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Le Julung 1 Otalir 1509 à 20h15
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| Assise sagement devant son pupitre, l'apprentie sorcière écoutait l'oratrice lui expliquer les intonations quand on parlait jurimancien. La langue obscure des rejetons n'avait pas grand succès aussi quand l'enseignante apprit qu'elle avait une élève, elle fut étonnée. Qui donc pouvait bien perdre son temps avec une langue que l'on ne pouvait parler qu'au péril de sa vie ? Qui plus est, une langue que seule une élite aisée pouvait se permettre de payer. Mais l'élève déposait sur le pupitre une bourse avec un peu moins d'un millier de morions à l'intérieur faisant écarquiller quelques yeux. Assidue, celle dont le visage était caché par une cagoule écoutait silencieusement les cours des jours durant. Arrivant tôt le matin, partant à la fermeture de la bibliothèque, elle ne disait pas un mot, communiquant qu'avec quelques gestes. Visiblement magicienne à en juger par la baguette arcanique qui dépassait d'une grande cape de très bonne facture, l'inconnue ne laissait rien paraitre aux yeux des bibliothécaires sinon qu'elle semblait se déplacer avec une rare agilité. Elle apprenait étonnement vite, bien plus rapidement que n'importe qui. L'étrange circlet sur le haut de sa tête y était probablement pour quelque chose. Alors qu'elle lisait à voix haute un texte en jurimancien, elle fut interrompue par un message télépathique. Enfin la Carias se décidait à lui répondre. Patience était mesure du temps après tout. Et elle n'avait pas perdu son temps, bien au contraire. L'encagoulée se leva et s'inclina devant son professeur en s'excusant.
Elle se dirigea vers l'escalier au fond de la bibliothèque et grimpa lentement les marches, comme si elle portait un lourd fardeau. Une fois à l'étage supérieur, vérifiant qu'il n'y avait personne, la tydale retira la cagoule de son visage. Matroshka continua à avancer en direction de la porte tout au fond de l'étroit couloir. Les marches grinçaient doucement sous le poids de l'apprentie magicienne. Devant la porte, elle s'immobilisa. La Voroshk réajusta sa chymériade, comme au premier jour, elle continuait à s'embraser, transformant la sorcière en torche tydale. Elle n'avait rien à perdre mais quelque part redoutait cette entrevue. Elle pouvait encore s'enfuir. Encore et toujours. Mais quelque chose la poussait, la poussait à frapper à cette porte. Trois coups, pas plus, pas moins. Elle attendit que son coeur arrête de battre la chamade et rentra dans le bureau. Elle referma la porte derrière elle, laissant ses mains s'attarder sur la poignée, comme si elle n'était pas encore sûre de ce qu'elle faisait. Elle fit face à la Carias de l'Art, regardant le mur devant elle. S'efforçant de garder un ton neutre, la sorcière prit la parole.
Vous vouliez me voir Carias ?
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Le Sukra 3 Otalir 1509 à 14h21
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| La sorcière serre les dents. La question de la Carias est un test. Elle veut savoir si elle peut garder son calme ou si elle va succomber à la tentation de tout faire pêter. Ses mains se crispent sur la chymériade, les flammes continuent à brûler la tydale. Sensation désagréable, frustration de ne pas laisser libre cours à ses sentiments refoulés par pur respect d'une étiquette dont elle n'a plus grand chose à foutre... La chaise est inconfortable, la sorcière cherche une position moins douloureuse mais n'en trouve aucune. Tant pis.
Pourquoi poser la question alors que vous connaissez la réponse.
Marquant une pause.
Satisfaite ?
Nouveau silence puis la sorcière reprend dans un murmure pour elle-même.
Foutaises...
Titre ? Position ? En voilà de beaux mots pour qualifier la déchéance et le lynchage. L'envie d'essuyer ce crachat de mépris avec un bain de sang me tentait à une époque. Voir comment une première-née ou une carias résiste à un éclair de mana aurait été intéressant...
La tension montait dans la voix de la sotte, elle avait du mal à se contenir, à réprimer la rage qui l'habite. Elle s'arrête et fait une pause. Elle reprend la parole plus calmement.
