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Palais des murmures

Trait d'union

Du vert au rêve
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Sujet lancé par Penthésilée
Le 17-09-1511 à 12h06
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Posté par Penthésilée,
Le 07-11-1511 à 14h22
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Penthésilée

Le Sukra 17 Saptawarar 1511 à 12h06

 
Dire que Penthésilée est surveillée comme une torche flamboyante égarée au cœur d'une poudrière de fort assiégé... donne une vague idée des mesures de sécurité dont la Haut-Rêvante est l'objet, depuis son entrée dans le palais des murmures.

Les deux chaperons qui l'accompagnent dans ses déplacements ordinaires dans la cité sont désormais renforcés de quatre combattants, masqués d'un voile qui protège leur anonymat. L'escorte est précédée d'un duo de Grises, silencieuses mais autoritaires, puisqu'elles dirigent la garde de leurs seuls regards. Et la troupe étrange arpente les interminables couloirs du palais, prenant parfois un escalier, ou traversant un grand salon, sans logique apparente aux yeux de la nelda. Le parcours choisi, d'une certaine façon, participe sans doute à la sécurité globale de la Shaïm.

L'invitée a laissé toutes ses affaires à l'entrée des jardins ceinturant l'édifice palatal, aux bons soins des sentinelles chargées d'accueillir les visiteurs. Elle a revêtu la toge simple qu'on lui a donné, ne gardant avec elle - non sans une argumentation soutenue - que le paquet qu'elle entend remettre à Sardoryane.

Après force détours, au terme d'un trajet qui n'a certainement de sens que pour les Grises initiées et les gardes spécialisés, la doyenne des deux Grises se présente devant une double porte de belle facture. Elle frappe deux coups avec le heurtoir et tandis que les grands pans s'écartent, se tourne vers la Vigie du Rêve et dit :


Entrez.

Penthésilée
Vigie du Rêve
Chroniques

 
Sardoryanne

Le Luang 19 Saptawarar 1511 à 23h36

 
La salle est immense.
Inattendue et quasi gênante dans ses dimensions extravagantes.
Sans compter que le reste du palais qu'avait parcouru la Nelda était plus alambiqué que grandiloquent dans son architecture.
De grands arbres touffus poussaient au milieu des dalles du sol, leurs racines les ayant repoussées depuis bien des décennies; des oiseaux aux couleurs chatoyantes gazouillaient à tout crin sur leurs branches veineuses.
Le sol était nettoyé, propre, et seules quelques feuilles essaimaient cette esplanade.

Impossible de savoir où elle se trouvait.
Encore dans Syrinth ? C'était difficile à croire, mais elle n'avait pourtant pas parcouru une distance énorme.
Tout cela fut d'emblée perturbant.

La Shaïm était là, prêt de l'entrée. Solennelle et seule.
Les portes se refermèrent derrière Penthésilée.

Sardoryanne la regardait sans mot dire...


 
Penthésilée

Le Matal 20 Saptawarar 1511 à 01h22

 
Le silence de Sardoryanne recèle bien des invitations.

Une invitation à parler ou, à contrario... une respiration. Un soupir, un temps que s'octroie la maîtresse de céant pour observer l'étrangère.
Penthésilée a deux choix. Elle peut saluer la Shaïm à la manière Haut-Rêvante, ou opter pour ce qu'elle sait du protocole local. Plutôt que de singer ce dernier, riche de symboles qu'elle comprend mal et risque d'écorner, elle pose une main sur son coeur et s'incline gracieusement, comme elle le ferait en présence de Firydor. En revanche, elle se présente en équilibrien, quitte à étaler sa connaissance imparfaite d'une langue qu'elle peine toujours à bien pratiquer :


Hejia, Arc'Rhona Sardoryanne.

Je salue en vous la guide temporelle et spirituelle incontestée de toute une faction.
Je reconnais en vous la détentrice de la parole sacrée de la Dame Grise, divinité de Syfaria en essence.
Je vous transmets le respect indéfectible de la Lumière du Rêve, qui ne parle jamais de vous sur notre consensus qu'en termes élogieux et vous tient manifestement en très haute estime.

Quoi qu'il naisse de l'entretien qui s'annonce entre nous, permettez-moi de vous offrir cette pèlerine, en gage de l'amitié sincère qui préside à ma présente démarche. La plus talentueuse de nos tisserande a donné le meilleur d'elle-même pour la confectionner.


