Les Mémoires de Syfaria
La région d'Utrynia

Le Nuage et le Masque

Où il s'agit de Lames et d'une Brillante
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Sujet lancé par Umbre
Le 13-08-1509 à 11h16
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Posté par Umbre,
Le 22-09-1509 à 09h42
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Umbre

Le Julung 13 Agur 1509 à 11h16

 
Quelques minutes de marche, après avoir quitté le Comptoir, Umbre se retrouve devant la taverne.
Il s'installe à l'une des quelques tables disposées à l'extérieur, sur une sorte de terrasse improvisée. Et observe au passage les allées et venues incessantes des commerçants et des voyageurs sur la route qui borde les lieux.
Il commande à boire, mais sait qu'il ne touchera pas à son verre.
Ses doigts pianotent en rythme sur la table de bois.

Et il attend son rendez-vous, l'esprit ailleurs. Il ignore pourquoi, mais une forme de trouble grandit en lui.
Est-ce à cause de son interlocutrice à venir et de ce qu'il est censé lui dire ? Est-ce à cause d'autre chose, quelque chose de plus vaste et de plus important ? Il lève les yeux, presque machinalement, vers le ciel. Il est bleu, clair, parsemé de quelques nuages timides.
Puis il baisse le regard sur sa main droite, gantée de noire, sertie de deux anneaux magiques.

Il tire deux dés de sa poche et les fait rouler. Aujourd'hui, il sera le prince de noir et d'argent.



Un visage est-il un masque de comédie posé sur la tragédie de l'âme ?

 
Shyama

Le Vayang 14 Agur 1509 à 21h46

 
*** Une silhouette échevelée émergea de la foule se pressant pour passer les portes d'Utrynia.
Serrée d'en d'étranges vêtements bariolés, des fleurs dans les cheveux, la démarche étrange, elle était un pélican parmi des une armée d'oies.

Des petits pas chaloupés la conduisirent dans la taverne.
Un bref regard lui révèlerent le fameux Masque.

La Maîtresse Artisane s'assit sans façon en face du visage inerte, et secoua ses cheveux en guise de salut.
***


Aka'jar, Masque aux Belles Paroles.
Le Nuage espère que les Etoiles lui ont offert un voyage propice ?


Shyama,
Sombre comme un Nuage

 
Umbre

Le Sukra 15 Agur 1509 à 10h12

 
Le Confrère dût bien convenir de sa surprise. La dame qui se tenait devant lui n'était pas tout à fait le type matriarcal. Une ample et longue chevelure, des vêtements colorés, des fleurs et des bijoux, ainsi que d'intrigants tatouages. Il s'était plutôt attendu à une grande athlète à l'air sévère et au crâne rasé, avec des jambes comme des baguettes. Il était loin du compte, mais le décalage était agréable, assurément. Peut-être aurait-il dû s'en douter ? Avec la réputation du personnage, sa famille d'appartenance et sa façon de s'exprimer, il y avait de fortes chances qu'il tombe sur une originale. Ce qui n'était pas pour lui déplaire. La poésie de son verbe l'avait déjà conquis et l'esthétique de son style achevait de le convaincre.

C'était une belle âme qu'il avait en face de lui.


Les voyages sont toujours propices, pour peu qu'on sache en profiter. Même lorsqu'ils vous font remonter les vicissitudes de la mémoire jusqu'aux lointaines sources de l'existence.

Parler du passé n'était pas son genre, mais il devait regarder les choses en face : le fait de revenir à Utrynia après tout ce temps le travaillait bien plus qu'il ne le désirait. Parler sans en parler, même à une inconnue, le libérait inconsciemment de ce poids incongru.

Les Etoiles m'ont guidé à bon port, malgré leur indéniable volonté de me faire ressasser quelques chimères perdues.

L'Ordinant mit de côté ses réflexions, de peur - presque - d'en dire trop et rangea les dés qui traînaient toujours sur la table.

Et vous, des souvenirs de ce puits aux illusions du présent, le chemin n'a pas été trop dur ?

Lien inattendu d'une conversation à l'autre, toujours bon à prendre pour détourner, rebondir et broder sans en avoir l'air.

Mais je vous offre à boire, peut-être ?

Et de songer que la scène devait être pour le moins étrange...
Elle parée de toutes ces tissus bariolés et lui de ce costume noir aux bordures d'argent.



Un visage est-il un masque de comédie posé sur la tragédie de l'âme ?

 
Shyama

Le Sukra 15 Agur 1509 à 17h33

 
*** Shyama se perdait dans la contemplation du visage pâle dénué d'expression qui lui en rappelait un autre qu'elle aimait tant.
De même, seuls les yeux reflets de l'âme possédaient l'étincelle de vie. Unique preuve d'une présence poussiéreuse derrière cette armure de mystère.

La même sobriété de la parure et du paraître....

Un petit pincement au cœur qu'elle tenta vainement de chasser en acquiesçant. ***


S'arracher à la pesante torpeur nostalgique de Ce qui fut déchire toujours un peu l'âme.
Elle y reste accrochée, là-bas.
C'est un doux sacrilège que de briser ainsi les Fils tressés par le Tableau.
Tabou, mais nécessaire.

Noyer la douleur de l'âme dans la douceur de l'ale ?
Remède dérisoire mais néanmoins appréciable.

La Sombre en serait reconnaissante.


*** Un nouveau silence contemplatif.
Les Etoiles restaient muettes sur ce mystérieux joyau aux mille facettes chatoyantes.
Ce ne pouvait qu'aiguiser la soif de la Sang-Âme dans sa passion dévorante du beau.
Elle provoqua donc timidement les talents de l'élégant orateur d'une question anodine : ***


Mais avant la récompense de la chaude caresse du Brûlant, le Nuage écoute. S'imprègne pour imprégner.
Quels sont les désirs du Masque ?


