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Les Dédales du Luth

C'est ainsi que...

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Sujet lancé par Agliacci
Le 26-01-1511 à 17h24
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Posté par Agliacci,
Le 28-03-1511 à 17h25
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Agliacci

Le Merakih 26 Jangur 1511 à 17h24

 
Dans l’esprit d’Agliacci, une femme qui n’arrive pas en retard, ce n’est pas vraiment une femme. Ce serait comme…une moitié de femme, seulement. Une tydale qui se respecte se doit d’arriver en retard au moindre rendez-vous, soit-il de la plus haute importance pour la survie du monde connu. Contrevenir à ce schéma reviendrait à se rabaisser à l’état…à l’état…ben, des gens sérieux qui sont à l’heure, apprennent leurs cours, et forment une carrière aussi brillante que terriblement longue et ennuyeuse dans l’administration du Terreau.

Non, non, non. Elle ne peut décemment pas arriver à l’heure. D’autant plus qu’elle est Artiste du Luth, par l’Horloger ! Autant dire une incarnation vivante du deus ex machina, de la dernière minute, du moment où on ne l’attendait plus ! Si les acteurs de théâtre commencent à être à l’heure, au moment et à l’endroit où on les attend, le monde n’a plus qu’à trembler de peur et les dramaturges à changer de scénariste.
Non, ce n’était pas possible.

Et pourtant.
Agliacci jette un regard perplexe autour d’elle. Non seulement elle est bel et bien à l’heure, à son grand embarras, mais, pour couronner le gâteau, elle ne s’est pas perdu une seule fois dans les aléas du Dédale. Elle est l'exactitude même.
Inutile de dire que la tydale s’en sent bien penaude.

Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, Agliacci hausse les épaules. Après tout, elle n’est pas venue ici pour impressionner Hohen. Preuve en est qu’elle a tout l’air d’être tombée du lit – ce qui est littéralement le cas – et qu’elle se meut avec une discrétion rare et prude. Elle songe, non sans ironie, que curieusement, Hohen est le symbiosé qu’elle peut se targuer de fréquenter le plus : cette affaire de banquet du nouveau cycle, puis le fait que l’étrange tydale soit parvenu à s’incruster dans sa nouvelle vie de famille en devenant garçon à tout faire pour son père adoptif…oui, Hohen était probablement le seul symbiosé à savoir que son estomac ne digérait pas les champignons importés de Lerth. Huh. Bref, Agliacci respecte le bégayant Luthier bien plus qu’il ne s’estime lui-même, assez en tout cas pour décider d’apporter un cadeau à ce dernier. Qu’est-ce qui aurait bien pu ravir l’étrange Ordinant ? Elle s'était bien rendu compte qu'elle connaissait peu les goûts et les couleurs du tydale. Dans le doute, l’actrice avait sagement opté pour une bouteille de vin, se disant avec espoir que « c’était un truc qui marchait à tous les coups, et qui ça ne se marchait pas, c'était toujours une bouteille en plus pour soi. » (Sic une conversation avec le sus-mentionné père adoptif.)

Elle évolue d’un pas léger, cherchant des yeux la rue qu’Hohen lui avait indiqué dans son message. Il avait sous-entendu qu’elle ferait mieux d’y prendre son temps. Sa curiosité débridée avait aussitôt fantasmé une rue en trompe-l’œil, une rue végétale, une rue faite de flûtes géantes dans lesquelles le vent passerait en produisant des notes lugubres et sinistres …une rue d’effluves cristallisées, peut-être ?

Qu’en serait-il vraiment ?

Son regard clair accroche brusquement la dite rue. Elle s’y avance aussitôt, prévenant télépathiquement Hohen qu’elle est bien arrivée.




Comme si c'était la dernière fois. La première fois.

 
Hohen

Le Julung 27 Jangur 1511 à 23h41

 
Quelques instants passent. Aucun écho télépathique mais l'artiste avait l'impression que son message avait été entendu. La ruelle était calme, mais derrière la porte massive, des bruits sourds semblaient perturber le silence. Un bruit régulier, comme un immense poumon libérant un souffle rauque. Face à un tel bruit, les pas du petit Ordinant étaient silencieux. Il ouvrit la porte. Il s'incline légèrement.

Avihia Agliacci, vous...vous tombez au bon moment, nous allons bientôt commencer, si vous voulez bien me suivre.

Le matassin se redresse et se décale pour laisser rentrer l'artiste. Il ferme la porte derrière eux et prend la tête du convoi Luthien. Le couloir est excessivement sombre, elle le suppose assez étroit et sait qu'elle marche sur de la pierre. Le reste par contre est une totale inconnue. Ce qui était davantage connu, c'était que la chaleur augmentait rapidement et que le bruit s'intensifiait. Comme un immense poumon oui, de charbon et de flammes. La lumière qui passe sous la porte qui est devant les deux aiguilles est la seule indication qu'ils sont au bout du tunnel. Hohen ouvre la porte d'un coup sec et disparait dans un torrent de lumière et de bruits, laissant son acolyte aveuglée et assourdie.

Il faudra quelques secondes à Agliacci pour s'accommoder à ce changement abrupt de situations. Elle vient de pénétrer dans une immense salle au toit de verre ciselé par d'impressionnantes poutrelles métalliques. Au centre de ce qui tient lieu davantage d'un hangar que d'un salon se tient un soufflet imposant que plusieurs ouvriers animent en faisant rouler leurs muscles. La chaleur est suffocante, l'odeur de charbon et de sueur est presque une gêne pour respirer. Un peu plus loin, l'Ordinant fait signe de le suivre. Quelques instants plus tard, après avoir traversé l'atelier, les deux tydales débouchent sur une pièce plus petite, plus calme. Ici, les murs sont d'un blanc immaculé, seul un fourneau en son centre contraste avec la blancheur de la pièce. Quelques ustensiles métalliques sont posés sur une table blanche ainsi qu'un grand seau d'eau. Enfin au fond de la pièce, une autre porte.

Derrière eux, un nelda à l'âge intemporel rentre dans la pièce et l'Ordinant s'incline de nouveau. Il ne fait même pas attention aux deux visiteurs. Sans un mot, il attrape une tige d'acier grande comme lui. Il tourne lentement jusqu'à s'arrêter sur l'artiste. Ses yeux se plissent, quelques canines se dévoilent et un rictus bienveillant se forme.

Avihia...Agliacci, j'ai...

Un regard sur Hohen.

...beaucoup entendu parler de vous. Poète, artiste, serveuse, musicienne, que puis-je oublier d'autre ?

L'ordinant à ses cotés toussote. Le nelda hausse un sourcil épais.

Pas la peine de vous expliquer, vous avez...déjà compris.

D'un coup de pattes, le nelda pousse une pédale et le fourneau s'ouvre. Il plonge la barre de fer, et la remue comme on touille une soupe. Il chantonne une balade de l'Ordre dans sa langue natale.

Ah, c'est prêt. Hohen, c'est à vous.

Le matassin avance vers le fourneau et saisit fermement la barre en fer. Il la ressort avec au bout une petite boulette de verre en fusion. Rapidement, il fait basculer la tige sur ses genoux et se saisit d'une sorte de grande pince en fer avec laquelle il commence à modeler la masse informe.

Plus vite.

Plus souple le poignet.

Plus fort.


L'ordinant tire la langue en un rictus concentré, obnubilé sur sa tâche. Petit à petit, un petit cheval prend forme. Enfin c'est ce à quoi ça ressemble plus mais ça reste flou. Pas plus de deux minutes passent, le verre commence à se solidifier.

J'ai vu pire.

Sashi rhon Fuo.


Un instant. Le nelda plonge l'animal dans le seau et une petite fumée s'échappe dans un "pchiit" discret. L'ordinant repêche la sculpture et fait signe à Agliacci de le suivre. Le nelda ne bouge pas, semble regarder dans le vide. Il continue à chantonner.