La Vigie du Rêve s'agenouille et présente à Sardoryanne son paquet de toile ficelé, pattes tendues vers le haut, en gardant la tête baissée. L'emballage est sobre, sans fioriture aucune. Il protège bien son contenu mais s'ouvre facilement.

A l'intérieur repose le fruit de plusieurs mois de travail, dangereux pour Penthésilée, épuisant pour Yatagan :

Une cape de noosphage.


Penthésilée
Vigie du Rêve
Chroniques

 
Sardoryanne

Le Vayang 23 Saptawarar 1511 à 23h26

 
Sardoryanne s'avance et prend l'offrande.
Elle l'ouvre et déploie la cape.
Un sourire malicieux illumine son visage, tandis qu'elle replie l'ouvrage et le met sur ses épaules telle une étole.

Cheminons, dit-elle simplement en s'avançant dans l'esplanade.

Vous êtes venue de fort loin, pour me voir.
Et je ne parle pas de votre provenance mais de votre chemin.

Vous avez contemplé bien des merveilles, et bien des horreurs.
Votre âme s'est élevée, cela se ressent.
Vous êtes une paix en mouvement.

De quoi vouliez vous m'entretenir, Vigie du Rêve ?


 
Penthésilée

Le Sukra 24 Saptawarar 1511 à 18h39

 
Penthésilée ne peut pas faire court, elle doit donc soigner son entame :

Des vertus non point comparées, mais conjuguées de nos visions apparemment dissemblables du monde, Arc'Rhona.
Par "nos", j'entends celle du Haut-Rêve, émanée de la Lumière Firydor, et celle de l'Equilibrium, que j'imagine - dans mon ignorance - émanée de vous.


La Vigie se fend d'un sourire d'excuse teinté d'auto-dérision :

N'est-ce pas là une démarche incroyablement prétentieuse ? Une veilleuse, du haut de ses vingt-quatre printemps, s'invite dans un débat séculaire de théologie et propose de jeter un pont entre deux factions que tout semble distinguer, sinon opposer ! Permettez-moi de jouir de l'instant présent, tant j'ignore où mes mots vont m'emmener dans le temps qu'il me reste à vivre !

Le sourire s'épanouit un instant, puis laisse place à une expression grave et concentrée :

Ce... projet, qui me voit aujourd'hui vous parler à cœur ouvert, est né d'un rêve perdu au milieu d'une nuée de cauchemars.

Sans doute savez-vous quels sont ces cauchemars, Shaïm. Peut-être même les avez-vous subi ? Ils tourmentent bien des miens et perturbent parfois des neldas non-rêvants. Tous s'articulent autour d'une même faille et mettent en scène une fracture ancienne : celles qui définissent nos êtres, déchirés entre leur nature bestiale et leur dimension spirituelle.

Dans la culture haut-rêvante, cette opposition s'inscrit dans un antagonisme bien plus vaste et plus prégnant encore : celui qui sépare Syfaria, dont la réalité nous apparait biaisée, des mondes du Rêve, dont l'irréalité nous apparait vraie. Les sages de ma faction ont transformé un conflit interne, propre à la race nelda, en un dualisme qui s'applique au monde entier. Notre singularité est devenu universelle.

Comme toutes les jeunes veilleuses, j'ai reçu une éducation correcte et je connais notre histoire. Je mesure, en particulier, l'angoisse qui fut celle de nos ancêtres lorsqu'ils furent confrontés au Vargulfr, la bête qui dort en notre sein. Et jamais, dans les leçons qui me furent délivrées, on ne m'enseigna autre chose que la défiance : la bête est intrinsèquement mauvaise. Elle fait de nous des monstres et nous ancre dans un monde que nous aspirons à quitter. Dès lors, nous devons la terrasser !


Tout en marchant, la disciple de Toh ouvre une patte et en regarde les griffes, songeuse :

J'ai cru à... non, j'ai vécu dans ma chair la mauvaiseté du Vargulfr. En tant que veilleuse, formée à l'usage des armes, j'ai bien été obligée de laisser libre court, parfois, à une certaine forme de... sauvagerie. Nous autres combattantes de Toh, nous vivons de plein fouet l'antagonisme susdit : l'on nous demande d'être sereines, lucides, capables de veiller avec bienveillance et altruisme sur les sages en transe. Mais l'on attend de nous, parallèlement, une férocité de louve si la Quête est menacée ! Dans les faits, nombre de mes sœurs sont torturées, tiraillées entre deux attitudes pour le moins difficiles à concilier ; elles doivent passer de l'une à l'autre sans délais, selon les circonstances, sans rien perdre de leur maîtrise et de leur quant-à-soi. D'un claquement de doigt, la belle doit devenir la bête !
Lorsque la tension devient trop grande, insupportable, le douloureux débat s'invite dans nos rêves : je ne compte plus les nuits qui m'ont laissée pantelante, en pleurs ou tétanisée, parce que le temps d'un songe brutal, le Vargulfr m'avait littéralement possédée...