Shyama,
Sombre comme un Nuage

 
Umbre

Le Sukra 15 Agur 1509 à 19h40

 
Les mots chantants du Nuage caressaient l'esprit tourmenté du Masque comme un baume apaisant ou une étoffe soyeuse. Les yeux vairons se plissèrent dans l'ombre, cherchant à distinguer dans la femme qui lui faisait face le parfum d'un souffle ancien et puissant. Des reflets ou des échos de cette âme virtuose qui, derrière, agitait les fils de si charmante matière. Le Confrère était à moitié hypnotisé par son interlocutrice, répondant à la présence du Beau comme il l'avait toujours fait. Un serpent à l'écoute d'une mélodie inaudible ou un chat face à des apparitions mystiques.

Il laissa flotter un silence, tout à ses réflexions. Sur cette muse inattendue placée sur son chemin et sur la réponse à cette étrange question. Il en était presque troublé. L'interrogeait-elle sur sa commande ou sur ses désirs...en général ? Après tout, n'avait-elle pas dit - par pensée - qu'il lui fallait connaître son interlocuteur pour lui forger ses lames ? Cela pouvait prêter à confusion. Il préféra donc éluder ce problème sans solution et se laisser aller à dire ce qui lui venait.

Face à elle, il se sentait libre de parler. Chose qui ne lui était pas arrivé depuis bien longtemps...


Mes désirs ? Mes désirs... Multitude confuse et absolue.
Les désirs du Masque sont le Masque. Ils viennent s'égarer dans le labyrinthe abscons de la démence, où règne en maîtres l'Art et le Temps. Deux amants maudits par les facéties du Destin, du joug duquel le Pantin que je suis cherche à s'extraire en tirant les fils du Hasard. Jouer, jouer et rejouer en bravant les interdits et les règles, la morale et ses lois oppressantes. Mais jouer avec brio, panache et élégance. Jouer sur le théâtre du monde.

Ce que je veux, Sombre Nuage, ce sont les armes de la tragédie. L'épée du parricide, du régicide, du déicide. Je veux des pinceaux d'acier pour écrire en lettres de sang les prochains actes de cette pièce que nous vivons. Je veux des plumes de mort pour faire chanter les alexandrins de notre histoire. Je veux des aiguilles pour faire danser les secondes du temps sur l'horloge de l'éternité. Ce que je veux, Sombre Nuage, ce sont des larmes pour un artiste damné.


Il avait déclamé sans élever la voix, mais ses yeux brillaient d'une étrange lumière et ses mots, assenés avec conviction et profondeur, résonnaient au-dessus des deux symbiosés comme des pensées offertes - sacrifiées ? - au son.

Puis le Confrère écarta les bras, les paumes vers le plafond et poursuivit son discours en détaillant son idée.


Une rapière aux six entrelacs pour les duels au clair des lunes, sur les toits d'Arameth ou sur les ponts qui enjambent ses canaux nitescents. Une rapière de taille et d'estoc, pour un premier ou un dernier sang, rien d'autre. Une rapière pour un bretteur d'allure et d'éclats, de masques et de parures. Une rapière pour négocier avec les rêves du prestige.

Une danse morbide, aux six entrelacs également, pour les alcôves des palais, pour les mensonges mortels et les ombres opaques de la trahison. Pour les règlements de comptes et les dénouements sanglants. Pour les meurtres amers et les complots implacables. Une morbide pour un marchand de sables confié aux horreurs de la nuit.

Je veux des artéfacts, des reliques pour ma religion. Le culte du Beau.
Qui étend son dominion sur les oeuvres de la lumière ou sur les cauchemars de l'ombre.


Ainsi avait-il parlé pour les Lames. Il savait le sujet de la Brillante plus sensible, aussi s'abstint-il de l'aborder dans la foulée.
Il attendait de voir avant tout si l'artisane adhérait déjà à cette première liste, cette première expression du désir...



Un visage est-il un masque de comédie posé sur la tragédie de l'âme ?

 
Shyama

Le Sukra 15 Agur 1509 à 21h27

 
*** Au fur et à mesure qu'Umbre parlait, les yeux de métal de la Sang-âme s'animaient progressivement.
Si le Confrère portait un masque sur le visage, celui de l'Artisane était sans conteste la lourde chape glacée, sans vie, qui voilait son regard face à l'inesthétique banalité du quotidien.

Mais sous l'effet de ses mots, le gris métallique semblait se réchauffer, s'éveiller d'une profonde torpeur.


Elle se laissait porter par la douce musique des mots, s'émerveillait des idées qu'ils portaient, se ravissait d'y deviner un amour poétique et profond de la seule chose qui faisait battre son cœur.

Dans cette musique-là, dans ces notes exotiques, elle reconnaissait avec étonnement des rythmes qui battaient en accord avec sa propre mélodie.

Elle n'était pas loin de sourire...
***


Aux mots du Masque, le Nuage regrette plus encore de n'avoir pu survoler les beautés de la Perle....
Comme ses frères éthérés, stationner au-dessus de l'Interdite, et l'admirer, sans y toucher, de peur de l'abîmer.
Se laisser bercer par ses effluves mélodieuses, admirer la fine poésie de son langage exotique.
Son âme sont-elles toutes si belles ?

Voilà que revient la nostalgie de l'Inconnu.

Puisque l'éther n'est pas autorisée à y toucher, elle y apportera sa contribution....
Les images merveilleuses que le Masque fait danser dans son cœur ne la laisseront de toute façon pas en repos tant que leurs courbes de métal ne seront pas nées de ses mains.

Maintenant que leur doux arôme a chatouillé les papilles de ses âmes, elle ne sera pas rassasiée tant qu'elle ne s'y sera pas plongée toute entière.
Pas satisfaite tant que leur image parfaite n'aura pas pris pied dans la commune réalité.

Pour l'adoucir, la rendre plus supportable de leurs pointes acérées.
Trancher à vif l'Insupportable Trame de Poussière déliquescente.
Être illusoirement rassérénée par leur présence, figée sur le déséquilibre du Précipice....

La Sombre pour amener à la Lumière les désirs du Masque.


*** Illuminée.

Apaisée et trépignante.

