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Le Dhiwara 2 Jangur 1511 à 23h48
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| Sans un mot, Neira fut emmené vers l'intérieur du bâtiment cossu.
Elle s'était peut être attendue à être reçue comme le faisait habituellement Firydor, au sein d'une alcôve douillette et propice à la transe, mais cette fois-ci ce fut différent.
Elle arriva après quelques détours entre de lourdes tentures à un lieu qu'elle n'avait jamais visité auparavant.
Un bureau. Aux murs emplis de livres, le sol recouvert de tapis.
Une longue table de travail, et plusieurs sièges, des portes-livres, des écritoires.
La pièce était affairée, et un Firydor qui portait de petites lunettes sur la truffe la regarda entrer avec un large sourire.
Vous voilà, dit-il en allant vers elle avec promptitude.
Venez, venez, et asseyez vous si vous le voulez.
J'ai du thé à vous offrir. En voulez vous tandis que vous me contez exactement ce qui vous amène aux portes du songe et dans mon bureau ?
J'aimerai vous entendre l'énoncer à haute voix...
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Le Luang 3 Jangur 1511 à 21h16
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Alors qu'on la menait vers Firydor, Neira se sentait redevenir une moush'tin. Elle n'avait jamais rencontré la Lumière du Rêve et sa timidité naturelle revenait au galop. Mais quand elle fut accueillie avec un sourire, elle se détendit.
***
Héjià Arch'Rhon, sashi de me recevoir si vite.
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Avant de continuer, la Gardienne s'assoit avec grâce et réfléchit à comment elle va bien pouvoir expliquer tout ce qu'il lui est arrivé.
***
Je prendrai volontiers du thé, sashi.
*** La Nelda prend une longue respiration avant de commencer son exposé. ***
Nous étions à Arameth pour combattre le Tark'Nal. C'est alors que Rhon Syndal, Sirlilius, Dangraal et moi avons décidé d'explorer les voies du songe pour rencontrer l'âme de la cité. Ce fut une erreur mais elle me mena finalement sur un chemin que je n'avais jamais arpenté.
Vous connaissez ce chemin Arch'Rhon ? Celui où l'on commence par admettre que l'on ne sait rien et où l'on s'abandonne totalement au Rêve ?
Au bout d'un moment je me suis retrouvée face à une créature étrange et fascinante: "le Gardien des Esprits". Nous avons finalement réussi à communiquer et ....
*** La Gardienne s'arrête un instant de parler pour regarder la Lumière du Rêve. ***
Connaissez-vous cet être Arch'Rhon ?
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Le Luang 10 Jangur 1511 à 00h15
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| Firydor s'assoit en face de Neira, la regardant droit dans les yeux.
Votre expérience est sans nul doute la plus intéressante de ce dernier siècle.
Et sans doute la plus novatrice depuis que le Second Monde commence à être compris.
Tous les sacrifices valaient votre expérience.
Ma propre mort aurait valu votre expérience, et je l'aurai donné sans hésiter.
Et pourtant, je ne me suis pas exprimé avant votre demande.
Pourtant, vous avez pu avoir la sensation d'être négligée.
Vous comprendrez pourquoi.
Vous verrez pourquoi il n'est pas ici question de choix, de bon ou de mauvais, d'intérêt ou de désintérêt.
Vous êtes venue me voir, je le pense, parce que vous avez peur, Gardienne Neira.
Et tant que vous aurez peur, vous nous fermerez la porte.
Je suis là pour vous entendre.
Et vous n'avez plus à avoir peur...
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Le Merakih 12 Jangur 1511 à 11h38
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| Un poids énorme s'évapora des épaules de la Gardienne aux paroles du Maïtre des Songes. Le soulagement se répandit en elle comme une onde bienfaisante. Dans d'autres circonstances peut-être en aurait-elle pleuré de soulagement.
Sashi Arch'Rhon.
Puis la Gardienne se tait de nouveau. Elle réfléchit à la manière de raconter au mieux son expérience. La Lumière du Rêve lui demandait de laisser sa peur derrière elle. Cela ne sera pas facile pour Neira tant la scène à laquelle elle avait assisté l'avait marquée.
Je vais vous raconter ce qu'il est arrivé ...
***
Neira ferme alors les yeux et alors qu'elle commence son récit sa voix change. Elle se fait plus lointaine, un peu comme si la Gardienne s'était mise en transe.
***
Une fois séparée de mes compagnons de transe je décidais de laisser tout ce que je savais, ou croyais savoir, derrière moi. Je pris le parti de devenir une part du Rêve et non de faire du Rêve une partie de moi. C'est alors que je me fondis en lui pour plonger de plus en plus profondément. Le risque était de me perdre moi-même...
