*** Le petit mou virevoltait au plafond de la pièce.

Les esculapes venaient d'administrer à Dangraal le mélange énergétique fait de pulpe de cactus et de diverses plantes aux vertus hydratantes. Ensuite, ils avaient changé les draps et ouvert les rideaux pour que le soleil du soir inonde la chambre de sa lumière bienfaisante.

Il n'en pouvait plus de tourner en rond.

Oh les mous n'ont pas une grande activité habituellement. Mais bon. Le plus clair de leur temps, ils le passaient à échanger des pensées, à voguer sur des consensus, à s'entretenir avec leur symbiote.
Mais là...

Depuis sa sortie du pilier, Dangraal n'avait pas dit un mot. Et encore moins émis une seule pensée.
Son corps reprenait doucement forme nelda. Encore qu'il y aurait des séquelles... Les dents et les yeux ne guériraient pas. pas de manière naturelle en tout cas. Et les poils mettaient du temps à pousser.
Il n'avait jamais été bien beau. Mais là, il aurait fait fuir même une faucheuse matriarcale.

Enfin...
Il avait parlé. Il avait hurlé même.
Hier matin, sans crier gare.
Sortant vraisemblablement d'un affreux cauchemar.
Il avait fallu quatre personnes pour le maintenir.

Puis il avait parlé. Murmuré plutôt.
La musique. Il voulait entendre la musique. ***

*** Chuchotis. Dans le couloir, une neldame blanche s'énerve à voix basse contre les gardes-malades qui veulent lui refuser l'accès à la chambre. Exaspérée, elle jette un regard coléreux à la femelle qui lui fait face, et déclare froidement: ***

*** Soufflée, la garde demeure immobile, ce dont profite la jeune neldame pour entrer prestement dans la chambre 24 et refermer la porte derrière elle. Ouf! Un pieux mensonge...
Akhavë se retourne lentement, et retient un cri de stupeur devant l'état désastreux de Dangraal. Enfin, ce qu'il en reste... Elle aperçoit le mou qui virevolte, l'air perturbé. Elle le connaît via le consensus, et s'est intéressée de près à la malheureuse aventure du rédempteur...
Doucement, elle s'approche du malade, les yeux écarquillés. Une chaise.... Elle s'assoit, et commence à parler, de sa voix grave et profonde. ***

*** Elle s'arrête, surprise d'en avoir autant dit, et sourit. Puis elle se met à fredonner une mélodie aux notes tendres, berceuse pour petits que connaissent toutes les mères.

Par la fenêtre, le crépuscule s'infiltre. ***

*** Maltus resta... bête.

Interloqué devant une telle beauté.

Après ces semaines de solitude et de souffrance, coincé dans l'espace restreint de l'hôpital, ressassant des pourquoi et des comment. Quelle vision! Un ange incarné.

Ces grands yeux pétillants capables d'éclairer le firmament. Avec cet air malicieux capable de désarmer toutes les armées de mous du monde. ***

*** Il devint orange de honte. Quelle façon de s'adresser à quelqu'un. Un véritable ours des cavernes. ***

*** Pendant ce temps là, une jeune nelda qu'il n'avait jamais vue s'était approchée de Dangraal et lui avait longuement parlé, tout doucement. Il n'avait pas écouté ce qu'elle disait, tout à la contemplation de la jolie moue.

Dangraal lui non plus ne semblait pas avoir beaucoup écouté le discours d'Akhavë. En tout cas, il ne montrait aucun signe d'attention.

Mais quand elle se mit à chanter, ses traits se crispèrent légèrement. Très légèrement. ***

*** Ciel! Un mou! ***

*** La moue rosit. ***

*** Elle l'admire. ***

*** Sourire mou. ***

*** Akhavë termine sa berceuse, observe le Rédempteur inanimé, soupire. Avec le vieux Mahan'meth, ça avait pris aussi beaucoup de temps... Et le temps, par Grior, se faisait rare... Tant pis.
Elle se lève. Dernier regard inquiet à Dangraal, autre soupir, puis elle sort. ***

*** Topia hésite. Bah! Qu'elle sorte! Après tout, elle est une moue libre... ***

*** En effet.
Tout le visage de Dangraal était tendu. Les oreilles dressées étaient tournées vers l'avant pour capter toutes les vibrations harmonieuses apportées par l'air.
Son museau frémissait en rythme, comme s'il battait doucement la mesure.
Ses paupières demeuraient closes, mes ses yeux se mouvaient derrière leur voile.
Il cherchait quelque-chose.

Le chant d'Akhavë s'était arrêté, mais Dangraal semblait toujours l'entendre. Sa bouche s'ouvrait doucement. Et un doux murmure en sortit.
***

*** Puis, un son grinçant et grave emplit doucement la pièce. La musique et le chant étaient harmonieux et entêtants. Ils s'accordèrent par miracle totalement au murmure de Dangraal. ***

*** L'atmosphère dans la chambre devint pesante.
Un dense nuage de carnine n'aurait pas plus embrumé les esprits que cette ambiance musicale fantastique.
Le lit, la table, les murs et la fenêtre, tout entra en résonance pour créer un vibration qui pénétrait le corps et l'âme. ***

*** Le murmure de Dangraal s'amplifia. ***

*** Maltus ne remarqua même pas que la musique et le chant s'étaient tus. La vibration instaurée demeurait, remplissant les oreilles et Dangraal continuait à murmurer. A chanter même car maintenant, on devinait des mots.

