Dès qu'il apparait et pose son regard noir sur sa petite personne, elle sait, sans même faire appel au don de sa symbiose, à qui elle a affaire.
Elle se fige un instant, glacée comme le marbre, droite comme un piquet.
Cette sensation. Ce frisson qui lui traverse l'échine, gelée, entre ce qui pourrait s'apparenter à un excès de peur ou de timidité. Ou de respect.
Il faisait une petite tête de plus qu'elle. Mais la taille n'est pas ce qui le maître des arcanes aussi impressionnant à ses yeux.
Cette froideur très formelle qui faisait façade à son visage, ces yeux noirs jais qui détaillait méticuleusement chaque parcelle de sa personne.
Ces yeux justement. Elle, est habituée à estimer le comportement de ses interlocuteurs en lisant dans leurs yeux.
Et là… deux onyx. Et deux gouffres opaques dans lesquels on ne pouvait plonger sans risquer de s'y noyer.
On y lisait tout et rien.
Une aberration…
Et ce sentiment indéfinissable, qui à la fois la retenait sur le pas de cette porte et lui donnait envie de s'enfuir à toutes jambes loin du regard de cet individu.
Un autre frisson. Son être tout entier frémit alors qu'une petite goutte de sueur froide apparait le long de sa tempe.
Bonsoir, Kielna Kalavador je présume.
Elle s'incline légèrement, tout en essayant de rester stoïque.
Il s'écarte de l'embrasure de la porte, l'invitant à entrer, d'un geste de la main.
Lentement, elle s'avance, peu rassurée, en tentant de garder toute contenance, malgré le tremblement qui commence à assaillir ses genoux.
Heureusement, sa robe, si ce n'est par un léger frémissement, n'en laisse rien paraitre.
Elle détaille le placement des divers éléments de la pièce, et attend au milieu de la pièce que le maître des arcanes lui donne la suite des instructions.
Lentement, Renald Gath s'écarte de la porte pour se porter au niveau du bureau -
de son bureau -.
Flûte… Cette démarche, cette voix, cette silhouette. Je connais ce type. Qui est-il?… Putréfaction.
Il effleure une petite sphère sur le bureau, seule source de lumière de la pièce.
Lentement, la lumière disparait avant de laisser place à l'obscurité.
Elle se rend alors compte à quel point les lieux sont silencieux.
Seules les gouttes d'eau tapant contre le carreau brisaient ce silence presque macabre et rendaient l'atmosphère encore plus glaçante.
Et, comme si cela ne suffisait pour faire mourir de peur le moindre poussiéreux cardiaque, les chandeliers au dessus de la pièce s'allumèrent d'eux même.
Il faut que le maître des arcanes lui indique le porte-manteau pour la faire sortir de l'espèce de torpeur, dans laquelle elle était plongée durant quelques secondes.
D'une démarche mécanique, aucun geste perdu, ni laissés au hasard, elle s'approche de la chose en question.
Elle constate le manteau ; sans le vouloir, y laisse son oeil ; et sent son estomac se nouer un peu plus et son esprit s'embrumer comme en prélude à une profonde migraine.
Elle écarte le regard en sentant les spirales commencer lui monter à la tête en émettant, bien malgré elle, un grognement à peine perceptible.
En prenant garde à ne pas salir et mouiller la précieuse étoffe, elle pose sa pelisse sur le montant opposé et observe, gênée, l'ensemble.
Très tache de boue dans salle du trône...
Plic… Plic… Plic… L'eau, de seconde en seconde continue à tomber, au goutte à goutte de la pelisse.
Gênée, elle se retourne et constate que le maître des lieux, tend lentement la main vers un grand fauteuil face auquel se trouve un autre, idéal pour ceux de leur race.
Le regard toujours braqué sur lui, elle se dirige lentement, vers le premier et s'y installe, tant bien que mal avant de poser son livre sur ses genoux et de joindre les mains au dessus.
Le Tchaë assis en face, lance :
Je suis Renald Gath.
Silence.
Cette assertion était évidente, mais, curieusement, le fait de l'entendre le confirmer la rassure légèrement et lui permet de répondre d'une voix enrouée :
Enchantée.
Elle se racle la gorge et murmure en baissant la tête et les yeux, respectueusement :
Temia Kalavador.
Stupide… Il t'a appelée par ton nom quand tu es entrée… Evidemment qu'il le sait… Stupide, stupide, stupide…
Elle se ressaisit, mais, à nouveau muette, elle ne trouve rien à dire. Le silence s'installe.
Elle dévisage son interlocuteur.
Non. Elle ne se souvenait pas d'un tel poussiéreux. Ç'aurait été trop marquant dans sa vie…
Et pourtant, cette voix.
Cette fichue voix.
Où l'avait-elle déjà entendue? Ce souvenir semblait trop réel pour que cette rencontre n'eut pas lieu en chair et en os.
Non.
Ou alors?.. avant?
Elle fouille dans ses souvenirs… et se rend compte que le temps passe et que rien n'a encore été dit des deux côtés.
Mais elle ne peut pas se permettre de dire n'importes quoi.
Un maître des arcanes… Ça peut désintégrer les impudents.
Elle déglutit.
Un maître des arcanes… Ça peut aussi perdre patience.
Il attendait peut-être qu'elle lui expose le motif de sa visite.
D'ailleurs plusieurs questions lui reviennent à l'esprit.
Elle sent Kiavè se téléporter sur le livre, devant elle.
Lentement, mécaniquement, elle commence à caresser le petit Mou.
Ses muscles se détendent et elle sent son corps se réchauffer peu à peu. Puis, d'elle même, sa bouche s'ouvre et les mots s'y forment d'eux mêmes :
Puis-je vous prendre un peu de votre temps, maître?
Et, comme pour lui prêter main forte, le Mou surenchérit, l'oeil froncé, d'une voix inquisitrice :
Kiavè dit :Est ce que d'aventure ma symbiosée et vous, vous connaitriez?
Le visage de Temia perdit les dernières couleur qui lui restaient. Le Mou avait parlé pour elle.
Mais curieusement, au plus profond de son coeur, la peur déjà bien incrustée aurait tendance à se muer en terreur :
Une image venait de lui traverser l'esprit, mais elle était trop terrible pour être évoqué sur l'instant.
Digne ou indigne,ma vie est ma matière, ma matière est ma vie.