Tout ceci est connu et pourrait demeurer anecdotique, ou pour le moins un problème interne à l'Ordre. Mais, comme je vous l'ai précédemment annoncé, je n'ai pas connu que des cauchemars...
J'ai également fait un rêve. Le rêve de l'arbre-monde.

Ce rêve m'a proposé d'explorer une voix inédite, dans ma vie de Haut-Rêvante tourmentée par le Vargulfr. Il m'a permis de poser les bases d'une nouvelle alliance, qui associe le corps et l'esprit en s'appuyant sur leur nécessaire complémentarité.
Plutôt que de nier ou de combattre sans relâche toute forme d'instinct ou de spontanéité animale, je les prends désormais pour ce qu'ils sont : une composante essentielle et irréductible de ma sensibilité, de ma personnalité, de mon identité. J'en accepte le principe et dans les faits, j'en mesure la portée.
Dès lors, le choix d'assouvir ou de modérer mes pulsions est désormais le fruit d'un dialogue entre ma chair et mon âme... Depuis, je ne souffre plus du conflit qui agite mes pairs, parce que je ne suis plus le siège de ce conflit. J'agis donc en pleine responsabilité et en pleine... cohérence.

En paix avec moi-même, je sens confusément que de la sorte, je deviens...
Complète.


Avant de poursuivre, la Vigie marque une pause, pour permettre à Sardoryanne de réagir si elle le souhaite.

Penthésilée
Vigie du Rêve
Chroniques

 
Sardoryanne

Le Luang 3 Otalir 1511 à 23h32

 
Sardoryanne écouta en silence.
Lorsque Penthésilée fit une pause, elle respira pesamment.
Son regard pointé vers les arbres, elle attendit plusieurs minutes avant de répondre, mais visiblement elle avait quelque chose à dire...

Complète...
Oui, sans aucun doute, c'est ainsi que je vous perçois.
Pourtant, il manque encore une infime parcelle de vérité à cette osmose, n'est-ce pas ?

Je me trompe peut être, mais je ressens un doute en vous, stagnant comme un relent nauséabond.
Je ne sais ce que c'est. Peut être ne le percevez vous pas ?

Votre route a été longue jusqu'ici, et je ne suis pas certaine de pouvoir vous être d'une quelconque utilité.
Mais je ferai de mon mieux, Vigie du Rêve.



 
Penthésilée

Le Matal 4 Otalir 1511 à 11h11

 
Penthésilée est surprise. Agréablement, désagréablement ? Un peu des deux, pour une seule et même raison. Une raison très positive, en fait. Le dialogue prend une direction tout-à-fait inattendue. Sardoryanne, dans sa quasi-omniscience de guide spirituel, a mis le doigt sur quelque chose que la Vigie n'entendait pas aborder... jusqu'à maintenant :

Vous avez le nez fin, Shaïm, dit-elle en baissant la tête, queue en berne.

Il y a un mauvais caillou dans ma chaussure. Un caillou, un grain de sable qui grippe la belle mécanique que j'essaie tant bien que mal de construire, et qui s'appelle ma vie. Mon parcours de symbiosée devait m'amener à ce moment, à cet instant qui me voit vous parler d'un projet de fond, que j'aborde touche par touche, comme il m'est venu, et dont je ne vous ai point encore révélé la noble ambition ou la vanité crasse, selon le point de vue...

Ce caillou, c'est Achille.


A l'évocation de son nom, le mou tressaute mais ne se défile pas. Il demeure en suspension, en arrière de sa compagne, silencieux, l'expression neutre. Pour le peu qu'il donne à voir, le symbiote ne semble pas d'humeur mauvaise. Il est plutôt attentif, concentré, intéressé... et même, vaguement satisfait.
Comme s'il pensait :


Achille dit :
(il petto) Enfin.
Bon sang, trois ans... Il lui aura fallu trois ans !
ENFIN !


