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Les Dédales du Luth

Le Temps Etrange

Ou frasques et arabesques. Ouvert aux audacieux.
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Sujet lancé par Agliacci
Le 29-11-1509 à 01h31
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Posté par Agliacci,
Le 19-04-1512 à 17h03
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Agliacci

Le Dhiwara 29 Nohanur 1509 à 01h31

 

Minuit. Quelle belle heure, je passe - et détourne mon chemin par des pas chassés, pas croisés, pas dansés, passablement éméchée, donc, je joue ma Colombine, je me parfume aux senteurs de sel et de cannelle. Autour de moi, je les entends chanter. Egrillards à la sauvette qui se croient malins une cithare à la main.

Je m’écarte du bruit tentateur des auberges de passage, des tripots de perdition et des rencontres enivrées. Ce soir, je demande autre chose.

Virevoltante créature d’os et de poussière, je me complais à croiser mes pieds, titube, perd l’équilibre, le rattrape au devant, pirouette – minuit ! quelle belle heure ! – m’aventure au-delà des zones de bruit et de lumière pour m’étouffer dans le secteur silencieux de ce monde nocturne, m’étourdir à la liqueur âpre que, d’une main moqueuse, quelque ombre saura délivrer ; liqueur des égarements que seul sait trouver celui qui se perd. Et ça, j'en meurs d'envie, ivre et grisée par une pulsion que je suis seule à chérir, ‘ça’ brûle dans mes entrailles, 'ça' me tient chaud comme une pelisse, plus que l'alcool bon marché que j'ai ingéré sans conscience. Le 'ça', je le pense 'fièvre.'

Je ne porte ni traînes, ni bijoux, ni chapeaux de feutre clinquants ; je suis reine en haillons, miraculeuse échouée aux portes d’Arameth, je suis LeFol, intoxiquée, exaltée, amère, sombre, abattue, ruinée, délicieuse, dansante, soubrette misérable qui conserve ses mains dans des gants bariolés et observe le monde par-dessus son attirail en noir et blanc. Poussière, poussière…


Svev, derrière moi, se téléporte par à-coups pour suivre mes mouvements qu’il ne sait encore prévoir. Je le devine préoccupé par mon comportement – mais oui c’est ça mon mignon – le symbiote glisse le long de mon flanc pour remonter incognito à hauteur de mon visage ; du haut de son perchoir, la créature me fixe, pense :

Svev dit :
« Où tu vas ?»


La demande me fait rire. L’idiot ! L’adorable créature ! Me demander ça, à moi entre toutes ! Je rirai à en pleurer, si je me souvenais comment pleurer.

« Chéri, tu me demandes où je vais ?!! »

J’ancre mon pied droit sur le sol, fait tournoyer mon corps sur ce mince appui, me rétablit, chancelle. Taquine, je m’incline devant cet inattendu public ; mais Svev, peu appréciateur de mes frasques, méprise mes attentes. Je me redresse, lui adresse un clin d’œil moqueur.

« Disons…là où tu voudras. »

Svev dit :
« Là où je veux ? Ah ? Tu t’intéresses à mes avis, maintenant ? Je sais très bien que tu n’en feras qu’à ta tête, ma belle. Tu es passablement prévisible. »


« Tu m’insultes. »

Svev dit :
« J’en pleurerai. »


Souriante, j’entoure la boule des mes doigts et glisse un baiser sur sa surface. Aussitôt, Svev se téléporte, le mou n’ayant guère l’habitude de mes affections d’animal à deux pattes. Il réapparaît à quelques centimètres de mon oreille.


« Alors, je vais te surprendre, Svev. Regarde bien. Ça ne va pas durer longtemps. »

Et entretemps, la rue que je poursuivais en capricant s’est ouverte sur une place ; le bruit perpétuel du quartier y est un peu moins fort : il n’y a pas de tavernes dans cette petite place construite autour d’une petite reproduction de la fontaine du centre d’Arameth. Je bondis vivement sur son rebord, y fait quelques simples pas. Je me retourne vers Svev, qui dérive, agacé, dans un courant d’air. Son manque d’engouement est flagrant, mais je l’ignore, et me baisse pour ôter mes bottes que je jette au loin. Elles retombent – boum – en désordre sur le dallage de la place.

Je m’étire pour m’assouplir, puis pose un pied en avant sur la margelle humide de la fontaine. Pointe, demi-pointe, - tempo – je m’arrête – et dit tout haut :


« Je vais commencer un sabbat, et tu es mon seul public. Quoique tu ne comptes pas vraiment, n’étant quelque part qu’une partie extérieure de moi-même ; tu vois le cadran, sur la bicoque là bas ? »

Il me répond par une pensée affirmative et vaguement suspicieuse.

« Bien. Tu as donc remarqué qu’il était bientôt minuit. »

Nouvelle affirmation. Questionnement. Je ferme les yeux quelques instants, avant de murmurer sur le ton de la confession :

« C’est mon heure préférée, tu sais. »

Je lève les bras, lentement, au-dessus de moi, offrant mon visage aux étoiles, courbant mes épaules et mes vertèbres vers un point indéterminé, sur la pointe des pieds ; une ascension toute en lenteur et en précarité. Puis, l’aiguille tourne, se glisse sur le chiffre tant attendu : le Temps Etrange. La pierre m’appelle, je m’abandonne aux bras avides de la gravité, retombe, silencieuse et légère, en un faible plié. Continue en rond de jambe que je poursuis par une nouvelle ascension, puis un bond. La danse continue sur les échos des fêtes voisines, mes pas me font tourner le long du pourtour de la fontaine, de plus en plus vite, de plus en plus vif, à jouer avec un fin équilibre que l’alcool corrompt. Les yeux éteints, je sens l’air évoluer autour de moi à la mesure de mes mouvements. Bientôt, je perds conscience, oui, c’est ça, je me perds

....**

C’est presque fascinant, de songer qu’à n’importe quel instant, mes pieds pourraient déraper sur l’humidité de la margelle, que Colombine, aussi aérienne ait-elle l’air, joue la funambule au-dessus de la chute…car ce qui est née de la poussière, reviendra à la poussière. Mais en a-t-elle conscience ? Elle ne sait pas bien. A ce moment là, plus rien n’existe que le mouvement sur sa peau.



Comme si c'était la dernière fois. La première fois.

 
Petrorius

Le Merakih 2 Dasawar 1509 à 00h55

 
Je rentre d'une réunion du Cercle.

Il fait froid, très froid. Le fer de ma canne résonne sur les pavés poudrés de givre et de sable. J'ai rentré la tête dans les épaules, simple redingote en chapeau haut-de-forme, échappée d'une vitrine de tailleur chic. Je marche vite, anonyme et solitaire, sous le regard indifférent de milliers d'étoiles.

Quand j'arpente ainsi les rue, tard le soir, je suis souvent la proie d'un sentiment étrange et pénétrant :
Je stagne. Je fais du sur-place.
Le mouvement pendulaire de mes jambes agite la terre, je la fais rouler sous mes pieds et les choses viennent à moi, mais...
Je n'avance pas. Je ne bouge pas.

Où irais-je ?