Déterminée. ***


Shyama,
Sombre comme un Nuage

 
Umbre

Le Dhiwara 16 Agur 1509 à 15h41

 
L'étincelle de vie qui s'était animée au fond du regard gris du Nuage n'avait pas échappé au Masque, tout comme cette réponse où dansaient les flammes de la passion. Il était heureux d'avoir touché l'artisane et de voir qu'ils se comprenaient. De voir que d'une certaine manière, ils parlaient la même langue. Il pouvait avoir confiance, ses désirs seraient très certainement matérialisés au-delà de ses espérances. Cela se sentait dans chacune des paroles de Shyama. Et lui-même était déjà curieux de contempler les futurs prodiges de la modeleuse. Car maintenant qu'il l'avait en face de lui, il était difficile de douter. Ses oeuvres devaient certainement s'apparenter à des miracles de la matière, de l'art pur, frayant avec d'anciennes sorcelleries...

Et c'était à son sens ce qui manquait en Confrérie. Leurs artisans étaient bons, mais ils étaient trop utilitaristes.
Le Sombre Nuage était à un niveau d'excellence incomparable. Il le devinait à sa simple manière de parler de ses futurs créations.
Elle voyait et donnait vie à des choses que la plupart de ses pairs ne voyaient pas.
C'était là le propre d'un véritable artiste, d'un génie et d'un fou.


Je suis sincèrement désolé que le Nuage n'ait pas pu voir la Cité des Perles Sombres.
La tradition, dont le sens m'échappe quelquefois, est d'une ténacité incomparable. J'entrevois de multiples raisons à cette obturation, mais j'estime que des regards comme le votre devraient pouvoir se poser sur une ville comme la mienne.
La Confrérie, cependant, tient trop à ses mystères et à ses secrets, qu'elle cultive jusqu'à la déraison.
Alors que, enfiévrée par son triste paradoxe, elle cherche pourtant à tous les dévoiler.

Mais il est vrai qu'il y a à Arameth, des choses que nul ne devrait voir.
Et ce sont ces mêmes choses qui me poussent aujourd'hui à vous demander ces lames.
Il y a des énigmes qu'il me faut percer, au sens figuré. Comme au sens propre...

N'en doutez pas, Sombre Nuage, quand vous dites qu'à défaut de pouvoir y toucher, vous allez y contribuer.
Rien n'est plus vrai. Ces deux épées.... La Confrérie des Six s'en rappellera encore longtemps.
En me les forgeant, vous allez marquer un peu du destin de ma Faction.
Peut-être même de Syfaria toute entière...


Il n'y allait certes pas de main morte, mais il était profondément convaincu de ce qu'il avançait. Avec les récentes affaires qui déversaient leur sombre fiel dans la vie d'Arameth, la Confrérie empruntait un tournant décisif. Un tournant auquel il comptait bien participer - comme il l'avait toujours fait. Et avoir des armes à ses côtés n'était pas un détail superflus.

Si vous le voulez bien, je viendrais régulièrement vous compter leurs dernières aventures.
A défaut de voir l'Interdite de vos propres yeux et d'en parcourir les rues, vos Lames le feront à votre place.
Et je n'omettrais rien. De fait, vous saurez tout. Par mes mots et leurs stigmates.

Qu'en dites-vous ?


Il adorait tout particulièrement mettre au point ce genre de contrat. Certains Confrères de la vieille école en étaient friands. Cela leur permettait d'associer leur nature mercantile avec leur goût pour les histoires, les contes et les légendes. Quelques vieillards fous prétendaient mêmes qu'à une époque, tout le commerce de la faction fonctionnait sur seul principe. Difficile à croire mais agréable à supposer. Lui aimait également l'idée d'imbriquer une autre forme de partage, abstrait et spirituel, dans un échange concret et matériel. Douce mise en abîme. Mais il avait aussi un autre point à soumettre à son interlocutrice....

Puis-je....puis-je vous parler de la Brillante ?
Tenter de vous convaincre ?


Un visage est-il un masque de comédie posé sur la tragédie de l'âme ?

 
Shyama

Le Dhiwara 16 Agur 1509 à 21h32

 
*** Shyama resta un long moment pensive.
Un arrière-goût amer... l'impression déjà-vue qu'on agitait un jouet coloré pour détourner son attention, ses envies sur un ersatz de ses désirs.

Comme Sintoma, elle préférait constater par elle-même.... Un seul sens ne suffisait pas pour rendre la beauté d'une chose. Il fallait le vivre complètement, par chaque pore de l'être.

Mais elle ne trouvait rien à redire. C'était sans conteste mieux que rien.


Aussi finit-elle par acquiescer d'une secousse de cheveux. ***


C'est là l'objet de nos enfants que de parcourir le monde et d'en découvrir les merveilles à notre place....

Mais elle ne peut qu'accepter le pansement proposé pour son âme déçue.

Et être ouverte aux mots du Masque.


Shyama,
Sombre comme un Nuage

 
Umbre

Le Luang 17 Agur 1509 à 14h47

 
Le Masque observe le Nuage plongée dans ses pensées, des pensées qu'il aimerait bien attraper au vol comme autant de somptueuses perles, certainement. Il est soulagé par sa réponse, bien que sensible au sentiment sous-jacent qui perce dans le phrasé. Ce n'est qu'un pansement, oui, mais il n'a rien d'autre à offrir. Il n'y a qu'à espérer qu'il se montre bon médecin. Il lève la main à l'adresse du service, afin de se faire servir à boire. Une autre forme de soins...

Je suis bien conscient d'être quelque peu indélicat, en insistant à propos de cette Brillante. Et je m'en excuse par avance. Vous m'avez bien fait comprendre que vous aviez cessé de vous exercer dans cet art, mais dans le même temps, vous avez émis l'hypothèse que rien n'était impossible, si l'on soumettait à vos talents un défi exaltant et profitable.

Il ne tient donc qu'à moi de vous dresser une désirable esquisse de cet anneau de puissance. Tout d'abord, et j'ignore si cela vous importe, sachez que je suis prêt à y mettre le prix et que j'ai à ma disposition certains des ingrédients nécessaires à son élaboration. Des turquoises brutes et un anneau de quintessence supérieur.