La troisième pièce est davantage un musée qu'un atelier. Des lustres immenses dont certains ressemblent étrangement au Châtelet du vieux Petroman. Des chandeliers improbables, des verres à pied, des couverts, des bijoux et diverses statuettes. Un immense bric à brac cristallin qui ne demandait qu'à tinter et briller.


 
Agliacci

Le Julung 3 Fambir 1511 à 22h47

 

L’odeur de charbon et de sueur la gênent pour respirer.

Agliacci n’est pas une midinette, une de ces grandes dames aux mains pâles et fines. C’est une sauvage avant d’être une femme du monde. Une matriarcale, quoi. Qui agit avec l’étonnante certitude qu’elle n’est pas ‘du monde’, mais que le monde ‘est d’elle.’ Elle se flatte de porter pantalons et chemise, de savoir jouer à tous les jeux de cartes existant, et, mieux encore, d’y gagner. On ne la voit jamais pousser des cris d’orfraie lorsque quelqu’un, dans une taverne quelconque, perd une dent. Elle ne s’évanouit pas dans les situations critiques, parce qu’elle est une situation critique en elle-même. Bref, ce n’est en aucun cas une petite nature.
Enfin, ça, c’est l’impression qu’elle donne.

Dans les faits, ces fichues odeurs la prennent à la gorge et elle laisse échapper une quinte de toux. Quelle idée terrible a traversé le cerveau d’Hohen pour qu’il l’amène dans un endroit pareil ? C’est à peine si on peut respirer normalement ! Elle jette un regard inquisiteur et mauvais au soufflet qui occupe le centre de la pièce, cherchant à en percer la nature, mais lorsque l’Ordinant lui fait signe de le suivre, c’est avec reconnaissance qu’elle s’engouffre à se suite dans une pièce attenante et plus calme, où ses sens ne menacent pas de lui filer la migraine pour le restant de la journée.

Elle parcourt la salle du regard, s’apprête à questionner le tydale, qui, lui, prend soin de ne pas desserrer les lèvres. N’est-ce pas, par hasard, un atelier de soufflage de verre, quelque chose comme ça ?
C’est le moment que choisit un nelda non-symbiosé pour entrer dans la pièce.
Agliacci est aussitôt subjuguée par l’intemporalité que dégagent ses traits. Le poussiéreux a l’air d’une antiquité en mouvement, un vestige d’une autre époque, et c’est avec surprise qu’elle constate que ce dernier lui adresse la parole. Elle jette un regard hermétique en biais à Hohen.


Merci, avih, fait-elle avec douceur, ne sachant que trop répondre à l’élocution énigmatique du confrère.

Elle a un pauvre sourire en se demandant ce qu’elle est bien censée comprendre. Pourquoi S’shark pense-t-on sans arrêt qu’elle est plus maligne qu’elle n’en a l’air ? L’actrice s’adosse placidement contre le mur, bras croisés. Les deux confrères s’attellent bel et bien à ce qu’elle a supposé : du soufflage de verre. Intéressant. Elle qui s’était justement souvent demandé comment se passaient ce genre de sculptures… ! Oh, bien sûr, elle en avait formé une vague idée, s’était renseigné à droite, à gauche. Mais assister à l’artisanat lui-même ? Non. Elle suit avec intérêt et curiosité les gestes d’Hohen, s’émerveille devant la pratique que déploie l’apprenti-artisan, écoute sereinement la chanson antique qu'exhale le professeur. La tydale aime les surprises, c'est une de ses caractéristiques, et elle laisse celle-ci infuser dans son esprit, se déployer petit à petit, souhaitant ne pas l'entrechoquer ou la briser d'un geste ou d'un mot mal placé.

Elle fait suite à Hohen lorsque ce dernier l’invite de nouveau à bouger. Jetant un dernier regard au nelda (rhon Fuo ?) :


Il m’a l’air d’un bon maître, remarque-t-elle tout bas.

C’est d’une grande banalité mais la sincérité y est.

Le poney est très bien, poursuit-elle sans sembler prêter attention au mutisme qu’observe Hohen. C’est juste dommage qu’il ait une patte plus grande que les trois autres. Mais la technique a l’air si compliquée ! Peut-être que…

Oh.


Les pas de la tydale ralentissent et s’immobilisent. Leur propriétaire découvre, avec une expression agréablement surprise, le palais de verre dans lequel elle se trouve.
Du verre. Qui songe.
Lorsque les pas reprennent, c’est sur un rythme de danse, alors que la tydale se laisse couler en silence plus près d’une statuette, et puis d’une autre, et puis d’un couvert, et…
Et de disparaître au gré de ses envies, allant d’une exposition à une autre, pleine d’un ravissement enfantin pour tout ce qui brille.
(Une vraie pie, en somme.)




Comme si c'était la dernière fois. La première fois.

 
Hohen

Le Sukra 5 Fambir 1511 à 21h47

 
*** ***


Je ne peux me retenir d'avoir un sourire en coin lorsque je vois mon artiste de consœur virevolter au milieu de la verrerie. Je l'ai perdu de vue. Je me retrouve comme un grand dadais que je suis avec mon cheval malformé. J'hésite à lui offrir. Du travail d'amateur qui est sans aucune comparaison à ce qui peut se trouver dans cette pièce. Un bien pâle cadeau dont la seule valeur est le prix du verre. Qui voudrait d'un cheval avec une jambe trop longue ?

D'un geste de la main, je chasse ces pensées parasitaires comme j'éloigne un moustique récalcitrant. Je prends mon temps à me balader dans ce musée cristallin, loin du tumulte du monde extérieur, loin des tragédies, des fourberies et des soucis. L'idée que le Tark'nal puisse corrompre un tel endroit me brisait le coeur, je remercie les Cieux de conserver ce lieu un petit plus longtemps.

Je passe devant ce vieil instrument. Poussiéreux parmi les poussiéreux. Une commande annulée à la dernière minute, je me souviens. Combien d'années était-il là ? Cinq ? Dix ? J'étais encore apprenti à l'époque. Je laisse mes doigts l'effleurer le capot, créant des rayures de propreté au milieu de la poussière. J'hésite. Je me tâte. Je cède ? Je ne cède pas ?


*** ***


En souvenir du bon vieux temps.

Doucement, je soulève le rabat en bois. Rien n'a changé depuis l'époque. Comme dans mes souvenirs. Une pichenette sur l'un des bols en cristal et une note s'échappe rapidement. Sourde, comme un simple tintement de verre lors d'une soirée. Mais il n'appartenait qu'à quelqu'un de suffisamment passionné d'en faire sortir un tout autre son.

Après tout, je suis Luthier.

Je m'installe sur le petit tabouret et commence à imprimer un rythme avec mes pieds. Comme un métier à tisser après tout, l'enjeu était juste de garder la même vitesse. L'axe métallique embrochant les bols tournait mais le silence régnait en maître toujours. Je léchais mes doigts l'air songeur, fouillant dans ma mémoire le morceau le plus facile que je connaissais.

Ah oui...

Dans ma barbe de trois jours, je chantonnais l'air.

Ambiance

Très vite, le silence s'oubliait, cédait sa place de bon coeur à mes délires musicaux maladroits de débutant rouillé. J'avais oublié ce son, cette impression de s'envoler. Ce vieux Petrorius et ses théories alambiquées sur le son et l'abson connaissait-il cet instrument bizarre autrefois interdit ? Oh je suppose que ce vieux fou savait tout.

 
Agliacci

Le Matal 8 Fambir 1511 à 19h51

 

La musique vient la cueillir à revers. Elle est inattendue, évidemment, d’autant plus que les harmonicas en verre frisent le domaine de la légende tant ils sont rares ! Agliacci est par ailleurs incapable de l’identifier. C’est qu’elle n’a jamais entendu le son de « cet orgue céleste », le bruit souple et fluide d’ondines vitrifiées, chantonnant soudain pour celui qui les caressent...