Et voici que mes membres inférieurs, dans leur compulsion, m'apportent la place centrale et sa jolie fontaine. Sur la margelle de pierre, une sirène taquine le destin, voire nargue la grande faucheuse : par cette température, l'eau vous réveille ou vous tue.
Je cesse, un instant, de jouer avec le monde. Puis de nouveau, je le fais tourner, et la pièce d'eau s'approche. La danseuse, car c'en est une, est ivre. Sa gestuelle langoureuse, son équilibre précaire... la trahissent.

Je m'abstiens de parler.

A quoi bon ?


Docteur Petrorius.
Médecin. Arracheur de dents. Aliéniste.
Sur rendez-vous.

 
Agliacci

Le Merakih 2 Dasawar 1509 à 07h56

 

Au pays des songes, ils devaient penser que j’étais bonne pour le grand départ.
Tous ces gens au lit, qui passeraient encore quelques heures à soupirer dans leur sommeil, puis se lèveraient, se nettoieraient la figure, en-dessous des bras, les jambes, entre les jambes. Qui partiraient du même pas accomplir les mêmes choses, jour après jour. Perpétuer la même existence, alimenter les mêmes illusions.

Qui m’ignoreraient encore si je tombai, si d’autres tombaient, ces gens qui retourneraient vaquer à leurs occupations du même pas. Qui s’imaginer les symbiosés comme une clique à part, des explorateurs d’un nouveau genre. Ils repartiraient inspirer ce même air qu’ils auraient eux-mêmes parfumés de leur sueur : ils redeviendraient peintres, commerçant, restaurateur, fantômes.


Eux, les autres.

Je croyais briser la litanie, mon corps en arabesques, promise à une danse avec une heure si délicate – tic, tac, tic, tac, et je voyais comme l’instant tant aimé agonisait, soupirait, expirait– mourait, pour de bon, me laissant seule et envoutée sur une margelle, comme une amoureuse lovée près de son frère d’âme, mais dont les mains ne toucheraient plus son corps. Qui aurait trouvé dans cette union incongrue, la matière avec laquelle elle bâtit ses pièces de papier et forme son visage d’actrice. Une essence indicible qu'il fallait...ressentir.

**

Je sens, progressivement, mes pieds arrêtaient leur danse saccadée et intrépide.
Je sens quelque chose qui dégouline dans ma nuque,
Dans mon dos.
Ça picote.
Goût amer sur mes lèvres. Goût acide dans ma gorge.
Comme de son propre chef, ce qui
Chantait à l’unisson dans ma tête s’apaise. La force pulsionnelle qui m’habitait
Est remplacée par un détachement serein.
Inspiration. La poitrine se soulève. Expiration.


Svev dit :
« Il était temps que tu reviennes sur terre ! ça fait un moment que j’essaie de te dire qu’on a un invité. Un symbiosé. Le Docteur, je crois. »


Lentement, j’ouvre les yeux, les cligne - c’est douloureux. Les pose sur la silhouette qui me fait face. Je me rends compte d’un mouvement tanguant dans mon estomac. Je fixe sans vraiment le saisir cet homme étrange dont je ne reconnais pas les contours flous. M’apparaît comme une apparition. Sans consistance. Le perd. Vision éthylique ? Je cherche enfin son regard, plonge mes yeux jade et bleu dans ceux, bruns, de l’inconnu. M’y accroche comme à une planche de salut.
J’humecte mes lèvres mais aucun son n’en sort. Sensation de vertige.




Comme si c'était la dernière fois. La première fois.

 
Petrorius

Le Merakih 2 Dasawar 1509 à 10h39

 
Et bien. Quel genre d'artiste est-ce là, qui s'interrompt dès lors qu'un public surgit ?

Normalement, mon rôle consiste à prévenir plus qu'à guérir. C'est du moins l'idée que je me fais de mon métier. Dans la présente situation, j'eus agi conformément à mes convictions en prévenant l'imprudente qu'un bain, à cette heure, pouvait s'avérer mortuaire. Mais le bon Docteur a laissé place au simple quidam, au spectateur discret que je suis parfois lorsque me prend l'envie d'aller au théâtre, à l'opéra, au cirque et surtout... aux concerts.

C'est l'un de mes petits plaisirs, trop rares, choix de vie obligent. Il me plait de penser que, dans une autre vie, j'aurais consacré mon temps et mon pécule à soutenir l'art, plutôt que la science. Mais si j'ai le goût du premier, la seconde accapare mon talent. Et l'autre vie attendra.

La tydale ne bouge plus. Elle a tout d'une poupée mécanique, qu'on a trop remontée jusqu'à la casser. Une illusion, bien entendu, mais pénible. Une illusion qui s'évanouit dès lors que la danseuse capture mon regard.


Siam dit :
Son nom est Agliacci. Cette dame est symbiosée.


Et alors ?

Elle attend quelque chose. Je ne suis pas sûr qu'il s'agisse de mots.
Un coup de main, peut-être ?
Ou plusieurs ?

En public respectueux et reconnaissant, j'agis comme il convient : je lève mon chapeau, et j'applaudis.


Docteur Petrorius.
Médecin. Arracheur de dents. Aliéniste.
Sur rendez-vous.

 
Agliacci

Le Julung 3 Dasawar 1509 à 04h04

 

J’écoute sans comprendre le claquement de mains,
Me rappelle un autre temps,
Les battements frénétiques – m’évoquent des convulsions d’insecte – lorsqu’on les pulvérise – du bout de son index – le long d’un mur devenu pulpe noire et sanguine. Je me souviens – les battements de mains, on les offrait aux artistes des caravanes. C’était des ‘applaudissements’.

Applaudissements : nourriture qu’on jette aux pantins d’opérette, comme on jette des os aux chiens galeux, par pitié, par coutume, par appréciation.

Pitance sacrée, quelle est ta réelle valeur ? Ton manque de sens, ton manque de foi, a dissout mes idéaux de jeunesse. Mais parfois, parfois, tu sais encore me surprendre, m’agrémenter de fierté émue. Et je redeviens une chienne galeuse qui quémande son salaire pour les tours qu’on l’a dressé à faire. Le rideau tombe, applaudissez ; les marionnettes s’inclinent, le cou bien bas. Lorsque nous penchons la tête, nous ne vous voyons pas. Sinon, nous prendrions votre semblance. Mais ceci est une autre histoire, voudriez-vous l’entendre ?

LeFol est pleine de confusions, qu’elle ramasse comme des fleurs dans un panier. Je range difficilement mes pensées dérivantes pour retrouver pied avec la réalité. Svev, comme à son habitude peu préoccupé par l’affaire et encore moins par le tact, s’est déjà rapproché du nouveau mou, me laissant là, avec ma tête en passoire et mes idées vagabondes. Sans doute se prépare-t-il à se documenter sur la nature poussiéreuse. C’est un philosophe acharné et idiot.

Mes prunelles s’étrécissent, je perçois un peu mieux la silhouette élégante, bien vêtue, d’un tydale quelque peu âgé. Avec hésitation, je lui adresse un sourire. Ma franche timidité, je ne cherche pas à la cacher par des gestes maladroits. Les bras ballants, je dévisage toujours ce flegmatique personnage, au crâne découvert. Une douce chaleur pince ma gorge. La place, nue et vidée, les étoiles, muettes comme des tombes – et seul, ce petit grain de vie qui m’enchante et m’amène le sourire aux lèvres. Quel touchant spectacle.

