Bienvenue dans le forum de Zarlif
Le Rêve du marchand

De l'apprentissage du métier d'artiste.

Spectacle de rue.
Page [1]
Détails
Sujet lancé par Kvethan
Le 21-04-1509 à 21h44
2 messages postés
Dernier message
Posté par Kvethan,
Le 23-04-1509 à 18h12
Voir
 
Kvethan

Le Matal 21 Astawir 1509 à 21h44

 
Kvethan était arrivé à Zarlif au petit matin, il déambula dans les ruelles encore inanimées de la glorieuse et arriva bien vite à la taverne.Il ouvrit comme à l'accoutumée la porte avec fracas, ce qui lui valu une grogne du patron qui montait les marches de la réserve.

Non mais oh!Vous vous croyez où?C'est pas des manières de claquer les portes à c't'heure de la journée, j'ai des clients qui dorment enfin!

Le jeune tydale sourit et se rapprocha du bar en chêne massif, cette taverne ne bougeait pas, elle était toujours aussi cossue.Le patron débarqua enfin dans la salle commune en faisant rouler un fût de bière, il leva les yeux vers l'impudent claqueur de porte et en un instant sa mine renfrognée laissa la place à un énorme sourire.

-Oho!Le p'tit gar!Si je m'attendais!Ça fait un bout d'temps qu'on t'a pas vu dans le coin, alors ça roule?

-Impec Tancrède comme d'habitude, j'me la coule douce.

-T'as bien raison kielno, profites en.Tiens mais t'sais qu'à cette heure là tu vas croiser Fraylaf!

-Et oui je sais bien, je suis tombé du lit exprès pour ça, mais attention kielno, ne dit pas un mot de ça à sa bonne femme sinon elle va lui en faire une maladie.Elle ne nous a jamais vu d'un bon oeil, c'est d'ailleurs pour ça qu'il a dû quitter la troupe....

-Oui j'ai su ça, il a des responsabilités maintenant....Et toi alors, à quand la corde au coup?


L'artiste éclata de rire avant de reprendre la parole.

-Moi?Tu rigoles!Une femme c'est trop peu pour moi et puis j'préfère de loin papilloner, comme ça pas de soucis.

-T'y passeras comme les autres un jour kielno....Ah tiens on dirait qu'ton rendez vous arrive.


Fraylaf entra dans la taverne, les deux amis s'embrassèrent joyeusement avant de s'asseoir, ils parlèrent une bonne heure durant avant que le nelda ne parte prendre son poste à l'archontat de Zarlif.Son ami partit, le tydale se leva et se rapprocha du bar où Tancrède s'affairait à rendre les verres plus transparents que transparents.

-Tu mettras ça sur ma note Tancrède, est ce qu'il te reste deux chambres de libres, une pour moi et une pour une nouvelle recrue de la troupe?

-Ah?Tu comptes rester quelques jours, ça m'fait plaisir!J'vais te trouver ça.....


Le nelda fauve jeta un oeil à son registre.

-C'est bon, j'ai ta chambre habituelle et une qui donne sur la petite cour intérieure, comme ça la p'tite nouvelle n'aura pas trop d'bruit le matin.J'vous connais bien vous autres, jamais lever avant le Zenith de Minath.

-C'est parfait Tancrède comme d'hab', j'monte mes affaires et je file.Est ce que tu pourras dire à ma Soupir de me retrouver à la fontaine un peu plus haut dans la rue?Tu verras, tu la reconnaitras facilement, une jolie jeune nelda bardée de bijoux, elle s'appelle Laeliana.

-Pas d'problème, la comission s'ra faite, c'est pas tous les jours qu'on r'çoit des clients qui consomment autant qu'vous autres!


Sur ce, il grimpa les escaliers quatre à quatre, déposa ses affaires dans sa chambre et alla faire quelques courses avant de se rendre à la fontaine en milieu de matinée.En attendant la nelda, il commença à faire courir ses doigts sur sa sitar.