Elle relève la tête, aperçoit, par-delà les rangées, la silhouette dégingandée de Hohen voûtée au-dessus de ce qui lui évoque une forme raccourcie et amputée de piano. Qu'est-ce que...Enfin, ça n'a pas l'air dangereux.

Son attention revient vers le magnifique vaissair qui occupe un socle de large envergure au centre de l'exposition. Il semble déployer des voiles de cristal gonflées de lumières, alors que des figures – Nemens ? Poussiéreux ? - s’appuient contre les rambardes du navire volant, les traits flous et effacés. Le détail de l’œuvre est prodigieux, cette dernière occupe d’ailleurs beaucoup d’espace et elle passe un doigt curieux sur son contour. Une simple poussée suffirait à renverser le fragile navire, à le fracasser au sol. Elle imagine un instant : le mât élégant qui se brise à terre, les voiles qui se déchirent, la monstrueuse coque de verre qui s’ouvre sur elle-même et les silhouettes si minutieusement crées, posées, assemblées là, percutant le monde froid et mécanique, rompues et finalement, expérimentant la condition de poussière…

Un pauvre sourire flotte sur sa figure alors qu’elle se saisit avec prudence d’une figure féminine dont la mise est celle d’une grande dame. Accrochée au bastingage, elle pointe du doigt quelque chose – mais quoi ?

Combien de temps le génie qui est derrière cette œuvre a-t-il mis pour en accoucher ? Quel amour dans les détails ! Quelle précision inimaginable, quelles formes réalistes tirées de l’accouplement du souffle et du verre ! Agliacci s’accroupit, fascinée par ce vaisseau tentaculaire et cette poupée de verre qu’elle tient entre ses doigts. Quelque chose la chiffonne. Elle repose la figurine à la proue, modifie discrètement l’ordre des passagers. Les personnages esseulés d’un seul coup se retrouvent à discuter à des endroits improbables. Des couples d’amoureux se forment.

En naviguant entre les rangées, la tydale saisit quelques autres figurines au hasard, celles qui lui plaisant, accrochent sa curiosité : qu'elles sont bien tristes et froides si seules ! Agliacci constitue un nouveau monde à bord du navire autrefois si peu peuplé et si bien rangé. Une allégorie de Kryniosias soudainement s’accoude à la proue, grand capitaine, observant ce va-et-vient d’un œil de verre impénétrable. La Faucheuse, sur son cheval pâle, brandit une faux cristalline par-dessus le bastingage. Des personnages anonymes, figures minuscules nées de la patience tendre d’un artisan anonyme d’Arameth, disparaissent de leurs décors initial pour peupler la nef tranquille et lumineuse. Le cordonnier échange sa femme avec celle du boulanger. Le mélancolique poète lève son visage limpide vers l'horizon, guettant sans doute un albatros ; à ses côtés, le bouffon ricane, le haut-rêvant fume, placide. Des musiciens jouent un air chimérique sur leurs instruments de verre. C’est tout un monde que la tydale crée ! Et toute une histoire qui se tisse dans sa tête.

Mais il manque quelque chose à cette grande Nef.
Le cheval d'Hohen.

La comédienne réapparaît à côté d’Hohen, l’air de rien. L’innocence elle-même pourrait se mirer sur son visage sans y voir une ride de ruse.
Elle jette un regard assez peu curieux sur l’instrument, son esprit trop occupé à son ouvrage, mais cela ne l’empêche pas de dire :


Mon aliéniste de père deviendrait fou s’il voyait cette merveille ici. Vous savez, Hohen, j’espère, que ces instruments sont d’une rareté inadmissible ! Il paraît que leur construction est éprouvante et ceux qui savent en jouer sont bien peu. Je n’en avais jamais vu ailleurs que dans les livres…

Son regard se perd un peu. Oui, c’est avant tout dans le nez dans les bouquins qu’Agliacci a côtoyé le monde. Enfin, du moins, lorsqu’elle parvenait à en dénicher un. Difficile à croire.

On dit aussi que ces instruments provoquent la folie et la mort de ceux qui en jouent, l’informe-t-elle galamment, au cas où ce dernier l’ignorerait. Pétrorius est certain que ce ne sont là que superstitions infondées, mais tant qu’aucune expérience n’aura été menée…de ce qu’on en sait, Jôlatre le musicien s’est crevé l’œil et continue encore de nos jours à tenter de manger ses chaussures. Avec ses pieds dedans.

Même si, dans le cas présent, c’est plutôt sa propre mort qui le guette si Hohen continue de jouer si grossièrement l’air du grand compositeur.
Agliacci reporte son attention vers son confrère, et son petit cœur d’artiste se serre dans sa poitrine d’exigence. Quoi ? Faire remarquer à ce dernier qu’il est hors-tempo ? Lui avouer qu’il se trompe dans les notes ? Mais ne pas lui dire, alors ? Et laisser la médiocrité s’abîmer dans plus de médiocrité ? Mais si ça lui fait plaisir, n’est-ce pas ce qui importe, n’est-elle pas une terrible snob élitiste ? Mais si, elle l’est, voilà tout ! Ce n’est tout de même pas la faute d’Hohen si même symbiosé, même appartenant au Luth, même côtoyant des pointures de la musique, il a un peu de mal à gérer ses mesures. Et puis, de toute façon, l’instrument n’a pas l’air facile à manier, n’est-ce pas ?
Oui mais ne rien lui dire, c’était manquer à toute son éthique passionnel d’artiste, faire tâche face à ses devoirs de musicienne, participer à la déliquescence du talent et du savoir-faire dans les Arts ! Impensable, elle qui s’est engagée à respecter leur credo d’excellence de dépassement de soi !


Hohen, finit-elle par lâcher dans un souffle, très sérieuse : faites-moi penser à ne jamais vous laisser jouer au limonaire de mon père.

Agliacci a une pensée silencieuse pour tous les voisins traumatisés, ainsi que pour les nombreux chiens et chats du quartier qui ont développé un cas nouveau aussi rapide que fatal d’épilepsie. Nul doute que, parti comme il l’est, ce brave confrère est capable de perpétrer la tradition familiale…

Elle éclate de rire soudainement.


Non, pardon, je plaisante, continuez.

Je resterai stoïque, rajoute-t-elle mentalement.
Elle tourne les talons, s’emparant dans le même temps du cheval de verre de l’Ordinant.


Je vais ranger la licorne ! lance-t-elle derrière son épaule.



Comme si c'était la dernière fois. La première fois.

 
Hohen

Le Matal 8 Fambir 1511 à 22h56

 
Je lève un sourcil quand j'entends le lien familial qui unit ces deux singulières personnes. Est-ce une image ou la vérité ? Est-ce de biologique ou adoptif que le vieux Petrorius est qualifié de paternel ? Mais quelle que soit la réponse, je me dis que les chats ne font pas des chiens. A personnes peu communes, descendances peu communes. Reste que dans mon cas, il doit y avoir erreur tant je suis l'exact opposé de feu mon paternel. Lui ancien exécuteur matriarcal, moi champion syfarien des perdants.

Oui Avihia, je vous y ferai penser.

De toute façon, je ne sais pas en jouer, j'aurai bien l'air penaud devant un tel instrument.

Je m'arrête de jouer, le morceau est fini, c'est celui où j'étais le moins mauvais. Il ne vaut mieux pas que je tente les autres, je ne voudrai pas faire éclater le verre avec un si mauvais son. Je referme l'instrument et range le tabouret. Des yeux, je cherche l'artiste qui semble évaporée dans ce musée transparent.

Je ne la cherche pas. Pas tout de suite. J'aime bien me promener dans ce musée silencieux, reposant, immobile, fragile. Il y a bien longtemps, j'étais tombé amoureux d'une petite sculpture, un hérisson minuscule qui n'avait jamais trouvé preneur. A croire que le timide animal de contrées plus boisées n'était pas au goût de mes confrères. Mais outre la simplicité sereine que dégageait la sculpture, c'était la nature placide et peureuse de l'animal qui m'avait plu. Inconnu, invisible, utile à son échelle, je m'étais peu à peu identifié à cette créature. Mais un hérisson pouvait-il vivre à la Confrérie ? Pouvait-il finir autrement qu'écrasé sous les roues d'un charriot ?