La favorite poursuit :

Nous ne nous entendons pas, c'est un euphémisme. J'ai récemment exprimé l'idée que nous étions complémentaires et qu'ainsi, ainsi seulement, je pouvais un jour prétendre véritablement à la complétude. Je ne sais si cette idée est correcte, mais j'en doute, et c'est ce doute que vous percevez. J'en doute, parce qu'échanges après échanges, au long des discussions qu'Achille et moi avons partagées, le fossé n'a cessé de se creuser. La défiance initiale s'est progressivement changée en un mélange méphitique de mépris teinté de haine.

J'attends de mon mou un soutien, une aide... autres que la simple attribution des pouvoirs associés et connus de tous. Lui attend aussi quelque chose, manifestement, mais j'ignore ce que cela peut être : il ne m'a pas fait l'heur de m'en informer. Nous sommes donc tous deux déçus et cela se traduit par... ce que, votre perception étant ce qu'elle est, vous sentez.


Un ange passe

Je ne suis point ici pour vous entretenir de mes problèmes relationnels avec Achille et je ne voudrais certainement pas abuser de votre temps sur ce sujet. Mais il se pourrait qu'il soit important, et qu'il me faille le résoudre si j'entends aller de l'avant... et poursuivre ce pourquoi je suis venue devant vous.

Un sourire, reconnaissant et impressionné :

Votre diligence à pointer ce problème me sidère. Je devrais pourtant m'être habituée à la subtilité des premiers-sortis, mais non, elle me surprend encore. Si j'osais... la rareté d'un tel entretien rend ces fulgurances plus jouissives encore.

Je dois passer cette étape, si j'entends poursuivre notre entretien.
Conseillez-moi, Arc'Rhona.


Penthésilée
Vigie du Rêve
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Sardoryanne

Le Julung 13 Otalir 1511 à 23h04

 
Sardoryanne s'assoit sur le sol, sans plus de cérémonie, et invite son hôte à faire de même.

Les créatures que nous nommons Mous sont des symbiotes.
Ils vivent et perdurent uniquement par le biais d'un échange.
Ce ne sont pas des parasites, qui pompent la vie pour la faire leur.

Achille est ainsi.
Il se nourrit de vous autant qu'il vous permet de grandir.
Les... pouvoirs, comme vous les appelez, ne sont qu'une partie de ce qu'il vous apporte.
Certes, votre capacité à vous développer plus rapidement, la télépathie, la faculté de résurrection, sont des phénomènes qui crèvent les yeux.
Qui aveuglent. Qui font douter.

Que peuvent bien prendre les Mous qui valent pareils cadeaux ?
Rien de ce que vous êtes ne semble entrer en balance avec pareils dons, pareilles opportunités.

La symbiose a permis aux poussiéreux de sortir de leurs cités.
De s'épanouir.
De compter dans ce monde.

Imaginez un instant les dernières années sans l'apparition de la symbiose ?
Que serait-on devenu ?
Que serait... Syfaria aujourd'hui ?

Vous donnez à Achille ce qu'il ne peut avoir sans vous.
Une identité. Une durée. Un regard sur le monde.

Les Mous sauvages ont des disparités, mais elles sont faibles.
Ils ne parlent pas. Ne communiquent pas. Ou en de très rares occasions pour de très rares élus.
Et même alors il est difficile de les comprendre.
Ils sont joueurs et insouciants, ne s'intéressent pas à nous ni aux affaires de l'île.
Les Mous sauvages vivent six mois. Pas des années comme Achille.

Vous ne vous entendez pas avec Achille.
Son caractère est fort différent du votre.
Peut être vous méfiez vous de lui.
Mais sachez que vous lui donnez plus qu'il n'y parait.
Et que ce don ne vous coute rien. Qu'il aide la vie. Qu'il sauve Syfaria.

Vous attendez de lui un soutien, une aide.
Pourquoi attendre ceci ?
Il est avec vous. Ceci devrait vous suffire.
Si vous attendez trop, vous ne pouvez qu'être en souffrance.
Et forcément, Achille en souffre aussi.

Votre existence est liée à lui.
Et la sienne à la votre.
Vous avez besoin l'un de l'autre.

Achille n'attend rien de vous.
Il a tout ce qu'il lui faut.
Mais si vous doutez, alors votre lien s'en ressent et sa douleur s'exprime.
Il peut en mourir.

