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Une voix fluette en enjouée, quoique légèrement mélancolique, sifflait un vieil air sur les quais du Lac. Une jeune fille blonde et échevelée avançait d'une démarche mal-assurée, bouteille à la main, dansant maladroitement au gré de son propre chant. La matinée gagnait du terrain et chassait la nuit comme une simple indésirable.

Déjà, quelques heures après son levé, Orphèle était saoul jusqu'aux os. Le regard torve, perdu, glissait sur l'eau. Sa bouteille de mauvais vin se vidait tranquillement, par quelques à-coups violents. Elle avait de quoi engloutir bien des litres malgré sa carcasse légère et harmonieuse. Soif inextinguible qu'elle réveillait toujours davantage en ingurgitant l'impossible.

Et elle sifflotait entre ces dents, s'égayait paisiblement. Le port s'agitait à son rythme, invitant à son chevet les pêcheurs et les marins, les dockers et les coursiers. La jeune fille ne semblait pas s'en soucier le moins du monde et continuait d'évoluer au milieu de cette agitation naissante.

Sa tête roulait d'un coté puis de l'autre, sur ses épaules. Elle marchait, s'arrêtait tout à coup et se parait d'un léger déhanché, avant de reprendre son chemin. Le sourire qui barait son visage, bien que lointain et effacé, signifiait clairement son bien-être présent.

L'alcool, il n'y avait que ça de vrai !
...Glouglouglou...
Aaaah....Bürp.

Elle acheva son errance au bord de l'eau, observant son reflet dans le miroir aqueux, allongée sur le quai, la tête par dessus le rebord. Elle se demandait bien qui était cette étrange bête.

***

*** Khamaat se baladait dans Utrynia, vérifiant que les accès à la ville étaient dégagés afin de permettre aux arrivants une mise en sécurité rapide derrière les remparts.
Alors qu'elle remontait vers le Marché, elle longeait le port et aperçut au loin une silhouette gisant au bord du quai.
Pensant à un patient en souffrance, elle s'approcha, sa main fouillant déjà dans ses poches pour s'assurer que son stock de potions était intact.
Une forte odeur d'alcool assaillit ses narines... non, apparemment, ce n'est pas une patiente...
Khamaat s'accroupit à côté de la tydale ***

*** À moitié endormie, nageant dans les brumes de l'ivresse, Orphèle semblait très éloignée du monde réel et de son cortège de sensations normales.

Elle avait débuté un rêve lointain, extrêmement silencieux, où l'eau était omniprésente. Elle évoluait dans le lac, comme une ondine égarée, parlant par bulles d'air et côtoyant des poissons à la mine patibulaire. C'était si calme et silencieux que le trouble provoquée par la présence de voix très nettes la réveilla subitement. Elle toussota, courbaturée par sa position très désagréable sur le sol pavé, la tête dans le vide, et chercha aussitôt à se relever en quêtant un air digne.

Vaine entreprise vouée à l'échec. Elle tituba et se rassit finalement, l'air hagard. Elle eut à peine le temps de lever les yeux vers Khamaat et Arkana qu'elle sentit un léger picotement magique lui courir le long de la colonne vertébrale.

La suite fut particulièrement désagréable et inesthétique. Prise au dépourvue par le sortilège, Orphèle se retourna et se mit à vomir tout son soûl dans le Lac des Mères, ne prêtant pas vraiment attention à la fumée noire qui s'échappait de son corps. On ne faisait pas mieux pour dégriser... ***

*** Son gémissement plaintif ressemblait à l'écho étouffé d'une peine profonde. Au-delà de la désagréable sensation que procurait le régurgitation, il y avait là un litre d'alcool qui se perdait dans la nature ! Quel gâchis, pensa-t-elle entre deux éclaircissements de l'esprit.

Après quelques secondes, la jeune fille se tourna vers ses interlocutrices en essuyant maladroitement le coin de sa bouche.
Elle leva les yeux vers les deux femmes et hoqueta, impressionnée et surprise. ***

*** Elle cligna des yeux plusieurs fois, dans le vide puis se passa la main dans les cheveux (qu'elle avait en grande quantité). Visiblement un peu perdue, déterminée à restée assise, elle observa les alentours et revint finalement sur Khamaat et Arkana.

Les options de fuite étaient peu nombreuses. ***

*** Elle dissimula très malhabilement sa bouteille de vin derrière son dos et arbora un sourire coincé. ***

*** Khamaat regarda Arkana étonnée et lui demanda à mi-voix : ***

*** Khamaat ne put s'empêcher d'admirer la virtuosité avec laquelle Arkana maniait la sphère d'évolution : elle allait se pencher pour aider Orphèle à se relever lorsque celle-ci se mit à vomir dans le lac.