Ah, voilà avihia Agliacci qui s'amuse. C'est une artiste, elle crée. Un monde, un univers, une histoire. Des éléments sans liens entre eux se retrouvent implacablement triturés, mélangés, réaménagés pour façonner un tout. Souffler le verre ou assembler des mondes. Je vois ça comme un grand patchwork, une pièce de tissu composée de plusieurs petits morceaux s'accordant à la perfection. Ou comme ces figures géométriques s'emboitant d'une certaine façon pour former un carré. Je regarde l'étrange assemblage.


S'il vous plait Avihia, racontez-moi l'histoire que vous venez de créer.


 
Agliacci

Le Merakih 9 Fambir 1511 à 23h37

 
Agliacci repose le cheval de verre sur le bord du socle. Elle ne s’est visiblement pas encore décidée sur la place qu’il fallait lui accorder sur la nef ; il faut dire que cette dernière est déjà bien chargée, et y caser un cheval, même estropié, est une gageure. Il ne faudrait pas qu'il ne dépareille avec le conte inventé par la tragédienne.

Je veux bien, Hohen.

Mais, je…eh bien, il y a quelque chose que j’aimerai vraiment vous demander avant. En fait, pour dire les choses comme elles sont, je meurs d’envie de vous le dire tout haut à chaque fois que je vous croise,
dit-elle du même ton que le médecin dit : « On va vous amputez la jambe, ça risque de piquer un peu. » Ne le prenez pas mal, Hohen, je promets que c’est la première et la dernière fois, et je ne vous en voudrai pas si je devais sortir ou si vous m’en…vouliez. Cette fois-ci, la bonne métaphore est : « Eh bien vous voyez ! ça ne faisait pas si mal que ça. Tenez, un peu de whisky pour rincer la blessure et votre moignon reluira comme une sardoine neuve ! »

Agliacci prend une brève inspiration, se retourne magistralement vers Hohen, et enfonce un doigt inquisiteur dans le plexus de ce dernier.

Hohen, vous…vous êtes un extravagant insupportable, probablement le pire d’entre eux ! Vous rendriez complètement cinglé le meilleur des psychologues ! Je ne sais jamais comment vous parler. C’est bien simple, entendez-vous un peu ! On ne sait jamais si vous vous rabaissez par manque de confiance en soi ou par ruse, ou, eh bien, est-ce que c’est comme ça que vous êtes heureux ? Est-ce que vous le faites exprès, Hohen ? Il faut que je sache !

Martellement du doigt dans la cage thoracique.

A chaque fois, je me sens stupide et honteuse quand je vous cause. Oh, ce n’est pas la première fois et ne pensez pas en détenir le monopole, mais tout de même, vous faites fort ! J’ai toujours cette fichue impression de vous faire du mal, de vous fouler au pied. Tous ces « oui, avihia », ces bégaiements, et j’en passe ! Mais qu’est-ce que je vous ai fait, à la fin ? J’essaie toujours de prendre des pincettes, d’être la plus agréable possible ! Même comme ça, vous me trouvez condescendante, peut-être ? Mais dites-le-moi, en ce cas ! Je ne vous ai jamais voulu aucun mal, et je ne comprends vraiment pas pourquoi vous vous évertuez à vous venger de cette manière. Si vous voulez continuez à jouer avec ma compassion, sachez, Hohen, que celle-ci a des limites et que je n’hésiterai pas à les outre dépasser !

Elancement de la main dans l’atmosphère.

…Enfin quoi, Hohen, regardez-moi ! Vous possédez un don indéniable pour provoquer ce genre de réactions autour de vous, mais pourquoi ? Je n’arrête pas de me le demander. Est-ce qu’il y a quelque chose que je ne comprends pas ? Non, oubliez celle-là. Il y a des tas des choses que je ne comprends pas et, avih Hohen, il est grand temps que vous me les expliquiez !
Et il est hors de question que vous m’appeliez « dame » ou « avihia » lors de votre réponse ! Encore un seul de ces épithètes et je m’enfuis en courant d’ici, je saute dans un canal, je tue un nourrisson, bref, je ne sais pas ce que je ferai mais…


Rencontre brutale entre le poignet et le cheval de verre sur le bord.

Agliacci voit la création d’Hohen osciller dangereusement sur son piédestal. Coupée dans son discours grondant, le geste immobilisé, ses yeux se fixent sur ce dernier.


N…


Comme si c'était la dernière fois. La première fois.

 
Hohen

Le Julung 10 Fambir 1511 à 22h49

 
Décidément, je ne comprendrai jamais les femmes. De toute façon, qui pouvait se vanter de dire une telle absurdité... Un homme, c'est simple. Une viande, une bière et un sourire entendu. Pas plus. C'est tout. Aussi simple que ça. Même le vieux Petrorius devait fonctionner de la même façon. Mais là, tandis que je me fais marteler le torse, ou plutôt transpercer par un index ravageur et ravagé, je me dis que ça devait la travailler depuis longtemps. Agir simplement, ne pas faire de remous, obéir aux ordres, et me voilà au centre d'un maelström de questions, plus ou moins véhémentes. J'hésite, je me tâte. Vais-je me manger une baffe ou me faire embrasser ? La dernière fois, oh c'était il y a bien trop longtemps, qu'une fille m'avait tenu un tel discours, j'avais eu les deux. J'ai même la mâchoire encore un peu endolorie. Qu'avais-je fait pour mériter ça...ah oui, c'est vrai...

Décidément, c'est bien la fille de Petrorius. Le même oeil de cormoran, la même vivacité d'esprit, le même verbe. Cela fait des années que je me cache, que je reste ainsi. Bientôt quatre décennies que je me cantonne à ce rôle insignifiant de larbin bégayant servile. Je le joue si bien que je le suis devenu malgré moi. Je m'impose cette discipline, cet endoctrinement parce que j'y suis gagnant au final. Je me contente de vivre simplement, et la meilleure façon est pour moi de ne pas attirer l'attention. Moins j'attire le regard des autres, moins j'aurai de problèmes et d'ennemis. Pas très intelligent, pas très fort, pas très habile, je n'ai pas grand chose pour moi qui me donne de quoi asseoir une place dans une société qui pousse les talents à leur paroxysme, que ce soit le chant ou le meurtre. J'ai toujours été quelqu'un dans la normalité, la moyenne, marchant dans les clous de la vie. Ma symbiose n'a pas été une révolution. Un peu plus résistant, un peu plus adroit, un peu plus courageux, un peu plus télépathe mais rien d'exagéré.

Je souhaite garder cette vie servile. Je ne connais que ça. Le changement me fait peur. Une nouvelle fois, j'ai l'impression d'être déphasé avec ma chère Confrérie. Le concept des apôtres de la Chute ou des Gardiens malgré eux est quelque chose qui n'existe pas ici. Obéir sans poser de questions, faire ce pour quoi j'existe et rien de plus, c'est pourtant simple, trop peut-être. Je laisse les tracas et les risques bien volontiers à d'autres. En échange, je leur laisse une vie pleine d'excitation et passionnante. J'ai toujours accepté ce marché. Certains sont fait pour vivre pleinement leur vie, acceptant les risques et les enjeux. J'aime à penser que je suis utile en m'occupant des tâches plus "ingrates". J'aimerai bien voir mon excentrique Chambellan face à un système de poulies pour changer le décor d'un théâtre ou le vieux Petrorius se faire sa propre cuisine. Avihia Agliacci serait-elle aussi douée à scier des planches pour fabriquer le propre théâtre où elle se produirait ? Ils ont leur place, j'ai la mienne. Cette idée, je la pousse certainement à l'extrême mais j'ai été élevé dans cette conception des choses. Comme dans beaucoup d'autres malheureusement.

