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La nuit du barbare

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Sujet lancé par Hirvane Tuek
Le 11-03-1511 à 01h21
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Posté par Hirvane Tuek,
Le 20-03-1511 à 18h25
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Hirvane Tuek

Le Vayang 11 Marigar 1511 à 01h21

 
Un tydale épuisé somnole depuis des heures au bord d'une mer d'encre. Bientôt la nuit jette ses immenses ailes sombres sur lui. Il s'endort. Le cauchemar n'attend pas une heure avant de le tourmenter gravement.

*** ***


***
Ton visage est si beau.

Il n'y a rien que de l'argile frais.




Je veux y modeler des courbes,

des griffures,

des lacérations,

des déchirures,

des traits dont tu ne voudras pas,

qui seront dans chaque miroir et, si tu les casse, dans chaque éclat.


***


SCRITCH SCRITCH.

*** Il est dans un désert terriblement aride.

L'horizon tout autour de lui est tristement dégagé sur des centaines de lieues, sans la moindre dune pour casser la monotonie. Il n'y a aucune ville en vue, ni personne à qui parler, ni aucun chemin à emprunter. Les seuls acteurs du temps sont les nuages, qui défilent à une vitesse anormale en haute altitude, tandis que le vent est absent.

La poussière lui irrite terriblement les yeux. Quelques minuscules vaisseaux sanguins éclatent avant qu'il puisse atteindre son visage avec la main droite.

Il ressent très précisément les mouvements de son bras dans l'espace. Il frémit d'ailleurs - imperceptiblement, en réalisant qu'il était censé atteindre son objectif quelques centièmes de seconde auparavant. Lorsqu'il rouvre les yeux, son bras droit n'existe alors déjà plus. ***


*** Plusieurs de ses membres sont tombés en poussière. D'autres, dont sa tête disloquée, sont en lévitation inconfortable autour d'un fragment calcaire en cours de désagrégation.

Il ne respire plus depuis un certain temps. Sa cage thoracique a pris une consistance lourde et très friable. Il est impossible de la soulever sans qu'une partie s'effrite. Ses jambes plus fragiles que du plâtre se brisent irrémédiablement lorsqu'il tente de les extraire de la gangue.

Il y a des statuettes, d'innombrables statuettes d'ébène qui n'ont pour elles qu'un regard livide. Elle ne le regardent jamais. Elles préfèrent tourner sur elles-même jusqu'à ce qu'elles lui aient tourné le dos. A peine bouge-t-il les yeux qu'elles se mettent à tourner, faisant crisser le sable d'horrible manière.

Il ne bouge plus.



Le sable n'est pas du sable. Le sable est le résidu des poussiéreux qui sont déjà morts ici. Les statuettes sont des urnes funéraires qui accueillent désormais leurs restes. Elles tournent sur elles-même jusqu'à tourner le dos à la vie.

Dans le sable,

Il est maintenant en train d'émerger,

lentement,

très lentement,

une ultime statuette aux contours affreux. ***


 
Hirvane Tuek

Le Vayang 11 Marigar 1511 à 13h45

 
***

La petite statuette en bois avait entièrement émergé des sables blancs pour posséder la poussière résiduelle de son corps. En dépit de sa lutte acharnée pour redevenir matériel, il réalise qu'il a déjà atteint l'horizon vertigineux du tourbillon qui l'aspire dans l'abîme.

Il hante l'objet funeste en hurlant. Ses sensations s'estompent inéluctablement dans une couche d'enduit noir qui finira par sécher dans quelques minutes. Alors il n'y aura plus rien à faire. Diminué par le désespoir qui ronge tous ses efforts, il économise ses derniers instants, puis jette tout son être dans une ultime tentative.

Il échoue et meurt.



La statuette demeure longtemps inerte. Ce n'est qu'un objet symbolique érigé sur une étendue désertique. Le temps n'a pas de prise sur elle. Il n'y a pas non plus d'élément assez vorace pour la détruire. Elle écoeure les insectes qui s'enfouissent hors de cette zone stérile.