La voix basse et douce, je prends la parole :


« Bonsoir, Docteur. »

Le silence retombe, savoureux, velouté.

Par automatisme, ou par bêtise, ou par plaisanterie – en réalité, je ne saurai trop le dire, bien que je me demanderai plus tard quel instinct m’a poussé à accomplir une erreur si simple – je recule d’un pas. La main sur le cœur, je m’apprêtai à tirer ma révérence et à disparaître, pieds nus s’il le fallait, lorsque soudain, ma jambe dérapa, m’emportant dans son élan.
L'aurais-je voulu, que je n'aurai pu exclamer ma surprise avant que l’eau, glacée, si terriblement glacée, ne s’infiltre dans mes narines.



Comme si c'était la dernière fois. La première fois.

 
Petrorius

Le Julung 3 Dasawar 1509 à 10h09

 
Souvent, dans un spectacle improvisé, la chute déçoit.
Mais pas cette fois.

Le temps d'un battement de cœur, mon esprit machinique exulte à l'idée d'assister à ce spectacle impossible : la mort - et la décorporalisation concomitante - d'un poussiéreux symbiosé. Le battement suivant me voit tomber la cape - ce détail a son importance - et plonger la moitié haute du corps dans l'eau pour en extirper la naïade.

Disons plutôt que c'est mon intention. Car le sournois liquide m'enserre aussitôt la tête et les bras, dans un étau glacial qui m'affaiblit violemment. Pas suffisamment, cependant, pour que mes longs doigts de praticien n'agrippent ici une cheville, là une épaule. Bien entendu, la victime se débat : je prends un coup de pied dans les côtes flottantes, des ongles fins me ravagent la joue. J'engrange l'information avec flegme, la froidure tue la douleur.

Dans une gerbe d'étincelles blanches, nous retombons au sol. Mes vertèbres coccygiennes protestent tandis que je percute les dalles et glisse en bas des quelques marches de pierre qui ceignent la fontaine. Ceci étant, je me relève sans trop de mal. J'attrape ma cape - demeurée sèche - et revenant vers l'artiste, la dépose précautionneusement sur ses épaules.

Serrant les dents pour ne pas grelotter, j'éructe d'un ton rauque :


B...onsoir, ma Dame.

Je me penche sur ma nouvelle patiente sans plus attendre. Mon regard avisé s'enquiert, pour l'instant, de sa santé.
En second lieu, il fouillera la nuit en quête de feu.


Docteur Petrorius.
Médecin. Arracheur de dents. Aliéniste.
Sur rendez-vous.

 
Agliacci

Le Julung 3 Dasawar 1509 à 20h08

 

Quelque chose m’agrippe, quelque chose cherche à m’attirer à lui. Sortie de ma courte torpeur, je m’agite faiblement ; par réflexe, j’ouvre la bouche, mais seule de l’eau s’y engouffre, glace ma langue et mon palais, descend mon œsophage et se perd dans mes tripes. Ah, oui : je suis sous l’eau.

La panique me prend, que je cherche aussitôt à réguler, à transformer, sans y parvenir. Tout est réflexe, instinct, primal incontrôlable. L’eau est glaciale, je m’en étonne à peine, pendant un bref instant je suis persuadée d’avoir été jetée au Ssarkh, et il ne reste plus que la peur instinctive, primaire, et l’envie de rage, cette rage de vivre qui ne m’a jamais quitté depuis ma naissance. Je veux sortir, sortir de là. Et je le ferai.

Je n’ai jamais appris à nager. On m’a bien lancé quelque fois dans l’eau, ‘pour rigoler’, et je coulais toujours au fond pour le taper de mes pieds et remonter à la surface. Je me vengeai ensuite de milles et unes manières pour ces farces de mauvais goût. Au cours de ces baignades forcées, j’avais fini par apprendre à rester calme, même en position difficile. Et surtout, à m’agripper à celui qui me poussait. Que si je tombe, je ne sois pas seule.
Alors je frappe, j’agrippe, je griffe, je me débats, je lance un coup de pied là, rencontre un choc mou, enfin ma main touche quelque chose – c’est lisse – je griffe – ça saigne – j’incruste mes doigts dans la plaie – faut que ça tienne – écorcher la bête – la vider avant de la passer à la casserole. Tu m’entends, Le Fol ?! Il faut que ça saigne ! (mais ce n’est pas un animal !)


Le contact est chaud sur mon gant trempé, je ne bouge plus maintenant, j’ai compris. La tête dans l’eau, j’ai ouvert les yeux. Je vois quelqu’un qui s’affaire à me remonter. Je ne m’inquiète plus ; je suis légère de corps, seule la masse, pénible, pesante de l’eau, fera barrière aux muscles de mon sauveur et fatiguera sa carcasse. Au-dessus de moi, la surface de l’eau miroite, brillante, chatoyante, sombre. Plus haut, déformées, apparaissent les deux lunes. La lueur écarlate de Kvistha me vient complètement déformée, répandue à travers les vaguelettes crées par nos agitations de poussiéreux. Il fait froid mais finalement ce n’est pas grave, je peux bien mourir ici, je peux bien mourir ailleurs.
L’homme me tire hors de l’eau, non sans difficultés, et nous retombons à nouveau. Comme une poupée molle, je me laisse retomber à terre, puis me tourne sur le flanc pour recracher l’eau que j’ai avalé. Je me rallonge de nouveau sur le dos, l’effort me coûte, ma tête tourne. Ma peau est pâle et mes boucles acajou tombent, trempées et sales, sur mon visage livide. Je me rends compte que je tremble. Mes dents s’entrechoquent violemment. Je mords mes lèvres pour ne pas mordre ma langue. Je sais que je pourrai m’asphyxier avec mon propre sang.
Puis, le rédempteur dépose quelque chose sur moi. Une couverture ? Je me sens bien fragile, allongée sur les pavés, la tête tournante. Je profite de ce refuge, m'y engouffre.


« V-vous...allez bien, Docteur ? Parce que... vous me m-mettez déjà un…linceul.. Ce…ce n’est pas très p-rofes...sionel »

Mon sourire est faible, il disparaît vite. Un filet de sang coule le long de mon menton, se perd dans ma nuque. Je repose la tête en arrière. Une petite douleur m’avertit qu’en retombant, j’ai dû me faire une contusion au crâne. Je dois avoir une vilaine bosse. Le choc est encore trop récent pour que je recouvre toutes mes facultés, je me sens comme dans un brouillard, prête à m'évanouir.

Svev dit :
« Agliacci, ne ferme pas les yeux ! Continue à parler ! »


On me dit que c’est vrai, on me dit de poursuivre. Je me bats contre la fatigue consécutive au choc pour garder les yeux ouverts et conserver le peu de conscience qu’il doit bien me rester. Je tente un effort pour prendre le contrôle de mon bras, il s’agite, commence à se relever, retombe. Etrangement, je le ne ressens pas. Le froid annihile mes perceptions. Je tente d'agiter le bout de mes doigts pour préserver mes extrémités. Suivant les conseils de Svev, je demande d'une petite voix :

« Est-ce que…je suis en d-danger ? »


Comme si c'était la dernière fois. La première fois.