La séduction est un art, laissez cela aux professionnels

 
Kvethan

Le Julung 23 Astawir 1509 à 18h12

 
Quelques badauds s'arrêtèrent, appréciant la musique du jeune tydale en ce milieu de matinée ensoleillé.L'artiste continua à jouer, sa soupir avait apparement fait la marmotte, qu'importait, après tout les dames étaient libres de se faire désirées!En outre ça allait lui donner l'occasion de se dégourdir les doigts ainsi que la voix.Son séjour dans les geôles du palais des murmures n'avait duré que quelques heures à peine mais il avait l'impression d'y avoir passé une éternité.

Lorsqu'il estima avoir un publique suffisant, il s'arrêta et monta sur le rebord de la fontaine.Il jaugea le nombre de têtes, une dizaine à vue de nez, parfait!Puis il déclama d'une voix forte et claire.


Kielnos et kielnas, avec ou sans poils, petits et grands, je vais maintenant vous conter une magnifique histoire donnée aux habitants de Zarlif par l'onyr Penthésilée de Korsyne.Une ravissante donzelle, avec des courbes à en faire pleurer le p'ken'n'S'ssarkh lui même et j....euh...je m'égare là les cocos!Place au conte!

Il se saisit de sa Keirnine chimèrique et laissa ses mains caresser tendrement ses cordes tout en récitant le conte, adaptant le son de sa voix, la faisant tantôt gonflé d'espoir, tantôt sombre.Regardant tour à tour les membres de son publique dans les yeux pour les garder attentif, ajoutant quelques mimics et geste pour rendre le conte plus vivant, plus présent.

Un jour, sur le chemin menant de Korsyne à Farnya, un jeune et vaillant camelot nelda entreprit de traverser en droite ligne le vaste désert de Laommain.
Il était membre de l'Ordre des Hauts-Rêvants et se nommait Sénéchal.

Sa foi le portait tout naturellement vers Grior, le divin principe de la Durée, allégorie du temps qui passe et permet la transformation – pour le meilleur et pour le pire – de toute chose. Grior, celui par qui tout est donné, par qui tout est repris. Grior, celui qui permet aux rêves... ou aux cauchemars, de se réaliser.

Notre brave camelot, donc, s'engagea dans le désert.
Et s'y perdit.

A court de vivres, épuisé par une longue marche éreintante, il dérivait en trainant des pieds dans le sable. Les deux soleils lui mordaient cruellement le cuir et, sous leur joug brûlant, le malheureux voyait son espoir s'amenuiser en même temps que ses chances de salut. Il maudissait son choix, arguant de son audace imbécile et suicidaire, cause de son présent malheur et de son prochain trépas. Il se maudissait lui-même et, tourmenté par la promesse d'une mort lente et cruelle, accusa finalement Grior : si son divin principe l'avait mieux protégé, il lui aurait inculqué la patience, et le jeune imprudent n'aurait pas choisi de raccourci indu.

Ses pas erratiques le menèrent dans un chott perdu, caché aux regards curieux par de hautes dunes aux crêtes dentelées. Là, sous ses yeux ébahis, se révéla la plus étrange et fantastique bâtisse qu'il lui fut donné de voir au cours de son existence :

Une tour. Une ziggourat, plutôt. Une cathédrale de verre, altière et magnifique, plantée dans le sable comme un point d'exclamation et taquinant les nuages de son faîte éthéré. Elle était d'une irréelle transparence, chatoyante et irisée. Elle se dressait telle une lance de diamant perforant le ciel, dans la lumière des soleils déclinants...
Qui avait pu bâtir une pareille structure ? Pourquoi n'était-elle point connue, répertoriée sur les cartes, visitée comme le plus somptueux des monuments syfarien ? Pourquoi n'était-elle pas l'objet de légendes, ou le lieu de grands pèlerinages ? Et comment tenait-elle debout, belle et linéaire jusqu'à l'absurde ?

Confronté au saisissant spectacle de l'impossible architecture, Sénéchal se frotta les yeux comme un moush'tin apeuré. L'édifice était certainement fait de verre, ou de cristal soufflé. Translucide, il laissait apparaître ses entrailles et le paysage d'arrière-plan, déformés par les reflets et les réfringences multiples de sa matière. Sa base devait mesurer plus de cent pieds de diamètre ; quant à sa hauteur, elle défiait le bon sens et même, l'imagination.