Comprenez vous ?



 
Penthésilée

Le Matal 18 Otalir 1511 à 22h12

 
Penthésilée acquiesce en silence.

Ce qu'elle saisit, au-delà du discours lumineux de Sardoryanne, c'est qu'elle doit mettre en pratique le principe de complémentarité qu'elle prétend comprendre... si elle veut que leur duo évolue. Pour l'heure, ce qu'elle partage n'est qu'une vue de l'esprit et ne se traduit pas en acte. Il va falloir que la nelda laisse parfois Achille piloter leur équipée, lui donne les clés du navire, en quelque sorte : cela ne sera pas sans risques, il y aura du tangage à bord ! Mais que valent de grands principes que l'on refuse d'appliquer ? Derrière la réciprocité se cache une vérité autrement plus saillante et conséquente : l'équilibre...


L'équilibre mène à l'harmonie, dit-elle.
Je vous comprends, Shaïm. Et je prie pour que vous parliez vrai !

Un temps s'écoule, où les deux neldas se contentent de marcher en profitant de l'instant présent. Il est temps d'aborder le sujet de fond prévu, si tant est qu'il soit porteur d'espoirs. La Haut-Rêvante prend une longue et lente inspiration, puis se lance :

Arc'Rhona...

Il y a deux saisons, Sieur Flymeur entamait sa diagonale du fou en s'invitant cavalièrement dans tous nos consensus.
Sans entrer dans l'histoire de ce qu'il fit par la suite, histoire dont vous connaissez les tours et détours mieux que quiconque, le fait même que cette personne ait violé sans efforts apparents l'espace mental des factions, réputées imperméables, me stupéfie. Aujourd'hui encore, j'en suis... estomaquée.

Plus que le résultat, c'est peut-être la méthode - via une sorte "d'effraction surnaturelle" orchestrée par une étrange créature depuis un lieu nommé "Interstice", si j'ai bonne mémoire - qui me choque le plus. Car historiquement, nos consensus sont la cristallisation de nos cultures et de nos croyances les plus fondamentales, les plus profondément ancrées dans nos sociétés : ainsi, les religions y tiennent une place centrale, tant il est inimaginable d'envisager le Haut-Rêve sans adhérer aux Quatre ou suivre votre voie en ignorant la Dame...

Ce précédent fâcheux, c'est un euphémisme, a pourtant une vertu :
C'est un précédent.

Quoi qu'ait fait Rhon Flymeur, quels que soient ses torts, nous savons désormais grâce à lui qu'il est possible, pour un poussiéreux, d'exister simultanément dans plusieurs consensus à la fois. Et si cela me remplit d'effroi, j'en suis plus admirative et rêveuse encore, car je n'imagine pas acte plus explicite et sincère pour unir des factions qui pour l'heure, cherchent plus à se comparer qu'à se conjuguer.


La queue de Penthésilée se lève et trace des arabesques à mesure qu'elle réfléchit et s'exprime dans un même élan :

A ce jour, détrompez-moi si nécessaire, personne n'a réussi cela. J'ignore même si quelqu'un a jamais essayé, et j'en doute, compte tenu de l'impossibilité annoncée de la chose. Seulement voilà : l'infranchissable obstacle a été vaincu, et l'impensable accompli. De manière aussi vile qu'efficace...

J'aimerais croire qu'il y a moyen de reproduire l'exploit, mais joliment.
Le reproduire de la seule façon qui vaille...
Par conviction.

Il se trouve que mon cheminement m'amène aujourd'hui à considérer votre culture avec une attention toute particulière. J'avais de l'Equilibrium une vision intrigante, mais partielle. Il me manquait un élément pour véritablement adhérer à votre vision de Syfaria, même si plusieurs indices - vous parleriez sans doute de "signes" - m'avaient déjà taquiné l'esprit ces dernières années : je n'avais pas visité Syrinth. Cette incurie est aujourd'hui réparée.

En parcourant la Sainte, j'ai vu et ressenti ce que j'avais subodoré sans preuve tangible pour l'étayer : Syfaria est vivante, Syfaria est belle, mais Syfaria est malade.
Jusqu'à présent, sur les routes, seule sa laideur et sa souffrance d'entité martyre m'avaient touchée. Sous le joug des effluves, subissant les affres de la corruption, elle râle et se contorsionne vilainement, piège et blesse aveuglément ses enfants, distord une vérité trop atroce pour être tout juste supportable...

