par une des plus étranges histoires de ces dernières années. L'ancien Maître-Chant Fencer de Vihalys retrouvé mort dans son bain.
Umbre se demande à quoi ressemble le nouvel administrateur. Un non-symbiosé, assurément.

On le fait bientôt entrer dans le bureau du responsable du Comptoir.
Les deux hommes discutent une petite heure, à propos de l'affaire en question, notamment, et des dernières nouvelles concernant la ville et - par voie de conséquence - la faction. Rien de notable depuis les invasions de Kropocles, les enlèvements d'Anja et le Furyan à leurs portes. Ainsi que les remous de l'affaire Flymeur proche du Pilier. L'Ordinant range tout cela de côté.
Les conséquences de tous ces évènements ne lui sont pas inconnues.
Même si...certaines choses mériteraient d'être déterrées.

Le Directeur lui attribue finalement des appartements temporaires.
Ceux prévus à cet effet pour les ressortissants de passage.

Il prend congé, pose ses affaires et se détend quelques heures.
La fenêtre de sa chambre lui donne une vue immanquable sur Utrynia.
Derrière les remparts, le Confrère distingue les grands bâtiments et devine le Joyau s'étaler jusqu'au Lac des Mères.
Le bourdonnement et la vie de la cité lui parvient jusqu'ici. Passé infranchissable. Mur de l'histoire.
Oui, c'est mieux ainsi. Un appel lointain, profond, ensommeillé résonne dans son âme.
Mais il n'y répondra pas, il le sait. Pas maintenant.

Après avoir gratté quelques mots sur le vélin, il quitte son fauteuil.
Une pensée s'envole vers le Sombre Nuage. Pour un rendez-vous.
Il a vue une taverne à l'entrée de la ville. A quelques mètres du Fundeq.

Un lieu quelconque, dénué d'intérêt, mais tant pis.



Un visage est-il un masque de comédie posé sur la tragédie de l'âme ?

 
Umbre

Le Luang 24 Agur 1509 à 12h31

 
Fundeq d'Utrynia.

Ce matin là, Umbre se réveille avec une idée fixe en tête. Ce genre d'idée que vous avez trituré dans votre sommeil sans vous en rendre compte, presque inconsciemment, au point qu'elle se révèle à vous le matin venu, claire comme de l'eau de roche. Le Confrère est incapable de dire si il en a rêvé ou si c'est le fruit de ses dernières réflexions. Celles que vous vous infligez avant de vous endormir. Mais peu importe. Le fait est qu'elle est là, baladeuse, et qu'il faut la mettre en application dés que possible.

Son esprit est encore légèrement embrumé, mais opérationnel. C'est tout ce qui compte. L'Ordinant fait sa toilette, ressassant encore quelques minutes l'idée en question, pesant le pour et le contre à la lumière de la froide logique et non de l'enthousiasme du dormant. A bien y réfléchir, ce n'est certainement pas un éclair de génie et plusieurs s'y sont déjà essayé, sans nul doute. Alors ?
Alors il a quelques atouts supplémentaires et des arguments qui se valent.
Et considérant la chose sous un angle brut : cela ne coûte rien.

Umbre déjeune tranquillement dans l'intimité de sa chambre. Avant de s'habiller, de se masquer, de se parfumer et de sortir. Il demande alors à l'intendance du Fundeq qu'on lui prête un lieu. Un atelier, de préférence. Pour qu'il puisse y travailler tranquillement. Après une minute de doute et d'hésitation, on le mène un peu à reculons dans une officine à l'abandon.



Le local, pour ainsi dire, n'est pas entretenu. Les artistes de passage dans la région doivent crier au scandale.
En d'autres temps, en d'autres lieux, il aurait fait valoir son pouvoir et son influence pour changer les choses.
Mais il n'est plus Chambellan de l'Art... Umbre renifle bruyamment et rentre dans la pièce.
Il espère que ce n'est pas un reflet de la politique du Directeur en matière d'Art.
L'homme lui est pourtant relativement sympathique.

L'endroit a au moins l'avantage d'être lumineux, une lucarne bien orientée laisse entrer une abondante aura blanche.
Le tout est sommairement équipé. Un vieux piano qui marche, une table, des chaises et un chevalet branlant.
C'est peu mais c'est tout ce dont il a besoin. Il fait glisser ses doigts sur la toile qui sommeille.