Le Confrère marque une pause, achevant là son introduction et après une courte pause, reprend :


Comme vous vous en doutiez peut-être, je suis un homme de théâtre avant tout. Dramaturge, metteur en scène, comédien... Je me complets dans le verbe, le jeu et les apparences. La façon dont j'emploie la sorcellerie est basée sur les principes de mon art. C'est pourquoi mon goût naturel pour le Hasard m'a mené vers l'Entropie et ma passion pour les fantasmes de l'esprit vers la Chimère. Je suis un illusionniste, un charmeur de mirages, un faiseur de fantômes. Point d'éclatantes destructions et de feux salvateurs, pas de magie flamboyante ou d'effluves colorées. Lorsque j'emploie les fausses-vérités de la Sphère du mensonge, c'est à deux fins. Essentiellement.

La première se noue sur les planches du théâtre, pour faire danser des costumes éthérés et fasciner le public avec des rêves scéniques. Doubles, images trompeuses, métamorphoses et truquages magiques pour instiller le doute et l'émerveillement. Manipulation des sens, manipulation des idées. Pour faire briller mes étranges comédies avec des charmes d'imposture, des arabesques mythiques et des reflets hypnotiques... Donner au Théâtre les moyens de son ambition.

L'autre fin est peut-être plus fondamentale encore. C'est pour donner la vie. L'illusion de la vie...


L'Ordinant s'arrête et se penche vers son sac de voyage, dans lequel il fouille quelques instants pour en tirer une marionnette. Il la pose sur la table, entre lui et Shyama. Ce n'est pas une de ses réalisations les plus complexes, mais Umbre apprécie justement ce pantin pour sa simplicité. Elle n'a qu'un seul bras, long et articulé et le bas de son corps n'est qu'un drapé multicolore.

*** ***


Il insère des anneaux de bois à la plupart de ses doigts, reliés au jouet par des fils d'acier. Puis, au fur et à mesure qu'il agite les mains, deux effets se produisent : la marionnette prend vie, bien entendu, mais dans le même temps, le Masque incante. Des sorts simples de Chimère viennent soutenir son effort artistique, qui donne de plus en plus de crédibilité à l'objet animé.

Une lumière dans les yeux, la fillette-pantin se met à danser. Sa jupe infinie se tortille, les clochettes de ses cheveux s'agitent, son bras prend des angles improbables pour suivre les mouvements. Et Umbre chantonne, sifflote un petit air triste mais entraînant.
Le Sombre Nuage ne peut s'empêcher d'y voir un clin d'oeil au Matriarcat. Les astres dessinés de toute part sur le jouet. Et quelque chose d'autre. L'air, peut-être, qui n'est pas sans rappeler une vieille chansonnette d'Utrynia...

Quelque chose aussi, dans l'attitude et l'expression du petit visage. Comme une vérité voilée derrière un regard infini.
Elle danse et danse encore, sous l'impulsion des doigts du maître et sous les aléas des sortilèges qui l'entraînent.
Tout au long, le Confrère ne cesse d'utiliser sa magie, dont l'emploie donne un souffle certain à la création.

Après quelques brèves minutes, le pantin regagne son immobilité première et Umbre s'arrête.


Astéline n'est qu'une simple danseuse. Mais j'ai une troupe toute entière et mes spectacles varient, dans leur forme ou dans le fond. C'est pour eux que je veux cet anneau, avant tout. Pour leur insuffler plus de vie, plus longtemps. Faire appel à des forces qui me dépasse pour les redistribuer à des fées qui en ont bien besoin.

Ils font tous parti de "la Cour Silencieuse" et c'est un peu ma famille.
Cette bague, ce serait aussi une chevalière : l'héraldique d'une dynastie de marionnettes...


Dans l'ombre des orbites, les deux yeux vairons ont changé de teintes.
Il y a une forme inattendue de tendresse et d'amour profonds dans leur éclat hétérochrome.



Un visage est-il un masque de comédie posé sur la tragédie de l'âme ?

 
Shyama

Le Luang 17 Agur 1509 à 19h29

 
*** Le temps de cette courte féérie, Shyama redevint enfant.
Fascinée. Hypnotisée.

Douce mélodie des âges tendres, étincelles crépitantes dans des yeux émerveillés.
Revoilà son innocence affleurant sous une mince couche du désespoir de l'adulte éveillée au Déclin, ressurgissant fougueusement sous la danse qui effleure son âme en une douce caresse.

La fillette de bois et de chimères chatouillait les fibres sensibles de son être, jouait une mélodie sur les seules cordes qui faisaient encore d'elle un être vivant.


Elle sourit, cette fois, mais d'un air un peu triste
***


Astéline ?
Astéline est danseuse-étoile....
Astéline est fille des Cieux, Mère du Déclin.
Astéline est miroir fidèle.

Le Nuage se reflète en ce mirage. Elle sait ses yeux enfiévrés de la même brume intense.
Elle sait ses mouvements en ce monde aussi désordonnés et inadaptés.

Oui, elle se sait animée de la même Ombre de connaissance.


Comme elle, elle tente de danser sur la musique du Déclin.
Comme elle, elle n'est pourtant qu'un corps corps mort animé par les Fils du Destin.

Oui, comme elle, elle est manipulée, jouet impuissant, face à l'art consommé du Masque.

Elle ne peut nier cette réalité de l'altération. Elle ne peut lutter contre les vagues d'émotion soulevées par la douce caresse de la brise du merveilleux.

Marionnettiste, le Tableau t'a-t-il donné le pouvoir de jouer avec les âmes....

*** Ces derniers mots étaient prononcés avec des accents de triste accusation.

Elle reprit d'un air faussement enjoué : ***


Le Nuage doit-il alimenter un peu plus la dangereuse emprise chimérique du Masque ?
Non.



Mais elle le fera quand même.

Car elle n'a pas de prise sur sa propre réalité.
Car l'Irréel murmure de douces paroles à son cœur.
Car elle ressent en elle l'écho de la magie de l'illusion éthérée.
L'inconsistance est Nuage, la Chimère est en ses veines, même si elle n'est pas aussi habile à manipuler les mirages d'eau et d'air.
L'Intuition et le désir du Beau ne lui sont pas suffisantes pour honorer les legs maternels. La Nuit doit pâlir de la voir si chancelante à jouer de la Chimère.