Le nelda en fit le tour. Une fois, deux fois... avant d'apercevoir – d'entrapercevoir – l'entrée. Elle était taillée en ogive, rehaussée de voussures aux décors insensés. Ses hauts-reliefs exposaient des scènes historiques complexes, difficiles à décrypter, comme intriquées : ici s'étalaient des batailles, là des cérémonies, des migrations... Le jeu complexe des lumières infiniment réfléchies annihilait toute tentative rationnelle d'interprétation.
Sénéchal, perdu dans la contemplation de l'indescriptible portail, en oublia sa soif, sa faim, sa fatigue et sa peur. Cessant de s'apitoyer et d'accabler Grior, il s'avança vers l'ouverture et pénétra dans l'incroyable tour.

L'intérieur, à la grande surprise du camelot, se révéla moins spectaculaire.
Mais plus inquiétant.

Moins spectaculaire, parce que la farandole de couleurs et d'arcs-en-ciel promise par la structure cristalline n'était pas au rendez-vous : le paysage extérieur apparaissait nettement, clairement, à peine altéré par quelques déformations à la limite du perceptible. Qu'il s'agisse de verre ou de cristal, la matière des murs s'avérait d'une transparence... asymétrique. La tour cachait ses entrailles à ceux qui n'osaient l'investir. Mais s'ils entraient, ils bénéficiaient d'une vue parfaite sur les environs.

Plus inquiétant, parce que Sénéchal découvrit au centre géométrique de l'édifice une sorte de gigantesque charnier.
Ou plus exactement, un ossuaire.

Des os. Des os de toutes tailles, intacts ou brisés, disposés en tas, pèle-mêle. Ils témoignaient à l'évidence de nombreux drames passés. Bien des gens étaient morts ici, de façon manifestement violente. Certes, le haut-rêvant n'était pas soigneur, et n'avait aucune compétence particulière en matière de médecine légale. Mais point n'était besoin d'avoir usé ses culottes à l'université pour reconnaitre un fémur brisé, un tibia fendu, un crâne perforé. Combien, ici, avaient tutoyé la grande faucheuse ? Un millier, plusieurs milliers d'individus ? Neldas, tydales, tchaes ? Nemens ?
Quelle folie avait orchestré leur génocide ?

Parmi les vestiges d'albâtre, quelques reliques refusaient obstinément de se dévoiler : cet os oblong aux plis perlés de petits trous, comme poinçonné par un douanier dément... quel genre de piéton l'avait perdu ? Et celui-là, ressemblant à un thorax surmonté d'un tripode... sous quels soleils était-il né ? En cherchant bien, le nelda repéra un nombre conséquent de crânes incontestablement neldas. Mais ils étaient noyés dans la masse, perdus parmi d'innombrables têtes blanches orphelines, sans parenté désignée.
Nulle fragrance, nulle odeur méphitique ne flottait dans l'air. Depuis des éons, le temps avait dissous les chairs de ces pauvres hères. Il n'en restaient que les os, pâles, crayeux et desséchés.

Interdit, Sénéchal puisa dans ses souvenirs, cherchant dans sa mémoire faillible quelque donnée cachée susceptible de l'éclairer. En vain. Tant la ziggourat de verre que le charnier fossile n'avaient de sens. Il aurait pu se croire dans un rêve, si... s'il avait su rêver. Mais voilà, il ne savait pas. Le monde du mensonge lui crachait une absurdité en plein visage, et le pauvre nelda ne pouvait même pas s'essuyer.

S'ébrouant mentalement, il s'intéressa au contexte : la folle cathédrale n'était pas qu'une extraordinaire fenêtre sur le monde extérieur, elle était aussi nantie d'un escalier monumental, spiralant sur son pourtour intérieur en une translucide élévation se perdant à son zénith. La tour de verre était une tour scalaire. Lorsqu'il en prit conscience, Sénéchal se perdit dans des abimes de réflexions : la bâtisse n'était-elle donc que cela ? Un poste de guet ? S'agissait-il d'un phare, plutôt, taquinant le ciel d'un pinceau lumineux ? L'ensemble était-il une sorte de plante, drainant la lumière du jour dans son étrange écorce, l'emportant vers les sommets, et redistribuant l'énergie ainsi collectée à des distances impossibles ?

