*** Brièvement. Puis sa respiration se bloque.
Sa cellule a changé. L'enfant-nuit n'est point chez elle. Elle n'est pas davantage dans sa roulotte. Les murs sont de torchis, le sol est paillé. Sa couche est faite de jute posée sur une grande planche, imprudemment surélevée : un non-sens, pour la sibylle qui choit toujours, dans son sommeil, à même le sol. Le rêve se poursuit donc ? Pourtant, il est d'une acuité, d'une matérialité tenaces. Sadr est perdue, complètement...
Une porte de bois d'équerre la sépare d'un extérieur ensoleillé. La Pythie s'approche, ferme les yeux et la pousse. Sous l'avalanche trop claire, elle tressaille, courbe l'échine. Ses paupières, deux pellicules diaphanes, ne la protègent pas vraiment : elle pleure, gémit, pose les mains sur son visage.
Une voix masculine la distrait ***
Oh, pardon... voilà. Ca ira mieux.
*** Fraicheur. Pénombre. Plaisir...
Sadr ouvre les yeux. Il fait nuit. Quel est ce prodige ?
Un nain, un paysan, est présent. Il est vêtu comme tel. L'air très sérieux, debout au milieu d'un beau jardin, il s'appuie sur un râteau. En arrière-plan, découpé sur le ciel étoilé : le château.
Pour surligner l'impensable fresque, un loup, au loin, hurle sa solitude. ***
Sois sans crainte.
*** Dit le tchaë. ***
*** Sadr va parler. Elle n'a pas peur des monstres car pour elle, n'importe quelle créature est potentiellement mortelle. Bien énervé, même un chaton pourrait la terrasser.
Ses lèvres s'entrouvrent... sur un cri. Un cri d'oiseau. La Pythie recule, penche la tête en arrière : le semi-homme ne parlait point du loup, mais du ciel...
Les étoiles ne dansent pas.
Étonnamment, l'absurdité de la scène n'épouvante personne : ni le jardinier, ni l'astrologue ne défaillent. Pour Sadr, les deux phénomènes - le jour qui devient nuit, le ciel qui ne bouge plus - sont liés.
Elle dit ***
Tu altères le temps.
Il bondit, il s'arrête : pourquoi ?
*** Haussement d'épaule ***
Je ne suis pas qu'un jardinier. Je pratique bien des artisanats. Parfois, je suis un horloger. D'autres fois, un serrurier.
Cela dépend.
Le temps me permet d'ouvrir et de fermer des portes. Pour faire passer des corps, pour moissonner des âmes. Tu vois toutes ces plantes ? C'est ma récolte du jour. En effet...
*** Les yeux du nain se plissent de plaisir et lorsqu'il parle, son identité... se dédouble ! ***
J'ai un pote âgé.
*** L'enfant tressaille. Le mot d'esprit est soigneusement amené. Il n'a rien de gratuit. Mais la sybille ne peut l'apprécier. ***
Je ne te comprends pas, manüsh.
Qui es-tu ?
*** Mal dit.
Sous l'apparence d'un seul, ils sont deux ***
Qui êtes-vous ?
*** Le bonhomme lève une main prudente ***
Non, ne le demande pas. Si tu lis mon sang, tu seras broyée. Je carbure au millésime hors d'âge, fillette : une seule goutte t'anéantirait sur pied. Maintenant, je ne sais pas tout. Et donc, j'ai des questions. Par exemple : pourquoi es-tu venue ? Tu t'intéresses à ce château ?
*** Sadr observe l'édifice. On dirait qu'il tangue.
Elle s'entend répondre ***
Oui. Mais ce n'est pas un château.
Pas vraiment.
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