*

Divination. Il est là pour une divination.
Il lui faut donc procéder selon les trois phases propres à celles-ci.
D'abord, la phase matérielle :

Le Masque s'installe sur le tabouret qui fait face à la toile. Il sort sa trousse de pinceaux et de couleurs.
Il utilise une planche de bois craquante comme palette. Le cérémonial est fin prêt.
Il inspire, expire, respire. Puis sort de son veston une montre à gousset.
Qu'il dépose à côté de lui, sur une chaise. Les secondes défilent.
Le pinceau dans l'eau et un peu d'essence de térébenthine.
Une couleur, n'importe laquelle. Du gris, par exemple.
Il écrase la tête de son outil sur la toile.

Souffle. Respiration. Souffle.
Maintenant, la phase corporelle :

Le Masque ferme les yeux, se laisse guider par le son des aiguilles qui résonnent de leur tic, tac.
Il se met à dessiner à l'aveugle les arabesques qui lui viennent. Puis murmure, comme une litanie :
"Le Temps est la clef d'une porte que vous ne voulez pas ouvrir"

Et enfin, la phase spirituelle :

Tout en poursuivant son oeuvre, le Masque se replie en lui-même.
Et tend son âme comme un ressors vers celle de sa cible.
Sa cible ? Kryniosias. L'Horloger.


*

Umbre peint, peint et repeint. Formes et couleurs. Concentré sur son sujet.
Les yeux fermés mais l'âme grande ouverte. Conciliant Temps et Art.
Les deux principes qui le guident. Qui guident la Confrérie.
Mais il est alerte, en éveil. Car son sujet est complexe.



Un visage est-il un masque de comédie posé sur la tragédie de l'âme ?

 
Narrateur

Le Vayang 28 Agur 1509 à 13h57

 
***
Le pinceau hésite.
Il dévie, se reprend, se malmène l'âme.
Puis un déclic.
Après une heure ou une année. Umbre n'est plus conscient de cela.
A l'intérieur de lui, le pinceau s'éveille.
Se reprend. Se malmène l'âme.

Et peint...



L'improbable se produit.
Le tydale n'est pas le meilleur pour cet art de la divination.
Mais en lui vibre ce qu'en nul autre ne vibre.

Obsession...
***


 
Umbre

Le Dhiwara 30 Agur 1509 à 12h33

 
Le peintre observe fasciné sa propre création. De longues minutes.
Il retire l'un de ses gants, maculé de couleurs fraiches, pour poser ses doigts sur la toile.
Il cherche à saisir dans ce tableau ce qu'il ne comprend pas, il cherche aussi à saisir ce qu'il en comprend.
Sa main, guidée par les Obsessions et les arts divinatoires, lui a délivré une bien belle énigme. L'énigme d'une énigme. Comme toujours, avec l'Horloger. Il sourit derrière le Masque, hautement satisfait. Sans vraiment savoir pourquoi. Peut-être que l'image est belle, tout simplement. Ou que les pistes qu'elle lui offre le sont tout autant. Le fait est qu'il est sensible à la poésie dégagée par l'oeuvre. Elle lui rappelle quelques portraits confraternels, sombres et mystérieux, sujets à mille interprétations.
Mais il y a quelque chose de plus ici. Quelque chose d'onirique et...d'intemporel.

*

Après son instant de rêverie, de torpeur, Umbre reprend conscience.
Kryniosias, la neige et la glace, la grotte, les papillons féeriques, le ciel sans étoiles...
Le mouvement figé dans le temps, le regard obscur et sans âge de l'Horloger, les arabesques magiques.
La caverne est-elle une représentation de celle où Kysall a effectué son rituel ? Est-ce une autre, qui n'a rien à voir ?
Le sol, la roche enneigée symbolise-t-elle ces montagnes perdues au milieu de l'univers ?
Mais plus important que tout...qu'est-ce que Kryniosias est venu faire là ?
Cherche-il à rencontrer ces petites étrangetés nitescentes ?
C'est sur elles que son regard s'arrête. Pourquoi ?