Un escalier...

Prenant son courage à deux pattes, le haut-rêvant s'y risqua.

Un peu tremblant, un peu fiévreux, il attaqua une première marche, une seconde, une troisième...
A la quatrième, il s'arrêta net : un mouvement fugace, furtif, attira son attention. Quelqu'un se déplaçait à l'extérieur.
Plissant des yeux, la main en visière, Sénéchal espionna l'importun. Ce dernier lui était familier... et pour cause : c'était lui-même ! Le camelot, interdit, observait son double parfait venir vers lui depuis les dunes proches, comme s'il visionnait un enregistrement de ce qu'il avait fait quelques heures auparavant !
Aussitôt, le nelda fit un pas vers le bas, pour redescendre. Instantanément, son image antérieure entama une marche à rebours, repartant en arrière vers le désert insondable. Par les Quatre ! Quel étrange prodige présidait à cette incroyable illusion ?

Lorsque Sénéchal montait, les murs de verre lui donnaient l'image d'un temps à l'écoulement inversé. Les soleils de Syfaria roulaient soudain dans le mauvais sens, se précipitant vers le levant comme s'ils étaient pris de folie. Lorsqu'il descendait, les évènements extérieurs reprenaient leur cours naturel. S'élever, c'était aller vers le passé. Revenir vers le plancher et l'ossuaire, c'était retourner vers le présent...
Tout se passait comme si la matière translucide de la tour scalaire piégeait la lumière : à sa base, elle la laissait passer sans retard. Mais plus haut, elle la conservait, avant de la délivrer. D'abord un peu, puis plus longtemps. Le phénomène était d'autant plus marqué que l'on montait. Ainsi, s'élever par l'escalier spiralant, c'était observer un paysage extérieur issu d'un passé... de plus en plus lointain.
Lorsqu'il comprit cela, le haut-Rêvant en fut positivement bouleversé ! Les créateurs de cette invraisemblable Ziggourat disposaient d'une science fantastique ! Elle n'était pas une cathédrale, ni même une tour : elle était une machine à visionner l'histoire du monde, dans un sens ou dans l'autre, d'aujourd'hui à... ses origines ?
Jusqu'où, dans son ascension, Sénéchal pourrait-il remonter le temps ?
Comment le savoir ?

En montant.

Alors le nelda monta. Il attaqua les marches au petit trot, s'amusant de voir les les étoiles courir à rebours, la pluie tomber vers le haut, les cactées s'enfouir dans le sol, les dunes bouger, mourir et naître. Après quelques minutes, il vit passer des gens, à toute allure, en groupe et en paquets : une armée... une armée ? Il fit une pause et se figea pour l'observer :

C'était une troupe, en effet. De ses cours d'histoire, Sénéchal avait souvenance de cette expédition militaire, lorsqu'il s'était agi de pacifier les marges sud de Korsyne pour y bâtir un premier village. Le nelda jura : Par Toh ! Ces guerrières caparaçonnées et lourdement armées, comme sorties d'une vieille légende, avaient foulé le sable du désert quatre ou cinq siècles avant sa naissance ! A cette hauteur, l'indicible matière vitreuse qui composait la tour retenait la lumière en son sein... depuis l'aube des temps poussiéreux ! Quelques dizaines de mètres encore, et l'audacieux voyageur pourrait voir un monde antérieur à la venue des siens !

La troupe passa, en bon ordre. Sénéchal prit son temps, s'attardant sur chaque visage, ému à l'idée d'assister à quelque chose d'unique et de merveilleux. Toutes ces Sentinelles étaient jeunes... mais aujourd'hui, il n'en restait rien. Pas même de la poussière. Que le nelda redescende d'un ou deux pas, et elles mourraient, rattrapées par la morsure cruelle du temps qui passe...