Syfaria est une Dame cruellement tourmentée.
Mais pas ici.

Il me manquait ce dernier élément : une vision de la Sainte, ville d'harmonie, enclave apaisée de Syfaria.
Si un tel lieu n'existait pas, je n'aurais aucune raison de croire en votre vérité.
Il existe, cependant. Et j'en perçois la signification profonde.


La Vigie du Rêve s'arrête un instant :

Cette conviction nouvelle m'ouvre les yeux sur le monde, Shaïm. Ses mensonges m'apparaissent désormais pour ce qu'ils sont : l'expression d'une souffrance indicible.
Mentir, c'est ne pas se résigner à céder, à s'abandonner, à sombrer...
Mentir, c'est tenir.


Un blanc, puis :

Rêvez-vous ?

Dans la bouche de la Favorite de Toh, nulle ambiguïté : c'est bien de transe onirique dont il est maintenant question.





Penthésilée
Vigie du Rêve
Chroniques

 
Sardoryanne

Le Luang 31 Otalir 1511 à 00h33

 
Un long silence.
Sardoryanne ferme les yeux, et les minutes s'écoulent, le bruit de la brise dans les ramures faisant juste miroiter l'onde des possibles.
Elle réfléchit.
La question est d'importance, et il est évident que ce silence n'est pas un dédain mais une véritable prise de conscience de la valeur qu'elle transporte.

Finalement, les yeux toujours clos, elle répond d'une voix assourdie.

Voilà des siècles, nous sommes arrivés en ce monde.
Notre race a ouvert les yeux sur une fureur sans partage, une vérité sourde.
Nous étions abandonnés. Nos dieux nous avaient fui.
Notre mère patrie était perdue.

Notre mémoire s'était estompée.
D'autres races nous avaient accompagné. Tchaës et Tydales.
Nous ne les connaissions pas, nous avions peur.
Nous étions dangereux.

Un être s'est alors levé. Firydor.
Il nous a parlé. Lui se souvenait. Lui savait que nous devions réagir.
Ne pas sombrer dans la sauvagerie. Ne pas nous éteindre.
Ma mémoire est partielle, mais grâce à lui elle existe.
Les Tchaës ont des souvenirs. Sont-ils leur invention, ou sont-ils réels, je ne le sais.

Nous nous sommes retrouvés au fil des mois.
Quelques uns d'entre nous. Firydor, Elchior, Kryniosias, Akaliara et moi même.
Quelques autres aussi. Trois autres.
Nous étions huit êtres liés. Différents. Chargés d'une responsabilité grandissante.
Nous avons vite compris que nous ne mourrions pas.
Nous avons... vu des parcelles de réalité.
Compris en partie la nature de ce monde.
La nature de notre venue ici.
Nous avons alors su que nous devions mener nos peuples respectifs pour qu'ils survivent.
Dans l'attente de la Rédemption.

Certains d'entre nous ont opté pour une voie que je qualifierai de mauvaise.
Ils se sont dévoyés. Par égoïsme. Par volonté.
Ils voulaient aller trop vite. Ne comprenaient pas ce monde.
Sa souffrance. Son Mal.
Ils voulaient en finir. Retourner d'où nous venions.
Ne comprenaient pas que cela était devenu impossible.
La réalité de Syfaria est subtile. Et rien de vulgaire ne pouvait réussir à nous sauver.
Nous cinq avons alors décidé de prendre les choses en main.
Le Temps allait jouer en notre faveur.

Syfaria est un monde vivant.
La Dame Grise est son esprit. Son âme. Sa conscience.
Elle vit, souffre et désire.
Elle est avide et violente, mais aussi emplie de compassion et d'amour.
Elle est la nature même des choses.

Ce fut ma destinée que de l'écouter.
Que de la servir.
Le Rêve est une autre constituante de Syfaria.
Firydor en fut le Gardien, le Messager et le Berger.
Notre peuple avait besoin de sa voix pour ne pas sombrer.

Je n'étais pas dans ce cas.
J'étais et je suis ancrée dans ce monde.
Je n'en partirai pas.
Le Second Monde est un palier vers le Troisième.
La Rédemption.
Nous autres premiers sortis ne partiront pas.
Nous ne serons pas sauvés.