Mais le Nuage est Inconstance, la Chimère reste souvent vaine. Son Art est le Métal bien plus que le Fluide.
A force de marteler, peut-être saura-t-elle s'élever un peu plus vers les Cieux d'éthers que tutoie le Masque.
Quitter les miasmes de la Poussière ?

Pour mieux revenir s'y plonger.
Se baigner avec la délectation de violer le tabou dans la bauge de ses anciennes et puissantes racines.

Quel effet cela fait-il, de toucher le tronc dur et implacable, de lui chanter son enfance, dans l'espoir vain d'en faire vibrer les tendres racines ?



Quelle est l'Ombre qui anime le Masque ?


*** La question était porteuse de curiosité, visiblement dirigée.
Elle ne savait pas, elle devinait, ressentait une partie du flou derrière le Masque. ***


Shyama,
Sombre comme un Nuage

 
Umbre

Le Matal 18 Agur 1509 à 15h26

 
La sagesse tumultueuse et la sensibilité de la Sang-Âme ont tôt fait de mettre à jour la démarche sibylline du Masque, derrière le petit spectacle anodin. Il n'est qu'à moitié surpris d'avoir été pris en flagrant délit, devant la qualité de l'esprit de Shyama, et pour la première fois de son existence, ressent un soupçon de culpabilité face à son jeu. Mais d'un autre côté, la saveur de l'émerveillement profond et authentique de la demoiselle n'a pas de prix. Surtout celui de cette demoiselle là.

Umbre écoute avec une attention redoublée cette étrange et douce confession, qui est elle aussi d'une valeur certaine. Il y est particulièrement sensible, de par sa signification, son implication et sa forme, ce qui n'est pas sans éveiller chez lui des impressions contradictoires. Doit-il lutter contre ces dernières ? Sans doute pas.

Quand, finalement, la Fille du Déclin invite le Confrère à se dévoiler, celui-ci n'hésite guère.
Même si c'est la première fois de sa vie qu'il se "révèle" autant à quelqu'un, il doit bien cela à la Maîtresse-Artisane.
Encore une fois, il se sent suffisamment en osmose pour parler librement.


La réponse est dans la question, Sombre Nuage.
Quelle Ombre anime le Masque... Une Ombre. Il n'y a derrière le Masque, qu'une Ombre.
Un Reflet perdu dans le Miroir brisé de la Réalité. L'Ombre de la Folie.

En cela, le Nuage et le Masque se ressemblent. Entités éphémères en quête d'une âme dans les brumes de l'Art.
Mais le Masque se cache derrière des dédales d'artifices et des labyrinthes de mystères.
Car il est vanité de la Poussière, non-sens de l'existence, absurde damnation.
Enfant du Hasard, ennemi du Destin.

Il est le Pantin qui cherche à prendre vie et à violer l'Ordre des Choses.
Il est le Pantin qui cherche à devenir Marionnettiste.

Il est celui qui veut comprendre l'incompréhensible.
Qui veut rendre possible l'impossible. Faire l'infaisable.
Voir l'invisible. Aimer ce qui ne peut l'être.

Ma voie est celle du tourbillonnant Paradoxe.


Le regard songeur, Umbre laisse l'écho de ses mots s'installer dans le doux silence. On leur apporte leurs boissons, dont il contemple un instant la surface, l'air un peu loin. Puis il relève les yeux pour les planter dans ceux de Shyama. Conscient qu'il n'a pas encore répondu à toutes ses questions. Légitimes, par ailleurs...

Quel effet cela me fait, Sombre Nuage ? Comment le décrire...
Je ne parle pas du plaisir bradé par les charmes d'une drogue ou le corps d'une femme.
Non, je parle de la divine ambroisie. Que ressentez-vous lorsque vous animez le métal ?
Lorsque vous lui insufflez l'essence fondamental de l'excellence esthétique ?
L'émotion qui grandit en vous est indescriptible. Presque transcendante.

Faire danser les sentiments, effleurer l'âme et éveiller des rêves endormis.
C'est mon Ascension...et ma Rédemption. C'est mon Art. C'est ainsi que je le pratique...
Pour vivre et me donner la raison que j'ai depuis longtemps égarée.


Un nouveau silence. Il ignore si il regrette son geste. Jouer avec les images, les souvenirs et les passions est une seconde nature chez lui. Modeler, manipuler, altérer. Mais peut-être doit-il lui présenter des excuses ? Il ne voulait pas la tourmenter...

Pardonnez mon outrecuidance, Shyama, mais...
Par l'entremise de votre verbe et de votre présence, j'ai deviné la poésie de votre âme.
Et je voulais la voir, sinon l'apercevoir. Pour y goûter. Ne serait-ce que l'éternité d'un instant.



Un visage est-il un masque de comédie posé sur la tragédie de l'âme ?

 
Shyama

Le Merakih 19 Agur 1509 à 01h40

 
*** Un couple d'yeux, si différents mais bien unis dardaient toute leur réalité derrière le paraître. Et Shyama leur en était reconnaissante.
Deux nouvelles sœurs, deux nouvelles étoiles confidentes qui la comprenaient.
Qu'elles fassent partie intégrante d'un être de poussière, cela elle ne le saisissait pas. Et ne cherchait même pas à le comprendre, à dire vrai.
Elle se contentait de profiter de l'éphémère. De jouir des dialogues multiples.
***


En cela, le Masque et le Nuage diffèrent.
Le Destin est Hasard.
Tous les jets de dés sont déjà écrits. Leur lancer comme leur face affichée.
Vaine vanité....

Hélas, le Nuage a vu. Elle L'a vu. Dans son ensemble. Son infinie et terrible Entièreté. Elle s'y est perdue. Et n'a toujours pas retrouvé toutes les bribes éparpillées de son esprit.
Comment les remettre dans l'ordre ? Se reconstruire ?

Il est si inextricablement et parfaitement entremêlé.... Si dense, que l'on ne peut le changer. On ne peut s'en extraire. Ni même se débattre.
Se débattre même est le réaliser.