 
Petrorius

Le Julung 3 Dasawar 1509 à 23h15

 
Un... linceul ?
Non, n'ayez c-crainte. Votre heure at-attendra, à l'Hor-or-loge du Suaire.
Et ma médecine est l-légitime, p-point légale.
Ah !


Le cri m'échappe : je me suis fait une belle entorse, et c'est en prenant appui pour relever la jeune femme que je m'en aperçois. Nous nous redressons pourtant. Je suis sec comme un sarment de vigne, mais plutôt noueux. Et la nécessité me pousse de l'avant.

Soutenant dame Agliacci comme je le ferais d'un blessé aux jambes, j'essaie de nous faire avancer. C'est assez piteux.
Mais ça marche. Si j'ose dire.
En bordure de la grand-place, un fiacre passe. J'appelle :


C...

Je disais donc :

Cocher !

Le foutriquet tourne la tête. Il m'a entendu, mais passe son chemin. J'imagine que nous présentons mal, en créature siamoise et titubante, mi-bourgeoise mi-bohème. Ca sent le vieux beau et son tendron, le richard et sa maitresse, le vicieux et sa catin.
Autant d'images élégantes qui me laissent froid. Si j'ose dire.
La dernière question de la belle se fraie un chemin jusqu'à ma cervelle en grève :


Oh... N-non, v-voyons.
A p-part le fait d-d-d'être une ar-art-artiste, b-bien sss... sûr...


Cahin-caha, nous progressons vers ce que je crois être une auberge. Nous poussons la porte à double battant...
C'est un poste de garde. Six soldats tapent un carton autour d'une grande table, tandis qu'un officier du Poinçon - qui nous tourne le dos - s'échine à relancer l'âtre d'une grande cheminée d'angle. Le brouhaha s'éteint comme une chandelle soufflée.
Tout le monde nous regarde. Non : tout le monde regarde la tydale.


Et moi, je n'y vois que du feu.

Docteur Petrorius.
Médecin. Arracheur de dents. Aliéniste.
Sur rendez-vous.

 
Agliacci

Le Vayang 4 Dasawar 1509 à 08h26

 


Appuyée comme une boiteuse, j’accompagne de mon mieux nos balancements irréguliers. Ma cheville, elle, n’est pas tordue, mais le froid a dissous mes perceptions et mes pas sont irréguliers. Mes jambes tremblent, se convulsent, et j’ignore leurs bravades, décidée à porter ma part de notre poids commun.
Et de biais je dévisage ce curieux gentilhomme, scrutant sans mots dires les traits serrés de son visage, comprimés par l’effort. Mes yeux clignent doucement, par à-coups. En réalité, j’ai l’étrange impression qu’ils se contractent d’eux-mêmes - curieux.

Peut-être est-ce grâce à cette aphasique observation que je devine un fléchissement dans les pensées du médecin lorsque le cocher nous ignore avec morgue. Je n’ai pas de mérite : c’est bien facile à imaginer. Je conçois tout aussi bien le spectacle tragi-comique que nous offrons : caricature sans pareille de l’aristocrate lubrique et de la donzelle aguicheuse. Ça ne me touche pas moi-même, mais je me demande si cela ne risque pas de blesser le médecin que je suppose éloigné de ces considérations terre-à-terre. Je me veux rassurante :


« De …toute façon, c’est un idiot. »


Je frissonne et continue ma marche. Le mouvement aidant, je me réchauffe superficiellement – mais ça ne me fait aucun bien. Mon pouls s’accélère au fur et à mesure que nous trébuchons, comme un couple ivre et tout jeune encore.

Les quelques paroles que Petrorius bredouille ensuite, je m’y accroche, pour combattre le bourdonnement de mes oreilles et ma lassitude croissante. Il m’assure que je ne suis pas en danger – si on excepte mon statut d’artiste. La remarque me fait rire. Un rire qui sonne étrangement clair dans mes oreilles défaillantes. Se casse rapidement, remplacé par une toux nouvelle, rauque. Nerveusement, je contracte les mâchoires, comme un animal prêt à mordre - ça m'aide à me concentrer sur le pas suivant. Devant, devant, à droite, s'arrête, se plie, repose, se presse. Je remarque avec flegme que mes bottes sont restées sur la place publique. Drôle d'idée, tiens.

Incapable de parler, je termine le trajet dans un mutisme brisé par une respiration de plus en plus difficile et rapide.
Puis, sans que je sache trop comment, la pénombre est brisée par une nouvelle lumière. Agressive. Mordante. Je ferme aussitôt les paupières. Protestation psychique.
La scène m'apparaît sous forme de larges tâches colorées qui se balancent et oscillent comme des flammèches. Je ne m'y habitue pas. C'est étrange, et plutôt...beau ? Effrayant ? et comme les deux sont liés dans mon esprit....Tout chatoie différemment ; rien ne semble rester fixe. Mon équilibre encore moins. J'inspire difficilement.

Mais tout ceci est-il bien vrai ? Perdue dans un état entre conscience et inconscience, je n’offre aucune attention aux silhouettes masculines qui se sont retournées vers nous. Pour le moment aussi réactive qu’une serpillère, et toute aussi trempée, je laisse les évènements venir à moi. Tous mes efforts sont concentrés dans une tentative pour garder conscience. Je sais que si je m’offre aux limbes murmurantes trop vite, je laisserai le docteur en mauvaise posture, et mon corps encore plus. Je leur demande silencieusement de m'accorder quelques minutes encore.

Le brouhaha reprend, incompréhensible, puis j’ai l’impression que quelqu’un de nouveau se rapproche de moi. Ça parle.



Comme si c'était la dernière fois. La première fois.

 
Petrorius

Le Sukra 5 Dasawar 1509 à 23h40

 
Faites place.

J'avance au culot, avant qu'un soudard plus enhardi ou teigneux que les autres ne nous mette dehors. Parvenu près de la cheminée, sous le regard hésitant de l'officier, je repousse une chaise d'un coup de pied et assied dame Agliacci dessus. Elle s'y affaisse comme une poupée de chiffon, non sans grâce.
Essayez pour voir..
.

Dites donc, monsieur ! Où vous cr...

Docteur Petrorius. Médecin personnel et conseiller scientifique de l'Oeil Aliundil. Ziray encore pour votre accueil.
Aidez-moi à approcher son amie de l'âtre, voulez-vous ?


L'officier me fixe une demi-seconde, puis s'exécute. Après mon entame, a-t-il le choix ? J'ai opté pour la totale, sachant d'expérience que la qualité d'une fadaise se mesure à son énormité... et à l'aplomb de son auteur.
Et ne suis-je pas menteur comme un arracheur de dents ?


Aviah Agliacci, faites-moi plaisir, cachez vite ce sourire naissant et ne riez point...
Allons, chère actrice ! Peaufinez votre état de malheureuse victime ! Si la soldatesque nous chasse, nous serons morts demain !


Et bien ! Apportez des couvertures. Je ne vais point frictionner la Dame dans sa toilette trempée.
Et... saperlipopette, tournez-vous donc !