Le rythme des vibrations s'accélérait, comme un coeur qui s'emballe. La respiration de Dangraal suivait la mesure ainsi que son babillement.

Le plateau laissé sur la table se mit à trembler, produisant un terrible bruit de crécelle.
Maltus se mit à paniquer et cria pour surmonter le bourdonnement terrible. ***

*** Le rédempteur ouvrit les paupières, révélant ses yeux opaques.
Son murmure s'interrompit, immédiatement suivi par la vibration.
Il s'écria ***

*** Entretemps, dans les couloirs de l'hôpital, chacun vaquait à ses occupations.

A part une douce musique et un chant grave en provenance du patio, personne n'avait rien remarqué

Rien n'avait perturbé le calme et le repos des patients. ***

*** Topia assista à toute la scène, le chant merveilleux qui emplit la chambre, les cris de Maltus, le réveil de Dangraal...
Et le premier mot qu'il prononça: Sirilius. ***

*** La petite moue trépigne un peu, impressionnée par l'état particulier du rédempteur, et par la gravité de la situation. Et du rôle qu'elle pourrait jouer! ***

***
Voici plusieurs jours déjà que l'état de Rhon Dangraal n'avait pas évolué.
L'apprentie esculape, Rhona Akhavë, ayant appris qu'il avait un jour murmuré vouloir "entendre la musique", était venue trouver Morora pour lui demander l'autorisation de chanter dans la chambre du Redempteur.

C'était une idée originale, et il n'y avait pas grand risque à essayer. Elle avait donc sans hésité donner son accord de principe, en oubliant totalement avoir également donné pour instruction de limiter les visites au strict nécessaire...

Rapidement, Akhavë pris l'habitude de rendre visite au patient de la chambre 24, pour finir par devenir quasiment son esculape attitré. Une très bonne chose en vérité, car Morora de son coté avait bien du mal à trouver le temps de s'en occuper comme elle aurait du le faire...

Passant une moitié de son temps allongée dans une chambre en ayant l'air totalement absente, et l'autre moitié dans son bureau à concocter une étrange potion, il lui en restait bien peu pour s'occuper des malades. Fort heureusement les esculapes non symbiosés, mais dévouées et compétentes ne manquait pas depuis l'arrivé de toute celles qui œuvraient à Korsyne...
***

*** Le petit mou se tourne alors vers Dangraal ***

*** Dangraal serra sa tête dans ses mains comme si les paroles de Maltus lui vrillaient les oreilles. ***

*** Mais Maltus regretta immédiatement ce trait d'humour.
Et Dangraal le savait.
Leurs deux esprits se réaccordaient
Le miracle de la symbiose opérait et leurs pensées s'unissaient à nouveau.

Ainsi Dangraal sut rapidement où il se trouvait et tout ce qui s'était passé depuis sa sortie du pilier. ***

*** Topia fila hors de la chambre, laissant mou et symbiosé refaire connaissance, et retrouva Akhavë en pleine conversation avec un autre esculape non symbiosé. ***

*** La jeune neldame planta là son nouvel ami qui en balbutia de surprise, et se mit à galoper dans les couloirs à toute allure. La porte de la chambre était fermée; elle l'ouvrit tout doucement... Et trouva le rédempteur en pleine communication avec Maltus, cela se voyait aux vibrations qui faisaient frémir le mou jaune. Elle sourit, entra et s'approcha du lit. ***

*** Elle avait mille questions, mais voyait la fatigue du malade, et se contint. Elle se contenta de prendre place sur le siège où elle s'était assise auparavant, et d'attendre la réponse. ***

*** Il tourna ses yeux vides vers la douce voix qui s'était faite entendre dans la chambre. ***

*** Silence ***

*** Mais Dangraal se laissa aller. Il retomba sur le lit. Physiquement il était encore bien faible et avait besoin de repos. ***

*** L'émotion saisit la gorge de la neldame qui demeure muette, le temps que s'exprime le rédempteur. Puis, quand Maltus lui a exposé la situation, elle reprend avec douceur: ***

*** Elle rit un peu. ***

*** Elle se lève, arrange un peu les oreillers et les draps sur le corps malmené de Dangraal en fredonnant un air mélancolique. Puis, elle chuchote ***

*** Et elle sort prévenir les autres esculapes. ***

***
Le Transcripteur ne pouvait quitter la ville sans saluer son frère meurtri.

Celui-ci dormait profondément et Sirilius décida de lui laisser un Rêve musical.

Le gris Rêvant prit son violon et accompagna d'une voix douce la mélopée runique qui, il le sentait, lui avait permit de rejoindre le Rédempteur encerclé par les effluves...
***

*** ***

*** La mélodie s'acheva sur une note inspiratrice. ***

*** Puis il attacha soigneusement son violon dans son dos et partit en silence vers les interrogations qui se profilaient a l'horizon d'Arameth... ***

*** Un mois. Un mois déjà que Dangraal est arrivé à l'hôpital. Et deux semaines qu'il s'estt réveillé.

Il a repris des forces et depuis peu, il peut marcher et effectuer de courtes promenades. Mais il reste cruellement marqué. Son pelage peine à repousser et son faciès reste horriblement repoussant.
Son moral aussi est en berne.

Aujourd'hui, pour la première fois depuis son arrivée, il sort faire un tour dans la cour intérieure de l'hôpital. La douce chaleur de cette fin d'été magnifie le parfum des essences variées. Mais il fait plus frais que dans le désert.

Sombre, il laisse ses pensées lugubre flotter vers... Korsyne. ***