Je rattrape in extremis ma malheureuse sculpture et mon regard se perd dans la forme cristalline. J'aurai pu la laisser tomber après tout. Grossièrement modelée, malformée et au rabais en comparaison des autres statuettes de verre, témoins silencieux de cette scène que personne n'avait prévu...oui, j'aurai pu le laisser tomber. Qui l'aurait regretté ? La réponse se tient en face de moi. Je voulais lui faire plaisir en lui offrant et même si j'en avais refait cent autres, je doute qu'elle les aurait aimé autant. Même si celle-là a une jambe trop longue. Enfin, qu'en sais-je après tout. Je ne comprends pas les femmes.

Mon pouce effleure la silhouette chevaline. J'aime bien la douceur et la froideur du verre. Ca ne m'évoque rien de particulier, pas de souvenirs, pas de métaphores. Rien, j'aime bien, c'est tout.

J'ose un timide sourire, les yeux toujours rivés vers ce petit cheval. Je tourne mon regard vers la scène miniature toujours sans histoire. Où pourrai-je le mettre pour qu'il soit à sa place ? A coté du boulanger ? Derrière le boufon ? Devant la scène comme éclaireur ? Non, je sais. A coté de cette belle dame semblant montrer quelque chose.

Je dépose le miraculé cheval avec d'infinies précautions puis fixe l'artiste dans les yeux, l'air heureux mais quelque peu gêné d'avoir causé autant de tracas. Je dois peser mes mots. Comme à chaque fois.


Liadha Agliacci, je vous en prie, ne vous mettez pas dans un tel état. Pas pour moi, je vous en supplie.

Mon éducation typique...du Matriarcat du Déclin...inculque un profond respect...au..beau sexe. Une certaine servilité oserai-je dire à demi-mots. Nous ne sommes pas à Kryg, certes. Mais les traditions ont..la peau dure.

Je n'aime pas parler autant mais je pense qu'en arrêtant ma réponse à cet endroit, ça ne serait pas suffisant pour quelqu'un avide d'éclaircissements. J'ose continuer encore un peu.

Vous...vous avez toujours été très gentille avec moi liadha. Soyez remerciée.

Sauf que là, vous me faites peur et que j'ai du mal à trouver les bons mots.

Je...

Non, pas cette phrase.

J'...

Pas celle-là non plus.

Je suis comme ce cheval.

Je n'arrive plus à la regarder dans les yeux.

J'ai des défauts..mais je..j'ai trouvé ma place parmi les autres.

Phrase vide de sens.

 
Agliacci

Le Dhiwara 13 Fambir 1511 à 17h48

 
Jamais Agliacci n’avait eu autant envie de communiquer par onomatopée.
En l’occurrence, la seule qui lui venait à l’esprit était :

Argh.

Si elle l’avait osé, la si phraseuse tydale aurait probablement dit quelque chose comme : « Arrrrrrreggghhhhhhh !!!!!» Mais c’était bien entendu hors de question. Quel genre d’amoureux des Belles Lettres se ballade en disant : « Aaaarrreeeghhhh !!!! » ? L’excès de point d’exclamations consistait déjà en soi une infraction à la Littérature, mais le dédoublement de voyelles et des consonnes confinaient la chose au crime.

Agliacci décide de ne pas inaugurer la voie à une série de poètes communiquant par onomatopées, (ce qui donnerait quelque chose de vraiment bizarre, et pas foncièrement beau pour autant, prouvant ainsi que Beaudelard avait bien tort), et, prenant une grande inspiration, se pince l’arête du nez et médite silencieusement sur le sort qu’elle doit réserver à Hohen.

C’est décidé, elle va faire passer une nouvelle loi à la Confrérie. Qu’importe si elle doit remuer ciel et terre, si elle en vient à devoir supplier le célèbre Colcook lui-même pour être belle et bien sûre que son injuste et ignoble projet soit accepté de tous (parce que personne n'y comprendra rien) ! Peu importe si sa fortune, son honneur, son ego, sa bonté doivent y passer, mais il faut ab-so-lu-ment que cette clause soit inscrite quelque part dans la constitution d’Arameth. Et l’article dira :

« Lorsque Hohen par son manque de réactivité t’énervera, le droit de le stranguler à mort tu auras. »

Ce dernier s’était-il seulement rendu compte qu’elle avait fait exprès de menacer son cheval ? Non, non, évidemment. Elle avait espéré, c’est vrai, - pauvre crédule ! - que cela le mettrait hors de lui. Qu’elle arriverait à faire dire à Hohen quelque chose de plus de trois lignes ! Agliacci avait besoin de cette réactivité, avait besoin qu’on passe par tous les kaléidoscopes des émotions avant d’en revenir à un équilibre. Sa nature était celle d’un orage, d’une dramaturge ; beaucoup de bruit et de fureur pour trouver le réconfort de la pluie. Elle ne pouvait trouver du calme avant d’avoir poussé les limites jusqu’à leur point de rupture. Là seulement venait l’or, la perle rare, la beauté, et, alanguie et fatiguée, l’orpailleuse ne pouvait fermer les yeux qu’à ce moment seul.

Et Hohen qui place son cheval sur la nef, à l’endroit qu’elle avait calculé, avec cet air innocent ! Et ces liadha ! Bien malin de sa part, mais cela n’en agace pas moins l’artiste.

Bien. Soit. Si ça ne suffisait pas à titiller l’Ordinant, elle allait devoir passer à la vitesse supérieure. Mais que cela soit clair : avant ce soir, elle l’aurait rendu complètement chèvre.

Elle. Allait. Etre. Insupportable.
Jusqu’à ce qu’il se passe quelque chose dans les profondeurs marines et sereines de l’âme hohenienne.

Le matassin trouillard ne ressortirait pas d'ici comme il était entré. Oh, non.


Hohen…, fait-elle avec un effort sensible pour rester calme.

De médecin insouciant, l’actrice devient institutrice réprimandant un cancre qui vient ENCORE de répondre à côté de la plaque préalablement conditionnée par toute une société.

Sachez que le langage est, selon un linguiste attitré et compétent, formé de six fonctions différentes ; la fonction expressive, qui comme son nom l’indique exprime les émotions du locuteur ; la fonction conative, qui concerne le destinataire du message ; la fonction phatique, qui se résume à un bla-bla censé assuré du liant social, et qui est couramment pratiqué par tous les voisins du monde ; la fonction métalinguistique qui est un langage réfléchissant sur le langage ; la fonction référentielle, concentrée sur un référent extérieur et qui parle du contexte ; et pour finir la fonction poétique qui se rapporte à la forme du message.

Or, vous n’êtes pas sans savoir que le langage a un but principalement communicatif, n’est-ce pas ?...Parmi les milliers de phrases que l’on entend ou lit chaque jour, parmi les milliers de messages que l’on reçoit, on peut légitimement espérer qu’on aura au moins appris ou partagé quelque chose par-dessous les bavardages !...

Or, Hohen, il me faut l’admette, vous êtes le maître des maîtres de la fonction phatique. Plus l’on vous parle, et plus l’on s’enlise dans l’impression que vous ne dites jamais le fond de votre pensée et que vous cherchez le moins possible à communiquer.
Ce qui est tout de même pénalisant dans une relation poussiéreuse, et assez extraordinaire de la part d’un symbiosé qui ne manque pourtant pas d’intelligence. Je vous ai déjà dit que vous étiez le meilleur d’entre nous deux, n’est-ce pas ?

Eh bien, si j’avais su que vous étiez Gardien malgré vous, j’aurai probablement réfléchi avant de dire une telle niaiserie.

Vous n’avez pas à rougir d’être mâle ! Les hommes sont l’avenir des femmes. Les hommes sont tout ce que le Matriarcat a jamais produit de mieux ! La manière des femelles de traiter les mâles est des plus répugnantes et des plus stupides ; je n’y vois que tristesse.