Mais je vaux mieux que ça, je ne leur ferai pas ce plaisir, je ne m'abaisserait pas à leur niveau.
La sorcière regarde ses pieds, cherchant quoi dire sans s'énerver. D'une main, elle tripote nerveusement un pan de sa chymériade.
Ce que je veux faire ?
Matroshka relève la tête vers le plafond, prenant soin d'éviter de croiser le regard de la Carias.
Ce que je veux faire...finit-elle par pousser dans un murmure.
Découvrir, comprendre, apprendre, explorer. En un seul mot : arpenter.
Ce que je veux faire...beaucoup de choses. Trop de choses. Je dois faire un choix.
Je n'ai pas oubliée. Le réseau de communication des sardoines. J'en ai toujours avec moi. J'arriverai à percer ses mystères. Je m'entraine dur pour ça.
Matroshka prit une profonde inspiration, elle prit la parole d'une voix plus sombre, presque désincarnée, gutturale. Elle s'exprimait dans la langue des rejetons.
Un jour, je ferai la lumière sur cette sombre affaire.
C'est ce que je ferai bientôt.
Ce que je veux faire...
La sorcière lève la main, paume vers le plafond et commence à incanter une formule de projectile magique. Une petite sphère de flammes se forme sur sa main avant de ne disparaître dans léger nuage de fumée.
Tellement d'autres choses. Les mégalithes de perversion, les liens entre artisanats et magie, créer un nouveau sort, venger ma cousine... Tellement d'autres choses.
La sorcière quitte le plafond des yeux pour revenir à fixer ses pieds.
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Le Luang 5 Otalir 1509 à 20h51
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| Aenola écoute et observe Matroshka avec un dépit de plus en plus profond. Constater à quel point celle-ci se fourvoie lui procure une tristesse manifeste.
Je pose la question parce que je suis loin de connaître la réponse, Matroshka.
Et celle-ci est tristement instructive...
Contrairement à ce que tu penses, il n'y a eu ni lynchage ni mépris de la part de notre Mère. Sinon elle aurait commencé par te rejeter de sa famille, puis à te bannir de nos cités et de notre faction, comme elle l'a fait pour Mélia.
Matroshka est-elle seulement toujours une Fileuse de vie dans l'âme ? Son discours et sa soif absurde de vengeance permettent sérieusement d'en douter... La Carias se garde cependant de poser la question.
Comme sa cousine Arkana, l'ancienne Mestre semble se complaire dans cette attitude de victime, dans ce sentiment d'échec contre productif, dans un rejet de leur faction et de ses valeurs... et face à cela, la Carias pourtant particulièrement empathique, se trouve quelque peu désemparée.
Elle ne peut se défaire du sentiment que quelle que soit la main tendue, la raison ne reviendra que lorsqu'elles l'auront décidé.
Mais c'est plus fort qu'elle, elle tente, d'une voix douce, d'amorcer le dialogue.
Tes paroles et ton attitude étaient irrationnelles, tu en as toi-même convenu. Agissant en sotte plus qu'en Erudite, Akaliara t'a donné ce qualificatif en conséquence.
Il ne tient qu'à toi de redevenir Mestre Erudite, Matroshka. Ou autre chose...
En attendant, te voilà désormais libertaire.
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Le Luang 5 Otalir 1509 à 21h48
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| La sorcière serre les poings, son visage se crispe. Le sang lui monte aux joues, son coeur s'emballe. Elle a la chair de poule. Le Matriarcat avait-il perdu tout sens des réalités et toute intelligence ? A moins que la sorcière ne s'embarque dans des chemins tortueux, loin de ce qu'elle était au départ. Sombrer plus en avant, bien malgré elle, dans la folie et la paranoïa. S'éloigner de plus en plus des valeurs qui étaient autrefois les siennes et embrasser ce qu'elle évitait autrefois.
Mensonges.
J'ai été bannie de l'érudition, c'est bien pire que d'être bannie des villes.
La sorcière tourne la tête sur le coté, contemple les planches du bureau.
Pour celles qui osent contester Akaliara, c'est soit la punition soit le bannissement. La seule qui a osée prendre ma défense était cette voleuse. Pour tout procès, pour toute explication, elle fut bannie manu militari.
Voilà les seules façons de discuter de la "Mère" ?