Oui, en cela ils diffèrent.
Elle s'abandonne totalement a l'Implacable. Elle se laisse flotter dans le courant, nage en son sens.
A quoi bon se débattre en d'inesthétiques et insignifiantes éclaboussures ?
Un Nuage ne peut lutter contre le vent qui l'a créé, le pousse et le modèle. Le malaxe, l'étire, l'effiloche, l'atomise, et le rend au froid Néant étoilé.


*** La Sang-Âme se plongea dans la dégustation de l'alcool, dans l'espoir peut-être d'y noyer ses sourdes angoisses réveillées.
Elle se mit à fredonner du fond de la gorge une comptine enfantine. ***


La Sombre pardonne....
Être blessée, c'est contempler le souvenir de sa vie.
Il n'y a ni bonheur ni douceur sans douleur.

La Sombre pardonne car elle comprend.
La Sombre pardonne car elle ressent.

Oui, elle est elle-même spectacle aux yeux du curieux.
Bête étrange, aberration de poussière, révélée par les moqueries grimaçantes de sa propre caricature.
Réveillée.
Invoquée.

Que maintenant, on s'amuse à lui jeter en pâture quelques morceaux de ses mets préférés, dans l'espoir de la voir de plus près !


La Sombre pardonne, car on ne peut en vouloir aux Etoiles, fussent-elles masquées par quelque ombre nuageuse.
On ne peut en vouloir à l'écho qui fait vibrer en retour le cœur, en toute harmonie, pas plus qu'à l'oreille qui accepte de vous entendre.


*** Nouvelles notes nasales de la simple mélodie utrynienne tantôt chantonnée par son interlocuteur, abruptement interrompues : ***


Être. Ici.

Revenir à la mère, aux sources, aux racines.... est-ce pour tenter de remonter les fils de son propre Tableau, en comprendre le sens, en chercher les faiblesses ?

Ou est-ce simplement le dessein du Dessin ?


Shyama,
Sombre comme un Nuage

 
Umbre

Le Merakih 19 Agur 1509 à 14h38

 
La mélodie du Nuage est une de ces musiques dont il ne pourrait se lasser. Umbre l'écoute, avec ses nuances et ses variations, danser en écho de ses propres pensées, accords et désaccords, harmonies et dissonances. Deux visions qui se mêlent, se ressemblent, s'éloignent et se contredisent pour mieux se compléter. Il y a bien sûr des différences, et le Masque les apprécie à leurs justes valeurs, car il ne peut en être autrement. Lui qui a fui, elle qui reste. Lui qui croit à la liberté, elle au déterminisme. Confrère des Six et Fille du Déclin. Et pourtant, dans le terreau fondamental, leurs essences se rejoignent.

Leurs origines, leurs âmes brisées, leur nature chimérique. Ombre et Nuage...et leur mysticisme esthétique.

En d'autres lieux, en d'autres temps, avec d'autres personnes, le rhéteur aurait éprouvé le besoin de débattre, de confronter, d'opposer, de démontrer. Affirmer et soutenir son point de vue, la validité de ses thèses. Ce n'est pas le cas avec le Nuage. Elle sait ce qu'il pense et il sait ce qu'elle pense. Point de jugement. Il respecte et comprend intimement ses convictions. Ne ressent ni le besoin ni l'envie de les éprouver. Elle est ce qu'elle est, et c'est très bien ainsi. C'est trop beau pour être sujet à controverse.

Il a devant lui l'expression la plus pure de l'esprit de son ancienne Faction.
Ce qui ne l'empêche pas d 'endurer une lourde tristesse devant certaines paroles proférées.
Devant le fatalisme et la fatalité du Sombre Nuage. Devant la tragédie qui est la sienne.

Alors il demande, simplement :


Qu'a vu le Nuage lorsque son regard s'est posé sur l'Absolu ?

La question peut paraître étrange, et elle l'est. Mais ainsi va le Masque, toujours en quête d'impossibles vérités : entendre l'inaudible, voir l'indescriptible. Il ne saurait douter des propos de Shyama, alors comment passer à côté de cela ? De la litanie de l'illuminée, de la langue du prophète, du babil de l'oracle, des poèmes du rêveur ? N'est-ce pas cela aussi, l'Art ? Si, certainement.

Dans le même temps, Umbre prend précieusement le pardon confus et violent de Shyama, avec ses puissants contrastes, et le préserve quelque part en lui, pour s'en nourrir. Comme si il s'agissait d'un bien de valeur ou d'un somptueux bijou.

Et finalement, soupire devant ses dernières questions. Que dire ?


Non, Sombre Nuage. Je ne cherche pas à fouiller un passé dont mon esprit a élagué quelques pans malheureux. Il ne me reste que des instants de vie, souvenirs éclatants mais parcellaires, que je préserve avec affection. Héritage maudit et précieux à la fois. Les fragments que j'en garde sont suffisants, je ne veux pas retracer les lignes qui m'échappent.
Si les absents ont toujours tort, ils ont aussi leurs raisons...

Mon seul désir, peut-être, aurait été de revoir ces lieux où se sont formées ces quelques images qui subsistent.
Pour ressusciter un instant ces scènes dans le théâtre absurde de la mémoire et leur éviter celui, morne, de l'oubli.
Autant de réminiscences et de fantômes qui resteront clos dans mon crâne.
La Mère refuse de revoir l'Enfant infidèle. Ainsi soit-il.

J'ignore pourquoi je suis ici, sinon pour vous. Peut-être faut-il s'abstenir de toute explication...



Un visage est-il un masque de comédie posé sur la tragédie de l'âme ?

 
Shyama

Le Julung 20 Agur 1509 à 02h24

 
*** Ressentant plus que comprenant que le tydale ne voulait guère aborder plus avant le sujet de son retour à Utrynia, Shyama revint à sa question.

Une question sans solution qui fit rapidement perdre à son regard l'éclat tantôt allumé; il redevint lointain, légèrement vitreux.

Un très long moment de silence, entrecoupées de gorgées d'alcool douloureusement dégluties.

Et finalement, très lentement, d'une voix rauque, basse, les mots s'égrenèrent, s'arrachant avec difficulté à la poitrine de la tydale.
Jusqu'à devenir flot plus rapide, quoique haché. ***


L'Absolu ?