Vous savez quoi ? Les étreintes ne sont pas si douloureuses que ça, lorsqu’on aime, et non pas lorsqu’on ne parle que d’instrument et d’objets. Mâles, vous n’êtes ni des putains, ni des soumis !


Agliacci s’arrête, un éclat roublard dans le regard. Commençons par jauger les réactions de l’Ordinant, histoire de voir quel sujet le trouble le plus…



Comme si c'était la dernière fois. La première fois.

 
Hohen

Le Luang 14 Fambir 1511 à 23h02

 
Décidément, les femmes seront toujours un mystère pour moi. Et j'ose penser qu'il en est de même pour les autres races. Je baisse la tête tout en haussant un sourcil ou deux par moments. J'ai toujours du mal à comprendre ce qui me vaut tant d'hostilités. Oui je ne suis pas communicatif, oui j'en dis pas un mot de ce que je pense, appliquant à la perfection l'adage "qui ne dit rien n'en pense pas moins". Heureusement pour moi, la plupart suppose que je pense autant que je parle et ce rôle me convient parfaitement. On me donne des ordres. J'obéis. On me donne d'autres ordres. J'obéis encore.

J'ai lu cette théorie de la communication quand j'accompagnais les théories du vieux Petrorius. Ce "Jacob Sonne" ne m'inspirait pas grand chose, j'y comprenais goutte. A l'époque, je m'étais essayé à la théorie fantaisiste des faces positives de deux illuminés qui pensaient avoir inventés le gouvernail. Je n'avais pas compris un traitre mot, finissant par penser que je devais être trop bête pour les comprendre. Au moins j'aurai essayé.

Là où je suis davantage surpris, c'est d'entendre avihia Agliacci parler d'une des huit familles du Matriarcat. Y aurait-elle passé une partie de sa vie ? Jusqu'à son Union ? Son Karna ? Ou n'était-ce qu'un écho de quelqu'un d'autre ? J'aurai pu être un gardien, après tout, je l'ai été à une époque. J'aurai pu être un fileur de vie également. Mais au final, je n'étais qu'un Apôtre. C'était un choix. Parmi tant d'autres. Un conditionnement, un lavage de cerveau pourrait-on dire.

Conditionnement aussi quand j'entends parler de l'image des harems du Matriarcat. Là encore, je ne peux pas connaître son vécu, peut-être que l'Artiste n'a pas un bon souvenir des Ruches. Une tydale, une fois son karna finit ne valait pour ainsi dire plus grand chose. L'on peut vivre le Matriarcat de tellement de façons différentes qu'il y a un univers de possibilités. Être inapte ou affranchi, l'un pourra mourir dans la plus totale indifférence et l'autre pourra être reconnu pour sa valeur et sa sagesse. Des outils oui. Les mâles sont des outils. Tâche ingrate mais nécessaire pour la survie d'une race entière. Feu mon paternel a rempli ses devoirs avec obéissance où le plaisir se mêlait au dégoût. Aimer est un verbe presque oublié dans la langue de mes aïeules, il n'y a que terreur, appréhension et au final, renoncement. J'aurai pu les remplir si j'étais né là-bas. Quelques fois, je me plaisais à imaginer le nombre de demi-soeurs et demi-frères que je pouvais avoir. Quelles vies pouvaient-elles avoir là-bas ? J'aurai été le dernier de la famille, je ne me faisais aussi aucune illusion sur le nombre d'entre elles qui devaient être déjà mortes.


Vous devez avoir raison liadha Agliacci.

Vous connaissez sûrement ce proverbe d'un grand écrivain qui disait "il vaut mieux que je me taise et laisser douter que je suis idiot plutôt que parler et en donner la certitude".


Un instant, je regarde mes pieds.

Disons que j'évite de donner trop de certitudes.

 
Agliacci

Le Matal 15 Fambir 1511 à 18h51

 
Mais, Hohen, vous n’êtes pas idiot ! Et je n’ai pas raison !

Où voyez-vous des certitudes ? La seule que je vois, hic et nunc, c’est celle que vous vous projetez à vous-même.


Un soupir excédé accable sa poitrine.
Comment tenir cette cadence colérique face au terrible Ordinant ? Il est comme un roseau. Elle a beau souffler, plier, affliger, il se plie sans se tordre. Combien de pots cassés, de récriminations, de prises de bec injustifiées ce dernier a-t-il dû subir pour atteindre à ce niveau de maîtrise stoïque ? Précisément, le roseau se plie en regardant ses racines. Détail qui la chiffonne, l’agace, la met en boule. Détail qui la culpabilise. Si seulement elle avait assez de force et de cœur pour poursuivre les hostilités !...Si seulement elle était capable d’être assez cruelle pour prolonger la scène ! Où est l’impulsion, la décharge de rancœur qui l’a saisi ? Où est passé la colère ?

La vérité toute nue, c’est qu’elle ne l’est pas, en colère.
Elle essaie juste de faire endosser à Hohen un rôle qui ne lui sied pas.
Pour une pièce qu’il ne connait pas.
Et c’est tout ce qu’elle a toujours détesté.

C’est elle qui a tort, bien entendu. Et pitié, qu’on le lui dise ! Elle brûle d’être contredite. Elle ne demande qu’une chose : une réplique cinglante, du genre prends-toi-ça-dans-le-crâne, une gifle mentale. Petrorius n’aurait pas hésité une seconde ; il aurait d’ores et déjà pointé du doigt le vrai problème. Et combien d’autres symbiosés auraient répondu sèchement, auraient tâché de la tourner en ridicule, auraient critiqué ses emportements et ses caprices puérils ? Ils ne s’en seraient pas privés. Une si belle ouverture ! Et qu’aurait fait…qu’aurait fait…
Mais Hohen n’est pas comme...les autres. Non. Il est le meilleur, cela a toujours été vrai et le sera toujours.

Pauvre de lui.

Ça ne sert à rien de s’emporter, hein ? Vous ne comprenez pas. N’est-ce pas ?...j’imagine que non. De ce que je dis, rien ne vous trouble. Vous êtes d’accord avec moi. Mais j’ai tort. J’ai tort.
J'ai tort, j'ai tort, j'ai tort !

Le ton est plus amer. Lointain, aussi.
Agliacci tend les mains vers le visage abattu du tydale. D’une impulsion légère, elle tâche de lui faire redresser le menton.


Hohen.
Je suis désolée. Vous ne méritez pas ça.
C’est moi qui ai besoin qu’on me parle.
C’est tout.
Mais ça ne fait rien.
Non, rien de rien. Absolument rien...



Comme si c'était la dernière fois. La première fois.

 
Hohen

Le Matal 15 Fambir 1511 à 20h55

 
J'écoute. Impassible. Je garde toujours mon air gêné mais j'y réfléchis un peu. Mon scepticisme naturel et une relative méfiance me font que je me pose une question. Est-elle vraiment en détresse ou joue-t-elle un rôle ? C'est une excellente actrice après tout. Elle cherche quelque chose, que je fasse ou dise quelque chose. Elle a essayé de me brusquer, essayerait-elle une autre méthode pour me faire sortir de ma réserve. Je déplore ce manque de confiance envers une personne pourtant si gentille, mais je suis quelque peu perdu. La situation m'est délicate.

Là est la question, dois-je garder ma réserve ou pour une fois, l'outrepasser temporairement ?

J'ai toujours tâché d'éviter ce genre de situations m'entrainant face à ce cas de conscience. Avec une rare dextérité. Mais là, par ma bêtise, en provoquant ce rendez-vous, je me suis jeté moi-même dans l'embarras. Depuis ma symbiose, je n'ai eu qu'une fois l'occasion de me faire violence. Face à ma Chambellan. Mais là, je n'ai pas beaucoup d'alternatives. Deux en fait.