Mais nous attendons depuis des siècles que les portes s'ouvrent.
Ce temps est venu.
Une à une, elle se débloquent. Tout s'accélère.
Flymeur a ébréché un pan de mur. Les Tchaës ne l'ont pas compris mais ils possèdent leur clef, même s'ils en ignorent encore la nature.
Le ciel s'est ouvert. Les tydales ne l'ont pas compris mais c'est là leur porte.
Elles doivent en trouver la clef pour l'ouvrir de nouveau.
Celles-ci ont permis à d'autres de s'entrouvrir.
Je vous laisse les découvrir.

Une à une, et ce monde sent que son Temps arrive.
Nous resterons peut être aveugles, mais nous serons guidés et nous aurons les siècles à venir pour ouvrir les yeux.

Alors je vous réponds mais vous avez déjà compris.
Je ne rêve pas.
Car ce n'est pas mon rôle. Ma Voie est ailleurs.
Je suis un outil au service de la Dame.

Et je la servirai jusqu'à la toute fin, pour le bien de nos races et pour leur survie.
Pour leur Rédemption...



 
Penthésilée

Le Luang 31 Otalir 1511 à 18h34

 
Sardoryanne élargit le débat, au point d'englober toute l'histoire de la poussière dans son discours. Dans le zoom arrière qui s'ensuit, ce que Penthésilée espérait clarifier s'en retrouve amenuisé jusqu'à l'insignifiant. Sa compréhension nouvelle du rôle de la Dame et de l'Equilibrium en ce monde restera-t-elle lettre morte, sans conséquences, fussent-elles personnelles ? C'est un peu tôt pour le dire. Il se peut aussi que la Shaïm laisse la Vigie faire le voyage, non par désintérêt, mais par respect ; de sorte à ce que la Haut-Rêvante agisse librement, hors de toute influence, en responsabilité...

Quoi qu'il en soit, les informations fusent dru.
Certaines sont étonnantes :

- Firydor s'est souvenu... lui n'est pas sorti l'esprit vierge du Pilier, mais déjà fort d'un savoir hérité ! Lequel ? La Favorite ne l'a jamais entendu s'exprimer sur ce sujet. Serait-il dépositaire d'un passé antérieur à l'avènement de la Poussière ? Et dans ce cas, pourquoi n'en a-t-il point fait état ? Ce n'est pas une question que la nelda peut poser à Sardoryanne... elle devra attendre de revoir la Lumière du Rêve pour éclaircir ce point, qui n'a vraiment rien d'anodin !

- Les premiers-sortis sont huit. Évidemment, Penthésilée connait les cinq créateurs historiques des factions. Elle sait aussi que Batyas, le premier témoin du S'sarkh, est né bien plus tard. Or donc, trois manquent à l'appel...
Qui peuvent-ils être ?
Et si l'un d'eux dirigeait la fameuse coalition, celle dont se réclame Kysall ?
Le fait qu'elle vénère le P'ken S'sarkh ne dit rien de son fondateur et maître actuel...
Et si... et si l'un des deux autres...

Un bref frisson parcourt l'échine de la nelda. Elle se revoit sur les bancs de l'école, dans ce cours où l'histoire ancienne se mêlait de légendes étranges. L'une d'entre elles, la Favorite s'en souvient, concernait les tchaës : la vieille conteuse avait narré la fuite éperdue de ce peuple, qu'un des leurs tyrannisait et poursuivait de mondes en mondes, jusqu'à Syfaria... comment s'appelait-il, bon sang ?

Voilà ! Ca lui revient !
Se pourrait-il que cette légende soit fondée ?

La Vigie soupire. Elle spécule, mais cela ne la mène nulle part. Certaines des portes dont parle la Shaïm éveillent quelque échos, mais rien n'est moins sûr : la chute des étoiles ? La naissance de l'enfant du Rêve ? La mort du Tarknal ? La défection soudaine des nemens ? L'expédition de Batyas ?

Et ce mot...
Rédemption !
Qui fauta ? Et en quoi ?

L'entretien va se conclure, Penthésilée le pressent. Sardoryanne a délivré nombre d'informations, qu'il appartient à la Poussière de partager et de comprendre. L'Arc'Rhona est maîtresse de son discours : si elle souhaitait tout dire, elle dirait tout. La Haut-Rêvante n'entend pas l'interroger plus avant, ce serait irrespectueux et très certainement vain. Elle ne s'autorise qu'une dernière question, quelque chose qu'elle se sent en droit de demander, puisqu'elle s'appuie sur l'intuition et une certaine lecture de l'histoire :


Sashi pour votre enseignement, Shaïm.