Levant les yeux au ciel en soupirant, elle attendit qu'Orphèle ait fini son "oeuvre" et se tourna vers Arkana pour continuer la conversation ***

*** Khamaat ramena négligemment sa cape vers elle pour éviter les éclaboussures que pouvait faire Orphèle, tout en continuant à deviser sereinement avec Arkana. ***

*** Orphèle se releva précipitamment, comme remise sur pied par les dernières paroles d'Arkana plus que par son sort. La jeune fille basculait déjà du vert pâle au rouge pivoine. La Némésis avait fait mouche et l'Anja était du genre susceptible et caractérielle. ***

*** L'Astrologue s'emportait toujours un peu plus mais sans crier pour autant, à la fois réellement contrariée par les propos d'Arkana et littéralement passionnée par son sujet. ***

*** Dans un élan rageur, Orphèle porta le vin à sa bouche et l'acheva en une rapide et formidable goulée. Elle tituba deux secondes après et lança dans la mer la bouteille vidée. Elle essuya nonchalamment sa bouche avec le dos de sa main et jeta un regard noir - fort peu intimidant - aux deux femmes qui l'encadraient. ***

*** Ajouta-t-elle d'un ton d'adolescente revêche. Quoique méfiante. ***

*** Tandis qu'Orphèle se lançait dans sa tirade et que Kaliss assistait au spectacle et discutait avec Arkana, Khamaat restait silencieuse, sa main caressant son menton, elle regardait l'anja d'un air pensif.
Finalement, elle prit la parole : ***

*** Khamaat détourna la tête avec dédain d'Orphèle baignant dans l'eau du port, adressa un sourire et un hochement de tête en guise de salut à Kaliss et Arkana et s'éloigna vers la Ruche. ***

***

Orphèle n'avait pas très bien compris ce qui s'était passé mais cela s'était passé. Une grande femme rigide, froide autant que démente (ça ne se voyait pas au premier coup d'oeil mais ça se devinait aisément) l'avait soulevé brutalement avant de la balancer dans l'eau du port.

Le reste ne fut que confusion entre deux noyades. L'agitation et les éclaboussures, les passages brutaux de l'air à l'eau ne lui renvoyaient que des sons déformés et des silhouettes ombrageuses. Les reproches de Khamaat, les conseils de Kaliss ou les menaces d'Arkana; tout cela n'était que des voix lointaines. Rien de précis ne lui parvenait pour la simple et bonne raison qu'au-delà de la surprise et du chaos, elle ne savait pas nager....

Et comme la plupart des gens ne sachant pas nager (elle n'était pas seule dans ce cas, fort heureusement), l'affolement prenait rapidement le dessus sur tout le reste. Les seules étendues d'eau qu'elle fréquentait habituellement se cantonnait à des bassines et les lavoirs...Un Lac était autrement plus dangereux et inquiétant.

Dans sa peur grandissante et ses brassées maladroites, elle attrapa finalement (et avec soulagement) la corde jetée à sa rencontre. Tirée hors de l'eau par les soins de ses "tortionnaires", l'Anja échoua sur la jetée comme une pauvre chose.

Bleuie par le froid et l'angoisse de cette parenthèse aquatique, elle se recroquevilla sur elle-même en grelotant. Elle toussota quelques secondes en crachant ses poumons et se détourna des deux combattantes comme une infante vexée.

Orphèle n'avait visiblement pas appréciée l'expérience....

***

*** Révigorée et rassurée par les soins chaleureux de la Némésis, Orphèle émergea progressivement de son désarroi et de sa méfiance. Elle avait encore froid mais ne se sentait plus complètement seule.

Le sentiment d'humiliation et les traces encore vives de son expérience n'étaient pas parties avec la fatigue et les courbatures mais l'Anja était suffisamment intelligente pour les mettre de côté face à l'attention de la Voroshk. Il y avait, malgré la maladresses des menaces à peine voilées, une volonté réparatrice et une diplomatie appréciable.

La jeune fille tourna son regard vers Arkana et acquiesça silencieusement, arborant un sourire tranquille qui signifiait son accord.

Puis elle se leva, observa l'horizon et leva les yeux au ciel. L'aurore matinale laissait maintenant place aux heures claires de la journée. Elle prononça d'imperceptibles paroles et revint sur la Némésis. ***