Et pourtant, je suis troublé. Elle a gagné quelque part. Le tout étant de ne pas le montrer. Mais il me reste toujours ce choix à faire. Si seulement je pouvais revenir en arrière, je lui aurai envoyé le cheval par coursier et l'histoire aurait été réglée. Quelle mouche m'a piqué pour que j'organise ce rendez-vous improbable. Des fois, je me dis que je suis encore plus bête qu'une pelle sans manche.

Tant pis pour les risques.

A..gliacci.

Je viole délibérément toutes mes propres lois, mes traditions et mon éducation. J'ose poser ma main sur l'épaule et resserre doucement ma prise. J'ai l'impression que c'est moi qui va m'effondrer en prenant autant de libertés d'un coup, que le sang qui bat mes tempes va jaillir et que mes intestins vont faire des pirouettes avant la fin de cette phrase. J'essaye de la regarder avec une assurance vacillante. Il ne me faut que quelques secondes.

C'est..toi qui devrait parler. Non pas des autres. Mais de toi-même.

Je laisse tomber mon bras et mon regard en même temps. J'ai l'impression que ma main est en feu. Que mon coeur va sortir de la cage thoracique et rentrer à Kryg et que j'ai renié en quelques secondes toute mon éducation. Ce n'est plus une impression mais une réalité que de ne pas être à ma place en tenant ce discours, en incarnant ce rôle, en enfilant ce costume de familiarité.

Me voilà à jouer le rôle d'un psychiatre avec la fille de Petrorius. J'ai l'impression que le monde est inversé. Que plus rien n'est à sa place.


 
Agliacci

Le Julung 17 Fambir 1511 à 17h37

 

Hohen, Hohen, bel et triste Hohen…
Quatorze.

Quatorze mots en tout et pour tout…,
fait-elle avec un sourire triste.

La tydale s’écarte doucement. Dans le silence qui revient, la tête obtusément tournée vers le navire de verre, c’est comme si rien de toute cette scène ne s’était passé.
Car, oui, désolée, navrée, du fond du cœur, franchement ! Mais c’était bien joué. Dans le patois de la mise en scène, ça s’appelle : le coup du bon flic mauvais flic.
Ce n’est pas bas. Ce n’est pas méprisable. Pas pour elle. Pas pour quelqu’un qui écarquille des mirettes émerveillées lorsque le rideau se lève. Et puis, de toute manière, ça n’avait pas pris. Quatorze mots, ce n’est pas le bout du monde. A la pêche à la ligne des émotions, elle aurait aimé s'attirer plus d'escarbilles.

Agliacci ne regarde plus Hohen. Sous les arches sécurisantes des os de son crâne, elle passe et repasse la déclaration de son homologue. Elle en cherche le sens : la découpe, l’étire, l’analyse, en arrange les mots, tourne et retourne la phrase, mais elle lui revient, toujours, vide, désespérément vide.
N’évoquant rien.

Elle-même…c’est bien une idée d’Hohen, ça, songe-t-elle avec une douce ironie. Qui d’autre irait déclamer ce genre d’absurdités à…une actrice ? Hohen. Elle secoue la tête, non sans sourire. Quelle idée, franchement… !


En penses-tu seulement un mot ? souffle-t-elle, amusée, rebondissant sur le tutoiement de l’Ordinant.

Il paraît que le bonheur est dans l’unité et l’intégrité de l’âme.
Il paraît que certains le voient plutôt dans l’éclatement et la dispersion.
D’autres broient du noir, tant, en réalité, qu’ils finissent par avoir toute leur déchéance retournée sur leur face : visages de la décadence.
Etre soi-même. Se posséder. Et ne pas avoir toutes ces fuites, ces papillonnements, ces aléas et ces hors de soi.
Quelle idée ! Quel attrait ! S’abandonner à soi-même et se livrer, toute spontanée, pieds et poings liés, à la douceur estivale d’une longue ataraxie…

Non, vraiment, définitivement, pour de bon, c’en est dit, assurément, très certainement, Agliacci n’est pas un bon sujet. De quoi que ce soit. Trop lyrique.


"L’artiste est celui qui inspire bien plus qu’il n’est inspiré," dit-elle sur le ton las qu’emploient les personnes parlant à leurs propres fantômes.

Toujours sans regarder Hohen, elle tend la main et déplace à nouveau les personnages. Puis les remet à leur ancien désordre. Et les dérange à nouveau. Ne semble plus savoir quoi en faire.


C’est une Arche.
Une Arche qui contient tout ce qui mériterait d’être sauvé de Syfaria.
Une Arche avec tout dedans : des musiciens, des savants, des cordonniers, des allégories, des espoirs, des amours, des histoires, des encore et puis des rien et des vides.

Suite à la chute des Nemens, les poussiéreux se retrouvent seul face au fils du S’sharkh. Impossible de naviguer par les mers pour quitter l’île corrompue ; alors, des tchaës de la Fraternité réalisent des plans de vaissair géant, comparable aux navires volants de leurs anciens gardiens…
C’est une grande épopée sur une Arche qui traverse les mers interdites, à la recherche d’autres terres où accoster.
Je ne sais pas comment elle se termine.
Ce ne sera peut-être qu’un rêve d’un haut-rêvant. Tu imagines ? Ça serait drôle !


Elle replace un personnage au hasard et le silence retombe.
Insistant.
Lourd.
Pesant.
Comme suppliant d’y mettre fin. Quitte à dire n’importe quoi…



Comme si c'était la dernière fois. La première fois.

 
Hohen

Le Dhiwara 20 Fambir 1511 à 20h41

 
Je serre les dents et arbore un sourire crispé. Oh le beau panneau que voilà, tiens, si je m'approchais un peu plus. Voilà, un pied. Puis deux. Voilà, j'ai l'air bien je pense. Après tout, je suis à la Confrérie, faux-semblants, fourberies et autres filouteries. Décidément, je suis toujours aussi crédule. Cela m'apprendra. Penser ? Je ne pense pas. J'obéis. J'exécute voire. J'ai toujours été trop tendre et c'est ce qui me perdra.

J'écoute. Silencieux. Ce qui mériterait d'être sauvé ? Qui décidera ? Elle ? Moi ? Le plus fort ? Eugénisme primaire et absolu, une telle vision m'inquiète presque. Ferais-je partie du convoi ou resterais-je avec ce qui au final, ne mérite pas la salvation ? Mon sang se glace à l'idée de voir une énième sélection implacable. J'ai lu des histoires. Ce genre d'histoires, de théories de sélection naturelle, d'évolution, de maillons faibles et forts.

Un vent froid fait irruption dans la salle tandis que le silence continue son empire.


 
Agliacci

Le Matal 22 Fambir 1511 à 16h53

 
Ce n’est pas très grave, tu sais, Hohen. Je veux dire, que tu sois si peu bavard. Je le suis sans doute bien assez pour deux !...
Et puis, si on y réfléchit deux secondes…

Eh bien, les étoiles aussi se taisent. Personne n’aurait idée de leur demander de raconter leurs histoires. Elles ne disent jamais rien, comme toi. Rien sur elles…rien sur leurs vies…rien sur ce qu’elles aimeraient faire…
On ne les en aime pas moins.