L'officier, trop heureux d'accrocher un rôle dans la pièce qui se joue, beugle un bon coup : tous ses hommes se retournent d'un bloc tandis qu'il ouvre une grande malle pour en extraire quelques peaux. Il me les donne, hésite... puis pivote à son tour en pestant.

Ecartant les bras pour tendre la fourrure, je dis à la jeune tydale :


Quittez vos vêtements, ils sont glacés. Le feu vous sèchera.

Et je me détourne, autant que faire se peut dans ma position.

Docteur Petrorius.
Médecin. Arracheur de dents. Aliéniste.
Sur rendez-vous.

 
Agliacci

Le Dhiwara 6 Dasawar 1509 à 08h46

 

Je chute. Assise sur une chaise, je ferme enfin les paupières, me dérobant à ce monde de cris et de couleurs dont j’apprivoise à peine les sens surannés. Je lutte.

Taisez-vous ! J’ordonne, m’écrie, mais les mots ne franchissent plus mes lèvres enflammées, pourtant frigides. Seule la pensée traverse l’espace. Alors j’écoute, je me fais la confidente du secret brouillé de leurs ondes sonores, semble percevoir, ici et là, une intonation différente, d’un rhapsode éraillé. A quoi jouez-vous, Docteur, je me le demande ? Au chat et à la souris ? Au mensonge éhonté ? Vous donnez œil pour œil et dent pour dent ?...allons donc ! Vous me pardonnerez ce sourire ; c’est la braise à un rire que je ne peux partager, mais qui brûle, sulfureux, tout au long de ma gorge.


Svev dit :
« Orage, il faut que tu te déshabilles. »


Pourquoi ? Je suis lasse. Par automatisme, et sans aucune pudeur, je passe mes mains sous ma chemise et la repousse au-dessus de mon visage, puis m’attaque à la boucle de mon pantalon. Au bout de plusieurs tentatives, je finis de me dévêtir. Je frissonne. Aucune honte dans mes gestes, et seules mes mains, éternelles gantées, s’affairent encore à quelque chasteté. Mon regard trouve enfin la parure recherchée ; trésor à mes yeux enfiévrés.

* L’amie d’Aliundil, effeuillée en public, ça va faire jaser* pensé-je, aparté délicat au mensonger médecin, l'unique symbiosé. La chaude pelisse, grossière et douce, je l’enserre autour de mon corps aussi près que possible, abreuvant chaque parcelle de peau d’une chaleur précieuse et salvatrice.


" E-et maintenant ?"

Comme si c'était la dernière fois. La première fois.

 
Petrorius

Le Luang 7 Dasawar 1509 à 12h01

 
Et maintenant ?

Mais taisez-vous malheureuse, sussurai-je in petto en coulant un regard anxieux vers le troupeau de poinçonneurs. Vous allez les encourager.

Ces artistes. Ils me déconcertent, j'en fréquente peu. Leur univers est si étrange ! J'ai déjà tant de mal à me débrouiller du mien...
En vérité, je vais aux concerts. Mais la musique ne me mets pas en danger. Elle m'étonne ou me ravit, point. C'est tout ce que j'accorde à l'Art, et j'en conviens, c'est prou.

Enée raffolait de ces choses, elle courait les spectacles comme une éperdue. Quand je lui demandais ce qui l'intéressait dans telle pièce, telle exposition ou tel ouvrage, elle soupirait, les yeux au ciel, se désespérant de mon indifférence affichée : tu m'agaces, râlait-elle. Tu es né à la Perle. Ici, l'Art est partout, et tu ne le vois pas ! J'en ai été privée depuis mon enfance, au sein d'une faction qui en ignore tout. Alors, je m'en mets plein la lampe !

Je m'assieds à coté de la jeune dame, estimant que mes frictions sont superflues. Un brin de conversation, en revanche, n'est pas pour me déplaire. Derrière nous, le brouhaha des joueurs de cartes remonte allegro ; les soldats s'en retournent à leur occupation première et pour l'heure, nous ignorent. Très bien.

Et maintenant ?


Profitons du feu, reprenons des couleurs. Lorsque vous serez revigorée, nous aviserons.
(...)
Je passe régulièrement devant le Grand Théâtre, mais n'ai point consulté l'agenda des spectacles depuis longtemps.
Vous vous produisez souvent à la fontaine ?


Docteur Petrorius.
Médecin. Arracheur de dents. Aliéniste.
Sur rendez-vous.

 
Agliacci

Le Matal 8 Dasawar 1509 à 06h11

 
« Lorsque je vous ai entendu pour la première fois, docteur, j’ai pensé que vous étiez un agréable bourgeois ; du genre à se changer les idées en sortant à l’opéra, après une dure journée à crever des abcès et à admirer d’encrassées quenottes. Le soir, vous deviez plier entre vos doigts les programmes du théâtre, et inspecter les têtes d’affiche avec intérêt : lequel choisirez-vous ? Qu’en penserez votre femme ? Vous appelleriez votre fiacre, changerait votre haut de forme, écouterait un quelconque ténor bedonnant vomir ses plaintes d’amour comme des rats leurs entrailles, ténor qui jour après jour se laisserait engraisser par les purulences de la facilité et de la routine, jusqu’à n’offrir que déjections chantées, sans même comprendre ce qu’il éructe sur son assistance.

Et qui le saurait, dans ce monde bien habitué ? Une belle voix vient des modulations des cordes vocales lorsque le vent y souffle, je me trompe ? C’est aussi simple que ça. Je vous aurai cru rentrer sans plaisir pourtant de cet opéra, dîner et étudier sans relâche les sujets qui vous intéressent et vous défient. Je ne vous en blâmerais pas, d’ailleurs - eh, quoi ?- m’imaginais-je que vous ôteriez votre cape pour un bain de minuit ? Toute vie a un mouvement, et comme l’onde de la flaque, ce mouvement s’étire jusqu’à atteindre les vagues.

Je n’avais invité que « moi » à assister à ma « production »,
J’ai été surprise de vous y croiser, je n’attendais ‘personne’. »


Je baisse subitement la voix, descendant de quelques tons, sans répondre à la question. Comprend-il, le sauveur, le rédempteur, le vieux, l’aliéniste, le décidé, ce que je lui raconte, sur, dans et entre les lignes ? Je me redresse, je le regarde, attend une signe que je doute de voir venir, que je suis impatiente de voir se trahir. Ah mais, où ai-je la tête ! J’ai oublié le soliloque ! Ne nous attardons pas ; j’aime le spectacle, et je sais, comme je sais, qu’il doit continuer…

« Vivons les casualités.
Quoi ? J’ai dansé, me dites-vous ? Vous m’en voyez fort aise ;
Mais c’est la Muse, vespérale, qui me fit échanger
Le luth constellé contre le zéphyr mouillé
Ainsi que de l’éclair, rien ne reste de la poussière,
Lorsque l’une après l’autre les heures ont écloses.
Cueillez dont le fruit à son apothéose,
« Le monde est une scène et chaque homme un acteur, »
Tentez de votre vie, de devenir danseur. »


Mon corps se tend sous une pulsion étrangère,
Je me saisis lestement du tisonnier oublié, et en donne un coup dans le feu de la cheminée. Aussitôt, les braises rougeoient, craquèlent, se disséminent et alimentent les flammes : grondent et s’échinent comme des fauves sauvages, retombent soudainement, me laissant fascinée et déçue.
J’ai toujours adoré le feu,
Si le vent ne pouvait le moucher aussi facilement qu’une bougie, il serait mon bébé préféré.