Car c'est bien de cela qu'il s'agit.

Permettez-moi de penser tout haut, et d'exprimer une idée soudaine en forme de... question :

L'un des trois premiers-sortis que l'histoire usuelle occulte est-il le tchaë nommé Harko ?

Une mission se monte et s'organise, à Lerth. Qu'il s'agisse d'une porte ou d'une impasse, elle mérite d'être encouragée. Je pense y participer, si l'on veut bien de moi. Je vais donc vous quitter...
Mais j'emporte avec moi vos mots et je fais mienne votre philosophie. La Dame est ce monde. Cette vérité ne me détourne point de la Quête, elle lui donne sens : vouloir partir d'un monde creux n'a rien de noble...

Un jour peut-être, votre faction m'acceptera sans qu'il me faille renier la mienne.
Alors, alors seulement, quand la Dame m'aura accueillie dans son sein...


Un grand sourire illumine le visage de la Vigie tandis qu'elle retrouve sa langue natale :

Je pourrai m'abandonner au Rêve, et m'en aller.

Penthésilée
Vigie du Rêve
Chroniques

 
Sardoryanne

Le Dhiwara 6 Nohanur 1511 à 23h46

 
Sardoryanne sourit, pensive puis répond.

Harko ?
Un nom de légende et de peur.
Juste un nom.

Oui, cet être que les Tchaës nomment Harko était avec nous. Mais il n'était plus un tchaë, s'il le fut un jour.
Et nos peuples étaient liés à lui. Allaient le suivre dans sa chute si nous ne faisions rien.
Nous l'avons tué pour les sauver.
Définitivement envoyé dans le néant.

Et ce fut sans doute notre plus grande erreur...

Elle se retourne, sans un mot de plus ni même un regard, et s'éloigne doucement.
L'entretien est visiblement terminé, même si les feuilles dans les arbres chuchotent leur tristesse à l'oreille de Penthésilée...


 
Penthésilée

Le Luang 7 Nohanur 1511 à 14h22

 
Les mystères s'épaississent... et les dernières paroles de la Shaïm résonnent longtemps dans l'esprit de la Vigie, tandis qu'elle sort lentement de l'enceinte palatale. La légende fraternelle, si elle s'avère fondée, n'a pourtant plus lieu d'être : Harko, quoi qu'il fut, n'est plus depuis longtemps. Pour peu qu'il ait jamais ressemblé à ce qu'en disent les contes, qui pourrait pleurer sa disparition ? Ce point, et bien d'autres, alimenteront les discussions que la nelda entend avoir avec ses futurs compagnons de voyage : car désormais, elle se dirige vers les portes ouest de la ville, bien décidée à rejoindre Lerth au plus tôt.

Lerth, la cité-phare des témoins du S'sarkh, est la seule ville poussiéreuse que Penthésilée n'a pas visitée. Lerth est excentrée et pour l'heure, s'est tenue à l'écart des grandes affaires dont le Haut-Rêve a eu à s'occuper ces dernières années. Nul membre de l'Ordre n'y a disparu, nul ennemi ne s'y est réfugié, le Tark'Nal ne l'a pas assiégée... La ville apparaît des plus paisible, pour ne pas dire plan-plan, à une Favorite de Toh parfois en mal d'action !

Mais les temps changent et cette fois, il semble bien que la presqu'île soit le siège d'une prochaine aventure. La Haut-Rêvante est conviée à un voyage maritime aussi inquiétant qu'intriguant, un voyage qui n'est pas sans rappeler celui du naufragé du Songe, parti de l'Opale il y a bien longtemps. Cette fois, cependant, la Quête n'est pas concernée. Pour autant, l'expédition ne manque pas de piquant...

Penthésilée hésite : elle doit prévenir les siens de son absence prochaine et de même, instruire ceux qui l'attendent de sa venue programmée. Ce qu'elle sait de son entretien avec Sardoryanne... attendra d'être dit : le vrai dialogue, qui engage tant la voix que le corps, vaut mieux que la pensée désincarnée de la symbiose. Certaines choses méritent d'être transmises sans filtre.

Son sac préparé en un tour de main, la veilleuse passe sous les portes de la Sainte, s’octroie un dernier regard ému en direction des faubourgs, puis s'engage dans l'Hatoshal.


Penthésilée
Vigie du Rêve
Chroniques

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