La comparaison est hasardeuse, Agliacci en a conscience.
Elle jette un regard au coin à Hohen pour observer sa réaction. Ce dernier paraît crispé, comme si quelque chose le dérangeait. L’artiste éprouve un pincement au cœur à l’idée qu’elle est peut-être allée trop loin. Tous ces hauts cris ne perturberaient pas quelqu’un comme elle. Mais comment savoir avec Hohen ? Il n’est pas le genre de personnes à poser des limites. D’ailleurs, il n’est pas le genre de personnes qu’elle connaît ou comprend du tout. Il faut dire que, si on devait tracer une ligne représentant chaque comportement, les deux tydales seraient probablement aux extrêmes opposés. Voyons voir…elle est une peste excentrique. Hohen est plutôt le genre silencieux qu’on ne remarque pas, mais toujours là quand on en a besoin (c’est-à-dire, lorsqu’il faut préparer la cuisine, changer les rideaux, ce genre de choses pour lesquelles elle-même manifeste une incompétence qui n’a de cesse de la surprendre). Elle est impulsive. Il est plutôt du type calme et retenu. Elle est indépendante. Il attend les ordres. Elle est déterminée. Lui ? Se laisse plutôt porter par les évènements. Elle n’aime pas la routine. Hohen y paraît plutôt du genre accroché. Son truc, c’est les grandes phrases, les pièces de théâtre le soir, les bouquins au lit, les orchestres aux milles visages, les débats au coin des comptoirs, les scoops, l’aventure, l’eau fraîche et l’amour, ce genre-là. Elle n’a strictement aucune idée des centres d’intérêts de l’Ordinant. Pour ce qu’elle en sait, il pourrait tout aussi bien se passionner pour la collection de timbres ou l’éducation des fourmis. Elle est curieuse ; Hohen ne pose pas de questions. Elle a horreur du Matriarcat ; le tydale avoue avoir été élevé dans cette éducation. Elle a un avis sur tout et sur n’importe quoi ; allez savoir ce qu’il en pense…Elle se donne l’air plus robuste qu’elle ne l’est. Pour ce qu’elle peut en juger, Hohen se donne l’air plus pathétique qu’il ne l’est. Il se moque peut-être d’elle, là, à prendre ses airs vexés.

Oui, vraiment, ces deux-là n’ont pas de raison de s’entendre.
Il suffit d’un peu de jugeote pour deviner la suite logique de l’affaire.
C’est en soi une déraison suffisante pour qu’Agliacci se mordille les lèvres, anxieuse soudain à l’idée d’avoir blessé Hohen. La fraîcheur du vent arrache un frisson à la tydale. C’est ce qu’on appelle « se prendre un vent » dans le sens littéral comme imagé du terme.


En venant ici, j’ai voulu t’amener un cadeau. Quelque chose qui te ferait plaisir, après ton passage au Pilier. Mais j’ai eu beau cherché, je dois avouer que j’ai eu un cruel manque d’inspiration sur la question : je sais si peu de choses sur toi. J’ai amené à boire – j’ai déposé la bouteille dans l’autre salle. Mais j’aurai aimé pouvoir faire mieux. Et après ça, je…enfin, excuse-moi, Hohen. Je n’aurai pas dû te parler comme ça.


Comme si c'était la dernière fois. La première fois.

 
Hohen

Le Vayang 25 Fambir 1511 à 21h20

 
A nouveau, je hausse un sourcil. Le gauche je crois bien.

Je...enfin..ne soyez pas désolée avihia. Il..non non, il n'y a pas de quoi s'excuser.

J'ai l'air gêné, un peu con. Comme d'habitude. Quelque chose vient d'arriver à mon esprit un peu lent au démarrage.

Un pilier ? Moi ?

Grand sourire. La joie de pouvoir surprendre une fois n'est pas coutume.

Oui...c'est vrai. J'avais été...quelque peu pessimiste l'autre fois.

J'avais vendu ma peau un peu trop tôt.

Il faut croire que les incarnations ne me trouvaient pas à leur goût. Ni même ce psurlon qui semblait repu. Au final, quelques bosses.

Quatre cotes fêlées, un litre de sang en moins, une cheville tordue, une tête sévèrement secouée, le bras en écharpe pendant une semaine, des cauchemars, une hallucination morbide et la pétoche de ma triste vie et l'impression de ne pas mériter ma survie. Je reprends avec un grand sourire que je ne peux empêcher.

Je mourrai une autre fois avihia.

Je viens de saisir un autre morceau de ce qu'elle vient de me dire. Elle m'a fait un cadeau ? Est-ce le genre de cadeau qu'on fait à titre posthume ou pour souhaiter un bon rétablissement ? Ou est-ce plutôt pour une raison autre ? Bah, je me pose trop de questions. Je m'incline.

Zi..ziray avihia.

En...en échange, j'aurai aimé vous faire don de cette...


Mocheté.

...licorne.

 
Agliacci

Le Vayang 25 Marigar 1511 à 20h13

 
Une expression chaleureuse fleurit sur le visage de la tydale. D’un mouvement leste, elle se saisit de l’offre d’Hohen, l’escamote et la fait apparaître comme par magie dans son autre main. Le verre tinte. Elle rit.

Merci !

Il n’a pas l’air de lui en vouloir. Sa colère, toute évaporée, laisse place à un élan guilleret, joyeux. Son œil gauche – le bleu – fixe Hohen avec une intensité nouvelle, comme si elle le découvrait pour la première fois. Le vert, lui, n’en dit pas plus, l’air bien occulte et mystérieux.

Il est vrai que pour un ancien encas de psurlon, tu restes bien conservé, dit-elle avec ce petit sourire en coin éthéré qui trahit sa malice.

Faisant glisser le difforme équidé de verre entre les mains, Agliacci s’écarte et reprend sa visite ondoyante entre les étagères d’œuvres cristallines. Elle lance, la voix haute :

Eh, au fait ! Tu ne m’as expliqué comment tu étais arrivé ici. Jamais dit que le verre…c’était ton dada.


Comme si c'était la dernière fois. La première fois.

 
Hohen

Le Sukra 26 Marigar 1511 à 12h28

 
Le verre ?

Je réfléchis un instant.


Ah...j'ai travaillé comme coursier il y a...

Bien des années, peut-être même avant votre naissance.

...peu. Un travail comme un autre avihia.

Je n'essaye pas de faire la liste dans ma tête du nombre incalculable de petits boulots que j'ai fait. Une semaine par ci, un mois par là.

Avih Fuo..éta...est un ami de mes parents. C'est comme ça que je l'ai connu. Plus jeune, il me racontait des contes de l'Ordre, des histoires du Second Monde et les récits de sa jeunesse.

Un jour, il avait besoin d'un coursier. Trop insignifiant pour être son apprenti, j'étais chargé de livrer des commandes. Tout simplement.


Je continue à la suivre à travers les allées de verre. J'attrape deux verres au passage que je tiens d'une main dans mon dos.

 
Agliacci

Le Luang 28 Marigar 1511 à 17h25

 
Ttttt. Qu’est-ce qu’on a dit, sur les avihia, Hohen ?...allez, un petit effort... fait Agliacci, l’air sérieuse.

Réglant son pas sur celui d’Hohen, le duo flâne tranquillement entre les étagères. Elle n’a pas l’air de prêter plus d’attention que ça à son voisin, trop occupée, sans doute, à saisir pleinement les contours simples d’un oiseau qui replie ses ailes, et ceux, plus cisaillés, d’un penseur, le poing sur le menton. Passant devant une figurine représentant un homme en train de faire la sieste, elle commente :

Ce qu’il te ressemble !

Et jette un coup d’œil en biais à son acolyte, apercevant ainsi les mains déployées dans son dos. Tiens, tiens, tiens…

A-t-elle remarqué l’hésitation d’Hohen ? Apparemment, non. Le temps a changé ; la météo était à la tempête, elle paraît pour le moment au beau fixe, avec des yeux qui dégoulineraient presque de bien-être et d’amusement. Le seul pli corporel qu’on peut lui reprocher, à cette femme, c’est ce côté tranquille et assuré qu’elle prend, distillant peu de mots, détendue comme un chat au soleil d’été.

Noter la position étrange des bras d’Hohen ? Non, ce ne serait pas très drôle. Poursuivant quelques temps son chemin innocent, prenant l’air de rien (mais de tout), elle s’arrête soudainement, pivote vers Hohen, les sourcils froncés, dans la position dite de « la frappe-éclair du cobra » ou bien encore du « j’ai une grosse épée, et tu vas te la prendre dans le visage. »


Les mains en l’air ! Et tout de suite !


Comme si c'était la dernière fois. La première fois.

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