Autant de questions. Une énigme dans une énigme. A décrypter.
Les mystères de l'Art, heureusement, sont des mystères qu'il connaît.
Mais n'en demeurent pas moins des mystères. Il y a là de précieux indices, mais lesquels ?


*

Pour le moment, il est quasiment certain de deux choses :

La première, il est de plus en plus probable que cet endroit se trouve dans les montagnes du nord.
C'est là-bas que Penthésilée a eu sa vision de Kryniosias, aussi trouble et brève fut-elle, et cette peinture, comme une pièce voisine de ce vaste puzzle, pourrait bien venir s'imbriquer là, à sa suite. Ce n'est pas la neige et la pierre qui manquent sur Syfaria. Mais mise à la lumière de cette apparition onirique (de l'endroit où elle a eu lieu, surtout), cette image prend une autre perspective...

La seconde certitude est plus important encore. Les Obsessions peuvent l'aider à trouver Kryniosias.
Et cette révélation n'est pas des moindres. Il ignore si c'est cela est dû à la puissance des Artéfacts ou si le lien qui existe entre l'Horloger et les objets mythiques est plus intime et plus fort qu'il ne pouvait l'imaginer jusque là. Mais c'est un fait.
Il y a visiblement un rapport bilatéral entre le chercheur et son sujet. Umbre en sait quelque chose...

En conséquence de quoi, il lui faut sérieusement songer à se rendre dans ces terres maudites, voir cette grotte et ces alentours.
N'en déplaise au Terreau. Est-ce là un autre appel de l'Horloger ? Un autre signe ? La main tendue du Hasard ?

Le Masque reste quelques instants figé sur sa chaise.
En proie aux questionnements et aux réflexions.
Il n'a, pour l'instant, qu'une chose à faire.
Une pensée s'envole.


Un visage est-il un masque de comédie posé sur la tragédie de l'âme ?

 
Umbre

Le Luang 28 Saptawarar 1509 à 11h15

 
Fundeq d'Utrynia.

" Chère Stance,

Pardonne mon silence. Depuis combien de temps ne t'ai-je pas écrit ? Je n'ose même pas me prêter à cet insolent calcul, de peur de mourir de honte... Mon existence de ces derniers mois - de ces dernières années, devrais-je dire - a pris un tournant inattendu et particulièrement mouvementé, ne me laissant que peu de temps pour moi-même, mes projets ou mes petits loisirs strictement personnels. Avec mon accession au poste de Chambellan de l'Art, je croyais que ma vie si chaotique avait enfin trouvé une ligne directrice fixe et rassurante, avec un objectif clair. C'était sans compter sur les effets de la symbiose, puis sur la folie naturelle du monde et de ses habitants, sur les caprices de mon vieil ennemi le Destin et sur les facéties plaisantes du Hasard, mon guide bien-aimé. Enfin, tout cela, tu le sais déjà. Nous avons eu l'occasion d'en discuter, un peu. Non, je t'écris aujourd'hui pour une toute autre raison.

Je me trouve actuellement au Fundeq d'Utrynia, ma ville natale, le berceau de mon enfance. J'y étais pour affaire et je m'apprête dans quelques heures à quitter la région pour rejoindre Arameth. Mais comme tu t'en doutes, tout ne s'est pas exactement passé comme prévu. Comment en aurait-il pu être autrement, pour un Orphelin du Déclin retournant après de si longues années dans la faction qui l'a élevé ? Ce que j'y ai trouvé, c'est bien plus que ce que j'étais venu y chercher. Ce retour aux racines, en partie inconscient et involontaire, s'est révélé extrêmement enrichissant, alors même que le Matriarcat a interdit l'accès de ses villes aux ressortissants de la Confrérie. Cette richesse que j'évoque, je la dois à deux choses : des souvenirs et des femmes. Je ne m'attendais guère à revivre les premiers et j'appréhendais ma rencontre avec les secondes. Car ces deux facettes sont pour moi la définition la plus pure que ce que le Matriarcat représente pour moi. Les mémoires du passé et le caractère de la gente féminine.