L'Absolu....


Elle n'en est plus très sûre.....

Ce qu'elle sait avec certitude, c'est qu'avant ce jour, elle était trésor. Prometteuse. Ecoutée. Intéressante.

Mais après, elle n'était plus que lambeaux. Bribes d'être. Perdue pour les siens. Coquille vidée de sa substance. Huître aspirée par le Néant.



A quoi ressemble l'Absolu ?
Il est Terreur. Douleur illimitée. Il s'insinue, s'infiltre, vous remplit sans fin, vous explose en mille éclats, jusqu'à ce que tout l'être s'échappe, s'enfuie dans son Immensité.


Il est le Grand Ordre, mais Chaos sans nom.

Nulle logique. En chercher une, c'est le repousser. Lutter. Non, il ne faut pas rationaliser. Car il brise toute tentative. Toute réflexion.
S'y abandonner pour le subir c'est être broyé.



Ce fut vanité que de le contempler. Vanité bien punie.
Et pourtant Il n'enseigne rien. Il ne fait pas. Il Est. Mais n'existe pas. Il est là. Il flotte dans le Rien.


Nulle conception n'est assez grande pour contenir l'Infini. Ni le supporter.
Et lorsque le flux de vérités pénètre si vite, maelström tourbillonnant, rien ne peut arrêter le raz-de-marée.
Les frontières de l'esprit cèdent comme des barrages de paille.


Voir? Non.
Ressentir, par tous les pores de son être. L'exsuder dans la douleur. Faire passer ses boyaux par ses pores.


Absolues horreurs et merveilles, triviales ou exceptionnelles. Tant de vies torturées, hurlantes. Boues et gloires. Karna's et Rêves. Distinctes, uniques, et entremêlées, si semblables qu'elles ne peuvent être distinguées.


Fils géants aux nœuds sans fins, s'entrecroisant dans des directions gigantesques, dans des dimensions inconcevables. Le temps, les espaces... et d'autres.

Il est la montagne implacable, impassible, immobile, mais tourbillonnant à une vitesse effarante, se construisant et se défaisant tout en étant déjà fixé à jamais.


Il trépane, il viole. Il est douceur sans fin. Etoiles dansantes, hypnotiques.


Il est le Tout dans l'insondable Eternité. Le mouvement immobile, sa propre mère, les fils à l'origine du Métier, la vie dans la Mort.
Il est tous les astres des Cieux, toutes les Poussières passées et à venir.


Le Nuage ne peut l'exprimer convenablement, seulement ressentir les fractions infimes qu'il lui en reste.


Shyama,
Sombre comme un Nuage

 
Umbre

Le Julung 20 Agur 1509 à 16h53

 
Le Temps se fige pour accueillir l'Eternité faite Mots. L'Ombre est son esclave fascinée, pendue aux lèvres de l'Illuminée, ouverte à ce pan de la Réalité qui se dévoile derrière la levée de rideaux que s'autorise le verbe ambitieux. La conscience glisse sur cet océan tumultueux de sombres révélations, sensible à l'idée qu'un esprit puisse se consumer au contact d'un tel...Tableau. Comment pourrait-il en être autrement ? L'Ombre y est d'autant plus sensible que ses expériences passées - sa plongée dans l'abysse, sa fusion avec les Obsessions et le tissage d'une Trame - lui ont enseigné qu'il est aisé de perdre son âme en jouant avec les ténèbres de la Création.

La transcendance a toujours un prix, et ce n'est jamais celui qu'on voudrait.

Ce que le Nuage a contemplé, au point d'en perdre la vue, est d'un ordre supérieur. Un Absolu qui l'a dévoré, englouti, absorbé avant de la relâcher sur les rives de l'univers, à jamais déchiquetée et meurtrie. Un Absolu d'une funeste splendeur, bâti sur les principes d'une vacuité hypnotique et d'un néant carnassier, sur les paradoxes de l'existence. Tout et Rien. Il croit aussi fermement que possible aux paroles oraculaires de Shyama, convaincu par l'image que fait naître la force de sa poésie. Convaincu aussi par ce qu'il sait et a vécu dans les coulisses du monde. Convaincu par l'inconcevable et ses légions de vérités qui s'écoulent de la délicieuse bouche.

Fermer les yeux, un instant ou pour toujours, afin de posséder à jamais l'essence de cette oeuvre librement offerte mais douloureusement acquise. Derrière le Masque, une larme coule et vient déposer son sel sur le coin d'un sourire.
Le silence, seul et infini, accompagne les brisures de rêves que déguste l'esthète.

Quelques longues secondes passent, avant que la voix veloutée de l'Ordinant reprenne, lointaine :

Le fardeau du Nuage est une bénédiction autant qu'une malédiction, une grâce autant qu'une pénitence...
Sublime architecture de l'être, élevée dans les ruines de la déraison.



Un visage est-il un masque de comédie posé sur la tragédie de l'âme ?

 
Shyama

Le Luang 24 Agur 1509 à 22h04

 
*** Shyama hocha la tête un long moment, restant silencieuse, battant au rythme inaudible de son accord avec les paroles d'Umbre.
Des mots qu'il lui fallait quelques temps pour absorber, savourer.
Quelques temps pour revenir à la sérénité après l'évocation d'un souvenir plein d'émotions encore vivaces.

Elle laissa la conversation s'éteindre, et son âme revenir au calme, avant de revenir au sujet initial de la rencontre :
***


Bien.
Le Nuage ferait mieux de se mettre au travail, avant que les idées qu'elle a déjà ne s'évaporent vers d'autres cieux.
Oui, elle va avoir beaucoup de travail, pour de si beaux projets....

Son cœur bat déjà au rythme des coups de masse !

Dhanya de lui avoir offert ces projets.


*** A ces mots, elle repoussa son verre vide, et lança un dernier regard interrogateur au Masque impassible. ***



Shyama,
Sombre comme un Nuage

 
Umbre

Le Matal 25 Agur 1509 à 13h00

 
Le Masque se lève, signifiant qu'il ne désire par retenir l'artisane plus longtemps, loin de son atelier et des futurs chefs d'oeuvre que ses mains expertes feront bientôt naître. Laisser se perdre ses idées dans le vide serait sacrilège, tout simplement. Il sort de son sac de voyage une bourse, dans laquelle les 4 turquoises brutes attendent patiemment d'être taillées. Il fait glisser le paquet vers le Nuage et se sépare de son anneau magique pour le tendre à son interlocutrice.