Et après, on ose dire que je ne suis pas diplomate ??
La sorcière avait la nausée. Elle se sentait mal. Sa tête martelait, comme si quelque chose voulait en sortir. Elle porta une main à son crâne de plus en plus chevelu, se frottant les tempes et la nuque. Pour la première fois depuis le début de la discussion, la sotte regarde la carias dans les yeux. Prête à pleurer, ses yeux sont emplis de colère.
Il ne tient qu'à moi de redevenir... Mestre Erudite ?
Laissez-moi deviner...si je courbe l'échine devant Akaliara, si j'accepte de faire l'impasse sur ma vendetta, si je décide de rentrer à nouveau dans le moule et de fermer gentiment ma bouche ?
Matroshka désespère de ne plus être en diapason avec sa cariatide. Elle se tient la tête entre les mains, ses doigts plongés dans sa chevelure. La tête baissée, elle continue, lasse.
Je comprends plus rien. Je deviens folle ou le Matriarcat à changé ?
Quel autre poste révérée Carias ? Eclairez ma lanterne. Quel autre poste voudrait bien d'une sotte désormais aux trois-quarts folle ? Et surtout, pour quel autre poste suis-je faite ? J'ai jamais rien su faire d'autre, je suis nulle en astrologie, j'ai aucune force, je déteste la ruche et je comprends rien à l'artisanat. Parcheminière, distilleuse, ensorceleuse, némésis...je le suis déjà, pourquoi me donner un titre vide de sens ?
Inévitablement, la sorcière s'effondra en larmes, les hoquets secouaient la silhouette enflammée. Elle se souvint de ce que disais les rêvants. Tout n'était que mensonge, que c'était une sorte de rêve éveillé. Pour elle, c'était un cauchemar. Elle espérait se réveiller et découvrir que rien n'était arrivé, que personne n'avait été tué et qu'elle pourrait faire les boutiques et avoir des ristournes parce qu'elle était Mestre Erudite. Ensuite, elle irait rendre chèvres les bibliothécaires en courant dans tous les sens à travers les couloirs de la Bibliothèque pour enfin disparaître sous un voile chimérique. Si seulement elle pouvait se réveiller.
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Le Julung 8 Otalir 1509 à 13h13
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| *** C'est une Shyama échevelée qui entra en trombe dans la bibliothèque. Visiblement agitée, elle ignora royalement bibliothécaires et lectrices acharnée, et grimpa chez la Carias. L'idée de demander poliment si elle était visible n'avait pas traversé son esprit en pleine crise.
Elle ouvrit la porte à la volée, et, surexcitée, se lança dans un monologue sans se préoccuper de la scène sous ses yeux. ***
Carias !
Le Nuage a vu ! Le Nuage sait ! Elle en a rêvé. Elle a la solution.Bientôt, elle en sera chargée par la Mère des Sang-Âmes elle-même pas encore. Investie de la Misson ! Mais bientôt. Elle le sait.
Car elle a la solution.
Les plutitrons ! Les plutitrons ! Ils sont là ! La Fin ! Le Déclin !
Elle l'a annoncé, mais les oreilles n'étaient pas ouvertes ! Elle l'a annoncée, la Fille de l'Artisan du Déclin, la tydale Ennemie. Elle les amènes derrière elle. En nuées ! La fin du Monde.
Mais l'art est la solution ! Parfaitement ! Elle était juste là. L'Art est Bleu ! Oui, Bleu !
C'est aux petites mains d'agir ! Pour nous sauver du Fléau.
Sauver les cerisiers ! Protéger les Protecteurs !
Oui, il veut les pervertir. Car il a peur de leur pouvoir ! Il a peur des Puissantes Amulettes !
Sauvons les cerisiers !
Ils sont là, tous proches, prêts à agir !
Les plutitrons, les plutitr...
*** La vue de Matroshka effondrée et en pleurs lui fit l'effet d'une claque, et elle s'arrêta net, hébétée.
***
Ah, ça.... La Sombre serait-elle vraiment folle, finalement ?
La Tornade de Feu qui pleut.... Est-ce seulement possible ? Le Tableau se serait-il retourné ?
Qui, quoi ? Pourquoi chercher à éteindre la flamme des plus passionnées ?
