*** Sorti de l'auberge, Tixu s'était dirigé à tâtons dans la ville. Dans la lumière mourante, il avait eu du mal à se retrouver au milieu des ruelles, des places et des bâtisses peintes. Il était d'une humeur massacrante, l'épisode de l'auberge ne lui avait guère plu. Ainsi, leur rôle était d'aller de ville en ville pour boire dans les tripots avec les poivrots de chaque faction ? Tixu ne s'en satisfaisait pas, et jugeait avec dégoût et mépris cette propension à se jeter dans l'alcool dès qu'on voulait donner à une rencontre un caractère particulier.
Non qu'il ne boive jamais... Encore que, très rarement, et uniquement pour se donner du courage à l'effort. Il avait ainsi toujours sur lui une fiole de liquide noirâtre, qu'il faisait préparer pour lui-même. C'était cher, mais il en retirait tous les bénéfices de l'alcool sur le guerrier, en limitant au maximum ses effets néfastes. Quand avait-il bu la dernière fois ? A sa sortie du portail de poussière, dans l'Equilibrium. Et encore la mort lui avait-elle particulièrement retourné l'esprit.
Il divaguait donc, allant au gré des rues, lorsqu'il finit par trouver ce qu'il cherchait. En plein milieu de ce qui semblait être le quartier commerçant, une ruelle sombre et calme lui donna le loisir de se reclure. Il se tassa dans un coin, défit les lanières qui attachaient son pantalon de toile.
Il les regarda. Le sang commença à couler sur ses jambes, à l'endroit où les lames de rasoir plantées dans les lanières de cuir s'étaient enfoncées dans la peau. Il n'y fit guère attention. Il resta ainsi, sur ses genoux, et enleva le haut de sa tunique. Il prit son arme qu'il avait laissée à côté de lui, pour la mettre derrière. Si quelqu'un venait, il pourrait toujours la dégainer rapidement ainsi. La double-lame claqua sur le sol, vibra quelques secondes, puis se tint silencieuse.
Tixu enroula autour de ses deux mains le cuir abîmé par les années, prenant soin de ne pas se couper les mains. Les mains étaient le seul organe auquel il tenait, avec les yeux. C'étaient les deux seuls indispensables pour être utile au combat, et servir la communauté des Témoins. Avec ses jambes, mais leur cuir était si tanné qu'il n'avait plus besoin d'y prendre garde depuis fort longtemps.
Il abattit les mais vers l'avant, laissant le cuir luisant des lames métalliques se dérouler devant lui. Une inspiration profonde. Il contracta ses muscles. Le coup partit. Un claquement de fouet, le sifflement de la lame, le bruit de la peau qui se déchire. Il répéta ce mouvement pendant un quart d'heure, presque en transe. Il tentait de se libérer de son esprit avant de chercher à atteindre la vérité du S'sarkh. Une fois de plus.
L'odeur du sang commençait à monter aux narines du Nelda. Les claquements des lames transperçaient le silence de la nuit. Tixu n'y prenait pas garde. Il continua, encore et encore. ***