Alors je me servis de la vie que je venais de percevoir en mon sein comme point d'ancrage au Mensonge. Pour pouvoir revenir … A ce moment là, je n'était plus Neira, ni même une Nelda, mais seulement une part du flux onirique. Deux phrases m'ont guidée à travers cette épreuve: « On ne voit le Haut-Dôme que les yeux grands fermés » et « Le moush'tin est le favori d'Asha car il sait qu'il ne sait rien. »
Finalement ma plongée cessa et je repris ma forme de poussiéreuse. C'est alors que je rencontrais un être de couleurs et de formes. Au début, je lui étais comme indifférente et je ne savais même pas s'il était conscient de lui-même. Ce fut la première étape puis il me fallut du temps, beaucoup de temps pour parvenir à une certaine compréhension mutuelle. J'appris que cette créature était le « Gardien des Esprits » et qu'elle ne me voulait pas de mal. Je pense même qu'elle souhaitait ma présence.
J'étais cependant sur une pente dangereuse, celle de me perdre dans la contemplation de cet être. Mes petits veillaient néanmoins sur moi, ce sont eux qui m'ont empêchée de me perdre irrémédiablement.
Le récit de la Gardienne s'interrompt un instant. Voici qu'elle arrive au moment qu'elle redoute le plus de raconter.
*** Plusieurs longues respirations, puis la voix reprend. ***
Le Gardien des Esprits m'a fait comprendre qu'il pouvait m'emmener plus loin encore. Je me suis retrouvée sur un miroir brisé dont les morceaux se séparent inexorablement. Si je le voulais, je pouvais aller sur un autre morceau de ce miroir.
Je lui ai alors appris ma grossesse. Je savais qu'il ne me voulait pas de mal et il m'a expliqué que si je continuais cela pourrait être dangereux. Dangereux pour moi mais aussi pour les petits.
J'ai choisi de continuer …. La vie que j'abritais ne résista pas à cette nouvelle plongée. Les esprits si neufs furent balayés alors que je me retrouvais sur un champ de bataille.
Et le Rêve se transforma en cauchemar. Une créature hideuse massacrait les Nemens, rien que des Nemens. Pas une trace des Poussiéreux. Mais j'étais également blessée, j'étais sur le point de mourir et ne désirais que ça après la perte que j'avais consentie. Le Rêve s'était transformé en réalité pour moi.
Mon instinct de survie devait être plus fort que tout car sans que je sache vraiment comment je réussis à m'extirper de là. La dernière chose que je vis avant de me réveiller fut le Gardien des Esprits. Il avait provoqué cette vision apocalyptique mais je reste certaine qu'il ne me voulait aucun mal.
*** Neira ouvre les yeux. Son récit est terminé. Sa voix redevient claire et normale. ***
Vous savez tout Arch'Rhon.
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Le Julung 27 Jangur 1511 à 23h34
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| Le silence se prolonge.
Firydor semble attendre autre chose... qui ne vient pas.
Il reprend la parole avec un air peiné.
Alors il n'est pas encore temps, Gardienne Neira.
Vous avez encore trop de douleur en vous.
Trop de volonté d'équilibrer les sacrifices consentis.
Et par dessus tout, vous êtes sincère lorsque vous me dites n'avoir plus rien à perdre...
J'en suis désolé, mais vous allez devoir apprendre en premier la plus dure des leçons.
Vivre.
S'ancrer n'est pas un vain mot.
Vos sacrifices ne l'ont été que parce que vous vous êtes ancrée sur un fond instable.
Ne vous êtes vous jamais étonnée de ce paradoxe ?
On parle de plongée dans le rêve, mais aussi de s'ancrer dans le monde du Mensonge.
Réfléchissez à ceci, Neira.
Vous devez réapprendre votre vie, à la lumière de la révélation qui vous a été accordée.
Peu dans l'histoire de l'Ordre ont eu votre chance.
Nos enseignements, vous le comprendrez, visent essentiellement à protéger nos Rêvants.
Les protéger d'eux mêmes.
Les Quatre doivent nous guider. Mais la révélation ne peut venir que du rêvant.
Car il est seul dans son voyage.
Posez vous aussi cette question simple : qui suis-je, moi Firydor ?
Suis-je un Rêvant ?
Pourquoi n'avoir toujours pas trouvé la porte après tous ces siècles ?
En répondant à cette question, vous comprendrez peut être qui vous deviendrez.
Réapprenez à vivre.
Voyagez. Rêvez. Voyez le monde du mensonge et le Second monde en de libres tribulations.
Voyez le lien, et trouvez votre ancre. Une ancre solide, cette fois-ci.
Une fois cela fait, dans un mois ou des années, revenez me voir.
Car ce jour là, si vous y arrivez, vous aurez percé le mystère que nul autre avant vous n'a pu percer...
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