Je pense que tu comprendras pourquoi je ne vais pas m'attarder sur les premiers. Tu sais à quel point mes souvenirs sont fragmentés, sélectifs et troubles. Semblables à des rêves oubliés aux tournures esthétiques à la fois arrangeantes et dérangeantes. Je suis un homme qui regarde vers l'avenir et qui se sert de l'histoire quand cela lui profite. Je ne m'y attarderais pas non plus pour des raisons strictement personnels, pour ne pas dire profondément intimes. Non, ce sont des femmes dont j'aimerai te parler. Un sujet que tu connais bien et qui nourrit toujours nos conversations.

J'ai fait deux rencontres. Deux femmes exceptionnelles. Deux Sang-Âme.
A croire que, d'une façon ou d'une autre, je suis lié à cette Famille qui n'en est pas.



La première s'appelle Luisandre Kharylïen, mais elle se fait généralement appeler par d'autres noms. Car elle est schizophrène. C'est une âme à multiples facettes, complexe comme un puzzle, que j'avais déjà rencontré dans les faubourgs d'Arameth, quelques mois auparavant. Elle prétendait être une vieille Nourrice en voyage touristique à la Perle (Rylionette), alors que c'est une Anja dans la fleur de l'âge. Cette fois-ci, c'est aux portes d'Utrynia que je l'ai revu et j'ai vite compris qu'elle n'était pas gentiment dérangée - comme je l'avais cru la première fois - mais bel et bien folle, dans le sens strict du terme. Elle est véritablement habitée par différentes personnalités qui se succèdent les unes aux autres selon des schémas qui me sont encore étrangers et qui répondent visiblement par un mélange de stimulus extérieurs (environnement, interlocuteur, situation...) et internes (émotion, impression...).

Cette fois-ci, j'ai eu la chance de croiser trois de ces identités. Une jeune anonyme timide et mal-à-l'aise, un chevalier de conte de fées (Drekaro) ne jurant que par l'honneur et une sorcière entropiste vouant un culte étrange au Chaos. Autant te dire que je me suis adapté avec grand plaisir aux exigences imposées par la présence de ces mentalités variées. J'ai entraîné la première dans une valse, j'ai affronté le second dans une joute verbale et j'ai dangereusement flirté avec la dernière. Des instants de pure excitation et de partages tantôt harmonieux, tantôt absurdes, desquels j'ai tiré une profonde satisfaction. Un rafraichissement spirituel comme je n'en avais pas eu depuis longtemps...

Ce seul fait pourrait placer Luisandre dans le panthéon restreint des quelques personnes pour qui j'éprouve une réelle fascination, tendresse et respect. Et les Six savent qu'ils se font rare. Mais il y a quelque chose d'autre. Je ne parle pas de sa beauté, bien entendu, ou de son charme. Je parle de cette force qu'elle dégage, ce souffle brute et incontrôlable qui la possède, cette démence essentielle et attractive qui semble quelquefois s'exprimer au travers de l'intrigant tatouage qui orne son front. Il y a, j'en suis certain, un mystère derrière sa schizophrénie flamboyante et je suis bien déterminé, un jour ou l'autre, à en dévoiler la nature....



La seconde s'appelle Shyama, ou plus communément surnommée Sombre Nuage. Je crains, dans son cas précis, de manquer de mot pour la décrire, elle, et la relation si particulière qui s'est établi entre nous. Je peux commencer par te dire que Shyama est une maîtresse en création de lames et de bijoux, réputée dans tous le Matriarcat mais également dans tout Syfaria pour la beauté, la précision et l'excellence de son travail de forge et d'orfèvrerie. Plus qu'une maîtresse, c'est une prodige. Les deux épées et l'anneau dont je lui ai fait la commande sont là pour en témoigner. Elle modèle la matière comme nul autre, au point de lui donner une âme.

Et sur les âmes, elle en connaît un rayon. La sienne est splendide : déchirée, effilochée, fragmentée par une ancienne révélation que ses yeux et sa conscience n'auraient pas du contempler de si près. C'est ainsi qu'en plus d'être prodige, c'est une oracle déchue. Nous avons longuement parlé, tous les deux, dans le cadre de ce qui m'amenait à Utrynia (à savoir elle et son savoir-faire) et nous nous sommes vite découverts des points communs, si intenses et profonds qu'il m'est impossible de te les détailler clairement. Une compréhension mutuelle transcendant nos différences, basée sur une nature semblable (frayant avec la démence), des origines communes et un véritable mysticisme esthétique.