« La prochaine fois, vous pourriez m’accompagner » suggérai-je.
J’étais diablement sérieuse.



Comme si c'était la dernière fois. La première fois.

 
Petrorius

Le Matal 8 Dasawar 1509 à 12h18

 
J'observe ma voisine comme s'il s'agissait d'une créature nouvelle, inconnue de mes classeurs. Avec une intensité excessive, inquisitrice. Mais il y a des lueurs ignées dans ce regard, des lueurs que je reconnais. Une âme trop grande dans ce petit corps. Elle déborde.

Alors je me détourne, je ploie graduellement, comme je le ferais sous la mitraille d'un feu ennemi.


Vous êtes comme moi, dis-je avec un sourire triste.
Vous ne prenez jamais de repos.

Je suis médecin. C'est là mon meilleur rôle. Et vous êtes une danseuse.
Quels jolis mots que voici...
Si impressionnants, pour le commun des mortels. Et si réducteurs. Comme si nos vies pouvaient s'encapsuler dans quelques lettres. Il n'y a que les adultes pour croire à ces fadaises. Personnellement, je ne leur accorde aucun crédit. Par manque de maturité, sans doute.

A la fontaine, qui attendiez-vous ? Personne.
Et je suis venu...
Vœu exaucé ?


Je me tais lorsque l'Aviha parle en vers. C'est assez audacieux, compte tenu des circonstances. Ceci dit, la rime d'Agliacci corsète sa poésie. A partir d'un certain degré de beauté, le maquillage est superflu, voire salissant. Nous en sommes là, me semble-t-il.
Elle conclut :


La prochaine fois, vous pourriez m'accompagner.

J'entrouvre les lèvres, entamant une phrase commune ou trivialement drôle qui finalement, ne vient pas. Je me fige.
Dans ces simples mots, il y a... de la violence. Un opportun danger. Une perfide invitation. Tout ce qu'il faut pour que j'en reste là, et rentre au châtelet.


La prochaine fois, oui.

Parfait.
Alors, pourquoi ajouter :


Mais j'en suis d'une danse.
Et si, pour changer, j'assurais le spectacle ? Accompagnez-moi donc jusqu'au plus grand théâtre de la ville. Je m'y rendais, en passant par la fontaine. Je monterai sur scène, pour vous être agréable. Vous pourrez rester coite, ou participer.
Qu'en dites-vous ? L'établissement est à deux pas... de deux.


L'heure, la fatigue, le froid pesant sont de mauvaises excuses. La vérité est plus banale :
Je suis diablement con.


Docteur Petrorius.
Médecin. Arracheur de dents. Aliéniste.
Sur rendez-vous.

 
Agliacci

Le Merakih 9 Dasawar 1509 à 06h49

 
Ses yeux étincèlent, comme les miens.
Un regard intense, aiguisé- trop, peut-être.

Là !

Oui, là ! Une étincelle ! Un regard…qui ploie ! Se déchire…s’abîme ! Se creuse, sous l’effet d’un feu, sous l’effet de son propre poids s’aspire, brasille, franchit, transperce, m’atteint…

Je te reconnais.

Mon cœur bat plus vite, attisé par la nouvelle : de la compréhension dangereuse a brillé un instant dans ce visage. Avant de se détourner. Une brusque envie de lui dire…quoi ?

Ce mystère rétif, ce lien indicible se brise aussi facilement qu’un château de cartes ; je ne peux y tenir : oh, si je le pouvais, j’ouvrirai cette boîte crânienne pour y retrouver l’instant fugace que je ne peux saisir. Je pose mes mains sur les épaules du docteur, avec violence certes, empreinte d’une certaine douceur pourtant, le roseau sec fléchit, je veux le soulever, lui rappeler, le ramener, le saisir, l’agripper à l’encornure de son âme, en tirer la substance qui vient de s’y cacher, ne pas le laisser fuir.

Regarde-moi,
Ne me regarde pas,
Parle,
Tu dois avoir quelque chose à dire !
La vérité ? C’est que ce j’ai reconnu, un court instant, chez l’autre, c’est une semblance de moi,
Et que j’ai une chance de rattraper ce qui doucement s’éteint et m’angoisse.
Ma tête tourne.

Puis – Petrorius a un sourire, attristé. Les mots, vrais et amers, s’enfoncent comme un couteau dans mon cœur, me laissant pantoise et meurtrie. Soudainement blessée, je laisse glisser mes mains de leur attache, les recouvre près de ma pelisse où je n’ai déjà plus l’impression d’avoir chaud. Tout le feu vient de l’intérieur, et voilà qu’il tangue à la bise du vent.

Le vertige s’accentue, j’écoute sans entendre le reste de ses paroles, je les connais déjà. Brusquement, j’aurai voulu que cela cesse, que ces vérités que j’ai trouvé de la plus abjecte des façons ne me soient plus rejetées à la face, je suis jeune encore, j’ai le temps de vivre ! Mais au fond, je sais – je sais bien être un cas profondément inadaptable.
Ma violence passionnée recule devant les paroles du médecin.
Et moi-même, je recule. La prochaine fois ? Le ton est clair : comprendre ‘il n’y aura pas de prochaine fois.’ Je fixe mes pieds, embuée dans un nuage de calme soudain, douloureux. Pendant quelques secondes, j’ai cru apercevoir un double. Je me trompais. La déception me laisse un goût acre dans la bouche et je regrette mon débordement de sensiblerie, mais je ne peux rien y faire, je ne peux jamais rien y faire. Inadaptable, ou inadaptée ? La réponse, elle était…là, tout à l’heure. Je l’ai perdu.
Et pour ceci, le médecin a une dette à payer envers moi. Je n’oublie pas.

Puis, enfin, les gonds se lâchent ; le barrage se casse. Je reporte le regard sur lui, la tête basse comme celle d’un animale, méfiante. Dès que je pense trop, je deviens une bête, une bête créative certes, mais sans aucune réflexion si ce n’est son instinct.

J’observe ce curieux roseau d’homme, avec son chapeau, ses cheveux blancs et ses yeux bruns, je suis étonnée que de derrière ces rides parviennent une audace fragile, lancée au hasard, sous le poids d’autre chose. Je le renifle. Odeur froide, chimique. Je pourrai partir. Je pourrai sortir, quitter ce poste de garde bruyant ; je pourrai parler, briser ce qu’aucun mot ne sait exprimer, baisser mes yeux qui à eux seuls sont un langage. Je ne réponds pas. Je le dévisage.
Seulement ça. Pour la première fois depuis longtemps, j’ai l’impression qu’on me parle sans a priori, sans préjugés, sans tromperie. Avec quelques mots un peu maladroits, hésitants – parce qu’incontrôlés. Dits par une espèce de force instinctive. La beauté de l’instant me laisse coite. Je la vis pleinement, respire cette atmosphère volontairement tendue. Je sais qu’il ne cherche pas à me prouver quelque chose, je sais qu’il ne cherche rien. Qu’il est. Et en ce court instant, je retiens mon phrasé. Je suis une actrice ; je mentirai en ouvrant la bouche.
J’ai l’air calme, mais dedans, dedans ça bouillonne et ça bouge. Je dis :


« Oui. Bien sûr. »

Passent quelques temps, puis reprend, le ton soudain plus vif et plus décidé :

« C’est une excellente idée. »

Et je me redresse aussitôt, retenant à la dernière minute ma couverture, la chaise racle derrière moi et j’agrippe son rebord avec intensité. Cet éclat reconnu – me fait encore mal et me laisse confuse.