Qui, quoi ? Pourquoi transformer l'esprit acéré en sottise ?
Pourquoi se déchirer, s'éloigner ?
Encore un coup des plutitrons !
*** La Sang-Âme s'approcha doucement de la sorcière et prit doucement sa main. ***
Repars. Repars et n'aie pas peur, Tornade de Feu. La voie des des Longs-Cheveux n'est pas tienne. Elle est celle des faibles et des mous. -Heureux les souples car il seront étirés.-
Marcher sur les braises brûle les pieds ! Se consumer pour son Art, la Sombre sait ce que c'est.
*** L'œil fou, elle retournant vers la Carias d'un air accusateur : ***
Pourquoi tourmenter la Tornade de Feu ?
Pourquoi briser l'élan passionné ?
Le Nuage proteste. La Sombre s'interpose.
Shyama,
Sombre comme un Nuage
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Le Vayang 9 Otalir 1509 à 09h59
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| Matroshka ne semble pas pouvoir s'arrêter dans sa détresse, trop longtemps refoulée, explose maintenant en un flot intarissable de larmes. La sorcière craque, s'effondre, se laisse aller. Quelque chose arrive pourtant à la sortir de cette spirale de souffrance. Débarquant en trombe dans la pièce, Shyama commence derechef à s'embarquer dans des explications tordues. Matroshka ne comprend pas tout, trop occupée à reprendre ses esprits. Elle entend parler de cerisiers. Mais étrangement, pour une fois, elle parvient à saisir le sens de ce que la sang-âme dit. D'habitude si obscur, son discours devient limpide, comme si elle pouvait la comprendre. Et qui mieux qu'une folle pouvait comprendre une autre folle. Bientôt divaguerait-elle ainsi avec des mots saugrenus et des tournures de phrases sans queue ni tête ? Le constat n'était pas pour la rassurer.
Puis elle se mit à lui parler. Elle avait raison. Pourquoi fallait-il que ce soit une sang-âme qui ait le discours le plus sage, le plus pertinent, le plus intelligent. Qu'est-ce qu'elle en avait à foutre que le Matriarcat la comprenne ? Est-ce que Shyama s'en souciait ? Si tout le monde doit prendre Matroshka pour une folle, tant pis. Personne ne semblait pouvoir comprendre la mentalité de la sorcière. La vengeance et l'honneur ne trouvaient plus écho chez les Filles du Déclin. Qu'importe. Elle n'avait pas besoin de titres vides de sens, qu'on lui donnerait par pitié ou pour la calmer. Elle savait ce qu'elle valait. Elle pouvait se débrouiller sans le Matriarcat puisque le Matriarcat pouvait se débrouiller sans elle après tout. Elle avait les sardoines avec elle. Et lorsqu'elle aura besoin d'aide, ce qui arrivera bientôt, elle demandera aux personnes concernées. Sans l'avis de la hiérarchie, qu'elle dédaignait désormais, elle en ferait qu'à sa tête.
Radicalement, le regard de la sorcière changea. Les larmes séchèrent.
Se consumer pour son Art.
A cet instant, les flammes de sa chymériade crépitèrent, plus fortes, plus imposantes. La Voroshk se releva d'un bond. Elle reçu plusieurs messages. Un large sourire vint éclaircir son visage encore humide. Elle porta la main à ses oreilles, comme pour entendre un bruit lointain. La nouvelle d’un énorme monstre accompagné d’une bande de flavistes venait d’arriver.
Ecoutez au loin, entendez venir les embrouilles. L’ennemi est à nos portes.
La désormais libertaire se retourna vers la Carias.
Vous voulez de l’art, vous en aurez. Kenara.
Elle commença à quitter la pièce puis s’arrêta sur le pas de la porte. Elle fit volte-face et attrapa l’artisane pour la serrer dans ses bras avec sa force de moineau.
Tu avais raison Nuage. Comme toujours.
J’aurai besoin de tes amulettes pour faire peur aux plutitrons, je compte sur toi. Je pars protéger les cerisiers…
La sorcière murmura quelques mots puis commença à disparaître doucement, ses contours s’estompaient progressivement. La porte s’ouvrit puis se referma, Matroshka était partie.
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