Elle et moi sommes deux Chimères perdues dans cette prison géante dont la clef de sortie se trouve dans l'Art.
Torturés par le Destin : c'est un Nuage, je suis une Ombre. Partageant les mêmes sombres teintes...
Elle est pour moi ce que l'Epée et à la Plume, ce que l'Acier est au Verbe.
Peut-être sommes-nous les âmes-soeurs d'un amour impossible ?

Pardonne-moi encore une fois, les mots me manquent et tu sais pourtant combien j'aime en user.
Je ne pourrais l'expliquer plus simplement. C'est ainsi. Et cela, pour le moment, me suffit.

Je m'apprête maintenant à quitter Utrynia, paré d'un ouroboros magique au doigt et de deux lames de lunes.
Nourri par le parfum de vieux souvenirs et l'essence de ces deux Muses. Prêt à affronter les mystères qu'un tableau récent, que j'ai peint sous l'emprise de la Divination, de l'Inspiration et du pouvoir des Obsessions, m'a révélé.

Je sais un peu mieux qui je suis, je sais aussi ce que je vais faire.
Mon retour à Utrynia était visiblement plus que nécessaire.

Je t'embrasse tendrement,
Ton Masque. "


Un visage est-il un masque de comédie posé sur la tragédie de l'âme ?

 
Umbre

Le Julung 1 Otalir 1509 à 14h35

 
Vers Arameth.

Cela fait plusieurs jours que le barde a quitté Utrynia et arpente la route en direction du Sud étincelant.
Ce Sud à qui il appartient, quelque soit ses origines ou son histoire. Le Sud des dunes chaudes, lascives et mortelles.
Le Sud du désert et de l'ardente lumière. Le Sud qui, en son sein, abrite les perles sombres des Six.
Un Sud qui ne lui manque pas, mais qu'il aime. Un Sud qu'il doit revoir, le temps d'une danse.
Sa silhouette gracieuse traverse les landes et les forêts, heures après heures.
Les bottes usées par la marche mais l'esprit libre et vif.

Quelques sardoines volent dans sa main, jongle précieuse et interdite avec la richesse du monde.
Quelques cristaux de plus, quelques cristaux de moins. Il n'en a guère plus dans ses poches.
Car c'est désormais armé qu'il avance dans les défilés et les ravins qui ponctuent l'île.
Il cligne des yeux, observe la course des astres solaires, puis des lunes jumelles.
Le ciel change de robe comme une femme coquette aux goûts vibrants.
Mais il y est insensible. Ce n'est pas son amante, ni sa maîtresse.
Avec les lunes, seules, il s'entend. Ce qu'il faut au poète.

Quand il arrive au bord, là où la verdure s'incline face au sable impérieux, il sourit.
Son masque figé, lui, ne bouge pas. Faux tressaillement, impression de mensonge sur le voile blanc.
Il est le pantin ou le marionnettiste, bientôt le grand soir et la scène flamboyante pour pleurer. Il tâte.
Sa main glisse dans les cendres jaunes ou blanches d'Amody. Il hume l'air. Il renifle.
Il pose son derrière à l'arrière d'une caravane qui s'engage sur le chemin.
Les commerçants parlent comme des philosophes de comptoir.
Les bêtes puent et meuglent en tirant les chariots délabrés.

Quelques heures, longues comme un bras d'éternité. Dures comme l'attente du mourant.
On voit finalement se dresser les pyramides des Horloges dans l'horizon tourmenté.
A la fois majestés du temps et timides derrière leurs murailles de mystère.
Les vieux chants d'Arameth résonnent aux oreilles lasses du comédien.
Il contemple sa nouvelle chevalière d'intenses magies.
Religion de l'Art, secte de l'Illusion.

Dans les faubourgs, il descend sur ses deux pieds, son grand sac en bandoulière.
Quelques plumes de corbeaux sur son grand chapeau quittent le navire dans le vent amoureux.
Il s'étire. Chat de noir et d'argent aux élancements spirituels. Il baille sans en avoir l'air.

La route se termine. C'est ce qu'elle veut faire croire.
Mais en vérité, elle ne fait que commencer.



Un visage est-il un masque de comédie posé sur la tragédie de l'âme ?

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