« Qu’est-ce qu’on attend ? Viens ! »


Comme si c'était la dernière fois. La première fois.

 
Petrorius

Le Merakih 9 Dasawar 1509 à 20h59

 
Et voilà.

Il ne suffit pas de marcher dans le piège, encore faut-il qu'il se referme.
Je vois, non sans nostalgie, ma dernière chance de petite vie s'envoler haut tandis qu'un mot résonne comme un claquement de mâchoires d'acier :
Viens !

Or donc, je viens. Le temps d'attraper les fripes de la Dame, de la voir enfiler ses chaussures en sautillant, et déjà, nous sommes dehors. La soldatesque en mange des ronds de mon chapeau.

Agliacci. Avec sa cape bouffante et ses longues jambes nues, on dirait une autruche. Je pense à tout et je ne pense à rien, marchant à ses cotés, marchant en direction du Nord, marchant vers le plus grand Théâtre qui soit :
La Pyramide du Terreau.

Et tandis que j'avance, j'observe que le monde roule sous les pas... de l'Aviha.
Alors ça !


*** A suivre sur "la place du terreau" ***


Docteur Petrorius.
Médecin. Arracheur de dents. Aliéniste.
Sur rendez-vous.

 
Agliacci

Le Merakih 8 Saptawarar 1510 à 09h50

 

Parce qu’il fallait bien que. Un jour. Comme ça. Hasard. Par, subséquemment, hasard, je passe. Appâts feutrés, à pas de louve, à pas nus – passablement enivrée, donc – je me laisse aller, yeux clos et jambes légères au vent, à pas long comme à pas court. Il y a des bruits de fêtes et des bruits de voix sans voies, des accents nasillards lorsque le vin monte à la tête des faunes nocturnes. Comme je ferme les yeux – très fort - je mords à l’âme son, et comme je suis seule et bien seule, j’en souris en grand. Les bras un peu écartés pour vérifier la présence consolante d’un mur, virevolte, le but du jeu surtout, c’est de ne pas ouvrir les yeux ! - je répète, puérile – sinon j’ai perdu, et le grand méchant loup, et le grand méchant loup…

Attraction des formes, séduction des cithares prometteuses : je m’en détourne. Je suis une ombre d’opaline qui flamboie à peine parmi les ambres des murs du Dédale, à peine entraperçue que je m’enfuis déjà. Une courbe pas fichue de se plier pour former une ligne droite, avec ce petit cœur qui pulse sous les côtes et la taille qui dessine une caracole en arc-de-cercle pour un chassé-croisé. Le plus dur, c’est de garder son équilibre ; avec le vin qui délaye les sensations à l’artificiel, les bras ont du mal à tenir la langueur et se perdent en conjectures hâtives. Sans l’appui de la vue, je manque m’écrouler une ou deux fois, la troisième est la bonne. On se redresse sur coudes râpés, c’est pas une raison pour rouvrir ces yeux, non non non non ! Tant pis pour la chemise, je savais bien que.

Je me présente : Agliacci, étoile filante, et pour le moment je file vers un rendez-vous ô combien important.

Il va bientôt être minuit. La plus belle et la plus inaccessible des heures.

Personne ne me demande où je vais et c’est plutôt pas mal. Augmentant un peu la cadence, je zigzague – car il est difficile de rectifier le tir – dans un groupe de badauds qui discutaient près d’un fumoir. Pas le temps de s’excuser et de partager le narguilé que j’enchaîne la ruelle des Souliers et raccorde à la petite rue des Flutîstes. Passe devant un quelconque opéra et à l’embranchement, il faut s’arrêter un peu, c’est le jeu. Ne pas prêter attention aux pavés froids sous les pieds. Se concentrer et imaginer…

[….La petite place, nichée dans le Dédale, avec ses maisons, éloignées – relativement - des fêtes tapageuses et des tripots de jeux. Presque calme et toute ronde. L’horloge, accrochée sur le fronton d’une baraque en bois clair, qui râle à propos de tics et de tacs. Un chat mauve qui se moque de tout, roulé en boule quelque part. Une fontaine au centre, avec une large margelle blanche pour s’asseoir dessus les jours de chaleur, et voir les filles, longues et brunes, à la peau jaune comme les soleils venir y puiser de l’eau en chantonnant à fraîche voix : A la claire fontaine, en m’allant promener, j’ai trouvé l’eau si belle, que je m’y suis baignée, que je m’y suis baignée, …]

Le parcours, je l’ai déjà fait plusieurs fois. Pour ainsi dire, appris sur le cœur des doigts.

Vers minuit, la place sera désertée, exception faite du chat mauve qui se moque de tout roulé en boule quelque part. Et, bien sûr, évidemment logiquement probablement selon la réalité de l’histoire, moi, qui avance timidement maintenant, comme une jeune amoureuse pas encore sûr d’elle-même, et qui tourne autour de la fontaine avec indécision, se mordillant la bouche, se moquant de tout moi aussi, sauf de l’heure.

Je me rends compte que je carre mes épaules et que mes muscles se tendent. Vibrent. De fragiles et malhabiles, les gestes se font patients et attentifs.
Il fut un temps où je pensai que...et puis je faisais ceci, et puis je faisais cela, sans omettre de pratiquer ou de converser à propos de…Il fut un temps, il en sera d’autres.
Je ne vois pas l’aiguille se ré-hausser en râlant sur le douze fatidique. Mais je l’imagine, l’entend.

Il n’y alors qu’une seule chose à faire. Bondir en avant. Et saisir en avant ce mouvement fluctuant des choses et des êtres, cet abîme de liberté que mon âme poussiéreuse, imparfaite, ne recouvre que dans un abandon total et sans compromis des conventions. Se griser de se sentir vivre des orteils aux oreilles, se griser de tout sentir vivre, les yeux clos. Tant que ça bouge, croît, pousse, respire, inspire, pense, - mouvement des choses et des êtres qu’on ne saurait ôter, qu’on ne peut comprendre, qu’on ne peut que laisser aller, séduction irrésistible de la pureté des lignes et de l'infini du vivant. Mouvement des nervures, des horloges, des hommes et des femmes et de leurs pensées irisées, mouvement des morts – de minuit, lorsque les dates mêmes s’échangent, lorsque le flou du temps est le plus profond…Tenter donc de mener l’expérience à bout, de la tester en grand : de baser une chorégraphie improvisée sur les fluctuations du monde. Idée enivrée, imparfaite, idéale, idée de minuit. Je me laisse aller, je laisse la danse aller au mouvement et s’entrelacer au vide de l’esprit, les pieds soudain en contact avec la margelle humide de la fontaine, soudain derviches, et puis tout doux, qui claquent et caressent des talons et des pointes, s’envolent, langueur. Les bras en croix, puis en étoile, valsant soudain avec un étranger invisible. C’est ça. Ne plus penser. Que vibrer…

Ça serait drôle. Pour voir.