Merci à vous de les avoir accepter et de relever leur défi.
Je ne saurai vous dire à quel point je suis excité.

J'espère entendre les harmonies des marteaux jusque sous les fenêtres du Fundeq.
Entendre un peu de cette mélodie qui fait vibrer votre âme.


Sincère et confiant, Umbre est conscient de clore sa première rencontre avec l'une de ces rares personnalités qui tiennent une importance capitale dans sa vie. Non pas pour leurs actes ou leur place singulière sur le chemin de son existence, mais pour leur façon d'être, tout simplement. Et la façon d'être du Sombre Nuage est somptueuse. Pierre précieuse, brillante, joyau dans l'écrin du Joyau.


Un visage est-il un masque de comédie posé sur la tragédie de l'âme ?

 
Shyama

Le Matal 25 Agur 1509 à 22h29

 
*** Shyama se saisit du paquet et en sortit les pierres pour les examiner. Elle en jugea rapidement leur qualité et leur couleur, puis hocha la tête en les remettant dans leur sachet. ***


De bonnes pierres. Il en manque une pour le travail. Mais le Nuage sait en avoir une autre de la même teinte.

Cela va demander beaucoup de travail. De temps. De patience. D'amour. Et de joie.


*** Shyama semblait déjà ailleurs, dans son atelier. Déjà en train d'œuvrer.
Un dernier hochement de tête fantomatique en guise de salut, et elle tourna les talons pour franchir la porte d'Utrynia. ***


Shyama,
Sombre comme un Nuage

 
Umbre

Le Dhiwara 30 Agur 1509 à 11h00

 
Le Masque observe le Nuage s'en aller, songeur, les yeux rivés sur la charmante silhouette qui s'évapore.
Son regard redescend sur le liquide doré qui dort dans son verre, qu'il fait lentement tournoyer entre ses doigts.
Lui qui pensait connaître l'âme poussiéreuse comme nul autre est une nouvelle fois confronté à d'intrigantes surprises.
Utrynia lui reste fermée, mais pas ses âmes. Son âme. Dont Shyama est l'éclat le plus brillant et le plus merveilleux, très certainement.
Il sort de sa poche intérieur un cahier de note à la couverture sombre et l'ouvre sur une page demeurée vierge. Il note tout d'abord, retranscrit certaines paroles essentielles échangées ce beau matin, puis se met à croquer un visage échevelé aux lignes gracieuses.

Si quelque chose doit être aujourd'hui coulé dans l'ambre, ce sont les quelques minutes qui viennent de s'écouler. Que la mémoire de Syfaria reste intacte, au moins pour lui, à l'esprit déchiré et aux souvenirs sélectifs. Peu probable qu'il oublie cela, mais il préfère prendre ses précautions face aux déroulés sauvages du temps et de ses violents caprices ou de ses incertitudes dévastatrices. Les mots et les ressentis du Nuage, autant que la chimère de ses orbes grises, lui ont révélé aujourd'hui une énigme de plus. Sans le vouloir, Umbre a peut-être avancé dans sa quête. Par une simple et pure rencontre, avec une étrange muse et ses révélations perdues. Mais l'osmose des êtres, des existences, fait quelquefois bien plus que d'obscures recherches menées en solitaire. C'est certain...

Le pantin tourne les pages précédentes de son cahier : sa discussion avec le Gardien du Paradoxe dans les monts du Lac, l'Ombre d'Exaltation dans les faubourgs d'Arameth, les Obsessions au pied du pilier d'Oriandre, la Shaïm dans le palais des Murmures. Shyama, aux portes d'Utrynia. Quelles différences ? Toutes des entités de toute beauté, souvent ambigües et complexes, qui détiennent une part de vérité dans leur mystère. Pour elles toutes, il éprouve une infinie compassion, un amour immodéré, une relation étrange. La seule différence réside dans le fait que, peut-être, il aurait pu aimé Shyama comme une femme. Mais n'était-ce pas demander l'impossible ? Il referme finalement son cahier et range ses affaires, avant de faire rouler quelques pierres sur la table.



Un visage est-il un masque de comédie posé sur la tragédie de l'âme ?

 
Umbre

Le Luang 14 Saptawarar 1509 à 09h20

 
Songe étrange. Au milieu de la nuit, Umbre s'engage dans un rêve mystique fait d'étoiles.
Dont les lumières, précieuses comme la platine, s'écoulent sur le monde comme un doux fleuve d'argent.
Et viennent se glisser dans de fines mains travailleuses, modelant ce mercure liquide avec aisance.
Transformations, métamorphoses en acier et en longues lames de légende.
Quand il se réveille le matin venu, le Masque comprend.

Une pensée statique dort dans un coin de son esprit. Une pensée de Shyama.
Sa commande est fin prête. Il se prépare donc, fébrile, excité comme un véritable gamin.
Non pas parce qu'il s'agit de rentrer en possession de superbes jouets mais parce qu'il s'agit d'Art.
Et rien ne lui fait plus plaisir de voir enfin ces créations, qu'il devine fabuleuses. Pour ne pas dire magiques...
Quoi de mieux pour commencer la journée que par la contemplation et l'achat de chefs d'oeuvre ?

Quand il sort enfin du Fundeq pour rejoindre la taverne, centre de ses rendez-vous, c'est en roi rouge et or.
Il traverse la route comme le fantôme flamboyant qu'il est et s'installe, tout en gestes mesurés, à la même table.
Et attend, brassant entre ses doigts gantés un jeu de cartes vieux comme le monde.
Il la joue calme et détaché mais son coeur pourrait bien sortir de sa poitrine.

L'Ordinant du Luth, le Chercheur d'Art est aux aguets.
Derrière le masque de religieuse majesté.



Un visage est-il un masque de comédie posé sur la tragédie de l'âme ?

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