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Les Dédales du Luth

L'insoutenable légèreté de l'être

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Sujet lancé par Agliacci
Le 10-11-1510 à 22h17
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Posté par Agliacci,
Le 10-11-1510 à 22h17
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Agliacci

Le Merakih 10 Nohanur 1510 à 22h17

 
Le pinceau trace ses courbes :

« L’histoire est toute aussi légère que la vie de l’individu, insoutenablement légère, légère comme un duvet, comme une Poussière qui s’envole, comme une chose qui va disparaître demain. »

En parlant d’éphémère, le soleil épouse l’abîme de la ligne d’horizon. Arameth prend la teinte orangée et surréelle qui éclabousse les bâtiments d’une écume mélancolique. Fou comme au crépuscule ce sont les édifices qui semblent plus vivants que les poussiéreux qui les hantent. Agliacci se les représente, un instant, penchant leur lourde tête de briques ou bien de marbre, de bois ou de pierre, se tendant les toits par-dessus les filatures des canaux…cité maladroite, bâtiments infondés.

Je suis Nyx et je ne connais pas de lois, voilà ce qu’ils pourraient se dire dans leur langue de pierre.

Que devaient être, pour leur pesanteur architecturale, les va-et-vient du pinceau de l’artiste sur sa toile fine, à peine granulée ?

Des gémissements poétiques. Des soubresauts de passion. Convulsions épileptiques d’un art aussi léger qu’un voile.

En parlant d’évanescence, les fragrances de la térébenthine inondent l’atelier de peinture. Agliacci indique posément à son modèle les dates à lesquelles elle désire le revoir, et l’invite à sortir en ouvrant galamment la porte.
En parlant de fugace, elle sifflote distraitement dans l’atmosphère renfermée du local. Sons feulés comme des billes blanches sur des grains de sables.


Comment il s’appelait, déjà, le type ? Tu sais, celui avec la statue.

Yorick le Bufo, animal de compagnie des plus agréables s’il en est, n’est pas franchement le modèle de pointe de l’intelligence batracienne, mais c’est un vrai anoure et il croasse en réponse du haut de son piédestal, barbotant dans un saladier d’eau.

Agliacci secoue la tête en riant.

Non, non. L’autre. Ah oui ! Pygmalion. Il m'en a fait baver celui-là !

Son regard qui joue double jeu parcoure les toiles qui habitent l’atelier. Il y avait là les parchemins qu’elle avait défiguré lors de la bataille contre le Tark’Nal. La toile contre laquelle elle s’affairait représentait la chute des étoiles : plus tard, il s’agirait de louvoyer avec assez de finesse pour se gagner une place dans l’exposition de l’Amphithéâtre d’Arameth, rien que ça !
Par là, des portraits variés de la Confrérie. Petrorius, Hohen, Elyane, Cydine… Aliundil. Le seul dénominateur commun ? La vivacité floue des lignes et des courbes, l’oblique perpétuelle et légère du pinceau. Oh, et voici ! Des scènes quotidiennes d’Arameth. Un homme-statue, quelques étranges édifices et des étendues de sable. Une horloge qui indique minuit. Des prostituées aux angles des rues. Des œuvres nues, des paysages à vau-l’eau et des messages cachés en tout petits caractères. Elle les avait oublié à l’ombre d’un drap, les voilà présentes, ces vieilles précieuses, ces survivantes.

Le fantôme de Pygmalion hante tous les artistes et Agliacci n’y échappe que par une impudique bonne humeur.
Il fait bon vivre, c’est que dit sa bouche souriante, la vive sérénité de ses yeux vairons, l’assurance féline de ses mouvements. L’histoire vous veut triste. Un bon moyen de lui résister c’est d’être joyeux.


Pygmalion traîne sa bourgeoise de Galathée à la manière d’un Sisyphe sa pierre. Laissons tomber Pygmalion. Laissons tomber Galathée.

Hélas, pauvre Yorick ! Il fait si bon vivre !


Croassement.

Dans un sursaut de décence, la tydale enroule son corps nu d’un chaste drap avant de sortir sur le balcon et de s’accouder à la rampe.

Un regard en contrebas. Qu’elle aime cette ville ! Qu’elle aime ce théâtre des rues, gratuit, changeant, offert à tous, pour peu qu’on regarde par-dessous la rambarde…

…L’absurde prenait une teinte merveilleuse au crépuscule.

Je suis Nyx et je n’ai pas de sens.

Agliacci a maintenant un grand sourire aux lèvres alors qu’elle roule une cigarette entre ses doigts peinturlurés. Son regard vairon devient un joyeux orpailleur qui, accompagné de sa copine Sifflotis Sifflotas, tamise la rue pour en tirer les perles rares – et noires. Quel saynète ravira la belle ? Quel rêve ira-t-elle pêcher dans le torrent des passagers des rues ? Quelle richesse illustrer, quel amour dérober ?

On pourrait presque imaginer la peintre ronronner tant sa posture fauve est indolente et satisfaite. Attentive pourtant, à la tension légère de ses omoplates.

Elle pense à cette très belle phrase : avant de disparaître totalement du monde,
la beauté existera encore
quelques instants,
mais par erreur.
La beauté par erreur,
c'est le dernier stade
de l'histoire de la beauté.


Ce sera une histoire très légère, sans doute.
Et la vie est belle, et la vie est belle.



Comme si c'était la dernière fois. La première fois.

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