Au terme d'une nuit, le trou d'où elle était sortie s'écarte à nouveau. Elle s'y enfonce lentement, en forçant le passage par une action de rotation. La tête folle jette un dernier regard sur le désert avant de disparaître à jamais sous le sable.
***


*** Elle tourne, tourne, tourne, cette lance de bois qui ne s'interrompt jamais, perçant avec force les barrières de la roche, les cavernes mystérieuses des profondeurs, les galeries brûlantes creusées par des êtres de Syfaria encore inconnus.

Elle a invariablement progressé depuis plusieurs jours quand, derrière une veine de diamants bruts, elle met à jour une cavité monumentale, un dôme de plusieurs kilomètres de diamètre entièrement pavé de cristaux suintants. La statuette devient plume, atterrissant au bout de quelques minutes sur l'eau d'un lac glaciaire. ***


***
Lui redevient conscient. Il flotte maintenant dans l'eau froide, admirant le dôme écrasant.

Du haut lui tombent alors des fragments de cristaux,

un d'abord,

puis deux,

bientôt une pluie entière.

La voix d'un serviteur du mal résonne brutalement.



Choisis entre ton père et ta mère.
***


 
Hirvane Tuek

Le Sukra 12 Marigar 1511 à 00h29

 
***

Choisis entre ton père et ta mère.
Les douze coups vont sonner au clocher du village.
Les murs sont faits d'une matière fluorescente qui fond comme une pâte.
Tout fondra tant que tu n'auras pas choisi.
Alors choisis entre ton père et ta mère.



Dépêche-toi.
Les coups retentissent et tu ne réagis pas.
Choisis l'une des deux statuettes.
Fais-le avant qu'il ne soit trop tard.
Cette maison est en train de se liquéfier dans un agrégat verdâtre et visqueux.
Des lambeaux incrustés de lucioles se détachent du plafond.
De la chair et de la brique se mélangent dans une bouillie à vomir.
Il y a des cadavres qui te supplient d'arrêter.
Cette torture est innommable.
Ils vont tous périr entre ces murs,
dans quelques instants.

Allez, choisis vite l'une des deux statuettes.

C'est la seule solution.



Onze coups ont déjà sonné.

Il ne te reste plus beaucoup de temps.
Il n'y a guère plus que cette pièce qui soit encore visible,
bien qu'une faible lueur filtre à travers les volets clos.
Moi-même je suis totalement liquéfié.
Il ne reste plus que toi désormais.
Tu dois choisir vite.
Tu n'as pas le temps de réfléchir.
Il faut que tu choisisses.
Qui sait quand on entendra la dernière cloche résonner ?
Cela pourrait être dans moins d'une seconde.

Tout est fini.
Alors autant choisir.



Choisis entre ton père et ta mère.
***


 
Hirvane Tuek

Le Dhiwara 20 Marigar 1511 à 18h25

 
***

Oh.
Tu ne peux donc te résoudre à choisir,
bien que tout autour de toi menace de disparaître par ta faute,
que des gens te supplient,
que ta peau de fruit moisi se décompose ?

Je suis aussi un fruit moisi,
nous sommes frère et soeur.
Tu n'aimes donc ni papa ni maman ?

Regarde-moi quand je te parle.



Papa était un étalon qui a chevauché maman dans une étable de Kryg,
accomplissant la seule fonction de reproduire son espèce,
à la chaîne,
y a-t-il manière plus naturelle de semer la vie ?
Ce furent les plus longues minutes d'une maman plus seule que jamais,
qui n'a pas souhaité t'élever comme son enfant.
Dur.
Trop dur.
Tu entends la sève s'écouler de ce bois frêle,
sauvagement entaillé par un garnement ?

Plic.

Plic.

Ce sont ses larmes.
Tu les entends gicler sur la pierre froide ?
Dis-moi, quel spectacle quand on pousse cette lourde porte !
Quelle vitalité, quelle... vigueur !

HONTE !

N'as-tu pas honte de rechercher cette souffrance !
Comment oses-tu seulement la regarder !
Puisque tu es aussi infect,
viens,
je sens le désir naître en toi, plus que l'envie de comprendre,
je vais t'apprendre des secrets inavouables,
comme une fleur que tu cueilles à l'aube,
toutes ces visions dont tu as peur et que tu appelles ardemment,
complexé,
terrorisé,
si faible !

Viens,
Cueille-moi,



Cueille le fruit interdit.
***


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