Comme si c'était la dernière fois. La première fois.

 
Agliacci

Le Julung 19 Astawir 1512 à 17h03

 

C’est curieux. Très curieux.

Après ce long cycle passé sur les côtes de Lerth, le bruit ici lui paraît assourdissant. Elle capte des détails qui jusque là lui étaient resté inconnus : le monde du trottoir et des canaux regorge de cent, de mille nouveaux cris. Les modulations de la ville semblent s’être tant et si bien étendues que la Luthière ne sait plus qu’en dire.

C’est amusant parce que, alors qu’elle faisait son chemin ce matin vers son ancien atelier, la tydale n’a pas reconnu les murs qu’elle avait appris à chérir. Ses pieds ont enjambé de nouveaux ivrognes et les détours l’ont avalé et perdu.
Elle. Agliacci, l’astre instable de la scène, la dame en guêtres, celle qui tantôt pouvait d’un sourire ou d’une pique faire la pluie et le beau temps sur les célébrités des Dédales ; elle, qui connaissait chaque tripot et taverne par le nom de son patron, qui avait plus qu’à son tour abattu les cartes et qui n’avait jamais hésité à tremper dans une histoire de Luthiers. Elle et ses improvisations bigarrées, sa connaissance parfaite – parfaite ! – du labyrinthique univers, ses aventures aux dix mille couleurs et au parfum d’épices sur la peau de la nuque…elle-même qui n’en finissait pas de parcourir le dos rond d’Arameth, de rire et de s’étonner du moindre de ses étirements.

On l’avait placidement informé que son propriétaire avait revendu l’appartement, ce qui en soi n’était guère étonnant malgré les précautions qu’elle avait prise. Cela lui avait à peine fait hausser les épaules ; Agliacci LeFol, se la jouer sédentaire ? Que nenni ! On irait parcourir d’autres rues, conquérir d’autres cœurs ! Tiens, Céleste, cet agréable petit morveux à l’angélique chevelure, ne gardait-il donc ses œuvres à sa demande ? Si elle avait pris soin de conserver ses propres brouillons de pièces, elle avait avec plaisir laissé ses peintures à ce vieil ami. Il allait désormais être difficile de les retrouver : Céleste avait tiré sa révérence et on le prétendait parti s’enrôler caravanier. Mais quelle idée ! avait pesté Agliacci. Caravanier ? Et pourquoi pas marchand, tant qu’on y était ? Ces aramathéens : laissez les un cycle, et ils n’ont plus les idées en tête !

C’était bizarre, c’était curieux, et plus les soleils s’allongeaient à l’horizon, plus la tydale n’avait su comment nommer exactement cette sensation qui grandissait dans son torse, là, dans ce palpitant rouge et pur, et il y avait quelque chose de vraiment étrange…

Désormais elle erre. Elle se sent comme la première fois – il y a des cycles de cela ! – où elle a mis les pieds dans ces charmants Dédales.

Par les Six, c’est tout Arameth qui lui apparaît étrangère…sa Perle Noire adorée, sa ville chamarrée… !
Alors elle passe. Sa main svelte – qui semble avoir pris en cals – caresse les murs grisés par la nuit avec la douceur qu’on accorde à un amant. Elle murmure à part elle, une belle ombre digne qui échappe aux regards des fêtards des environs.



‘ Dans les rues de la ville, il y a mon amour…peu importe où il va dans le temps divisé.’


Arameth – chaque nouvel embranchement, et c’est une bouffée de souvenirs…

Il est presque minuit et Agliacci se doit de l’admettre : elle avait craint de retourner ici. Oui, pendant un cycle, un si long cycle, elle n’avait voulu revenir...ne pressentait-elle pas déjà comment la scène se déroulerait ? On perd des mois à refouler les fantômes, et lorsqu’on glisse un pas dans leur tanière, on se rend compte qu’ils vous avaient déjà suivi…et que peut-elle y faire, hein ? Que peut-elle y faire ?

Le Temps avait abattu ses cartes une par une.
Et que peut-on y faire ?

Depuis quand avait-elle, exactement, cette conscience derrière la tête, cette mémoire qui lui parlait tout bas, ces rêves dont elle ne voulait pas ? Depuis quand refusait-elle les tripots, depuis quand songeait-elle aux silences de Lerth lors qu’elle était engoncée jusqu’aux oreilles dans les déperditions d’Arameth ? Depuis quand cette colère, cette gloire, cette envie, soudainement, de ne plus jouer les rôles mais de renverser la scène ? Depuis quand ne demandait-elle plus la célébrité de l’Amphithéâtre, mais les mots, les justes mots pour écrire la pièce, la juste pièce, tout ré-écrire ?
Depuis quand le crâne rasé à la va-vite, cette assurance fluide des mouvements, cette sobriété aux coins des yeux ?

Tout ré-écrire…

Alors elle passe. Il est bientôt minuit et elle retourne là où elle retourne toujours.

Une petite place ronde quelque part dans le Dédale, une fontaine au centre, avec sa jolie margelle blanche où elle avait autrefois accroché ses pieds nus… - eh, t’en souviens-tu, lorsque ivre tu étais déjà venue, et dans les bras du Docteur tu avais trébuché ?...et cette fois-là, encore, où l’innocence méchante gonflait ton cœur ? T’en souviens-tu des toits plats et éclatés des bas-quartiers, ceux que tu maîtrisais d’un pied rieur quand il s’agissait de séduire la lune ?... – Il m’en souvient. Les souvenirs, que voulez-vous…je me rappelle du mouvement, du vent frais sur la peau. Je me rappelle des vagues… -

C’est curieux mais ce soir elle n’est pas ivre et le chat mauve de la place ronde feule à peine sur son passage, encore plus rond qu’avant.

‘Je me rappelle du mouvement…’ Vraiment ?
Vraiment ?
On ne peut pas mentir plus de trois fois.

Pourtant cette fois à regarder la margelle blanche qui borde l’eau froide et étonnamment profonde de la circulaire fontaine, Agliacci ne ressent rien de cette appréhension enthousiaste qui l’avait saisi autrefois. C’est curieux mais il y a comme un équilibre dans sa tête, quelque chose comparable à du calme et cela devrait l’étonner mais ne la surprend pas.

Elle répète son vieux rituel, bondit sur la large margelle et procède à quelques étirements de bon ton.

Au fond elle peut toujours cavaler à l’autre bout du monde, c’est toujours là qu’elle revient. Là : à courber son corps vers les étoiles, à plier son corps comme d’autres une feuille de papier, les yeux clos et le visage calme, les pieds tournant comme des axes fous pour soutenir la danse, cette danse où il n’y a rien, plus rien, parce que seul le mouvement compte, seul le mouvement compte et elle, elle n’est naît que pour épouser le mouvement qui toujours et partout meut les choses, change le destin, trace un sourire ou fait ployer les corps, le mouvement qui fait tourner le Temps et qui fait danser toutes chairs, partout, partout…

Alors, que peut-elle y faire ?
Elle peut toujours danser, ne vous en déplaise.



Comme si c'était la dernière fois. La première fois.

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