Il se risqua à jeter un coup d'oeil en contrebas. Fichtre, qu'il était haut ! Le grand ossuaire du rez-de-chaussée n'était plus qu'une tache blanche, entourée d'une spirale abyssale. Pris de vertiges, le camelot s'adossa au mur et inspira profondément. Puis, par curiosité, il fit marche arrière et recula de quelques mètres : il désirait revoir l'armée, avant d'aller plus haut.

Elle repassa.
Mais elle avait changé...
Quelques personnages différaient. Leur chef n'était plus vêtue de vert, mais de pourpre. Les lancières n'étaient plus en tête, elles fermaient la marche. Et les archères semblaient moins nombreuses. Pour ce qu'en perçu le nelda, à bonne distance des plus proches guerrières, la troupe n'avait plus l'allant ni l'enthousiasme de sa précédente vision.

Brusquement dégrisé, Sénéchal senti comme des serres de glace lui fouailler les entrailles. Tenaillé par un mauvais pressentiment, il poursuivit vers le bas, bien décidé à mettre le doigt sur ce qui clochait.
Il fut vite fixé : L'histoire bifurquait !

En revenant vers le présent, le rêvant découvrit une version modifiée de la réalité antérieure. Il y avait plus de monstres, incontestablement. Les soleils étaient plus pâles. Des plantes nouvelles apparurent, dans une version accélérée d'un film qu'il n'avait pas vu en montant vers les cimes. Pas à pas, le haut-Rêvant descendait vers un présent qui n'était pas le sien. Il marchait droit vers une histoire altérée, mutilée et qui, plusieurs signes en attestaient, semblait nettement plus dure que la sienne...
A trois marches du sol, le nelda s'arrêta. Il se vit courir à l'extérieur, en direction de la tour. Une sorte de tigre à six pattes, pourvu d'une gueule énorme, le poursuivait. L'être immonde le faucha et l'égorgea sous ses yeux, avant de le dévorer tout cru.
Dans ce nouveau présent, Sénéchal n'existait pas.
Sortir, c'était mourir.
Il n'avait plus qu'à monter...

Effondré, le pauvre camelot repris son ascension. Si la machine infernale disposait d'une sortie, elle était à la cime. Il gravi l'escalier jusqu'à retrouver son armée, mais... plus tard. Et plus mal en point : Les guerrières souffraient, elles étaient blessées, leur troupe décimée. Le nelda les laissa à leur triste sort.
De temps en temps, il redescendait de quelques pas, ou dizaines de pas, pour voir...
A chaque fois, c'était le même constat : faire marche arrière, c'était s'engager vers une nouvelle version de l'histoire. Une version assombrie, obscurcie, toujours plus dure et plus cruelle. Une version qui l'incitait aussitôt à reprendre sa fuite en avant. En avant vers le passé.

Perclu de fatigue, il montait. Depuis combien de temps ? Mystère. Les êtres qu'il voyait parfois passer à l'extérieur, le temps d'un battement de cils, lui étaient inconnus. Des montagnes naissaient, poussaient comme des champignons, puis s'affaissaient. Ou le contraire. Des cours d'eau serpentaient fébrilement, avidement, comme des rigoles de pluie sur une vitre tordue. Le monde était laid. Il s'enlaidissait à chaque tentative de retour, comme si l'histoire connue de Sénéchal était la plus sympathique, la plus agréable, la plus acceptable qui soit. Comme si, dans un ensemble infini de destins monstrueux et abjects, elle était la moins pire.
Comme si son monde, au final, était... le meilleur des mondes.

Et ce monde n'était plus. Il l'avait perdu dans le dédale insondable d'un passé d'épouvante, qui s'échinait à ne pas vouloir se remettre sur les bons rails.

Deux jours durant, de son point de vue, le rêvant monta. Il ne sentait plus ses jambes, et le reste de son corps n'était que ruine. Le paysage extérieur n'avait plus aucun sens : ce n'étaient que tourbillons, étincelles, choses informes. Contemplait-il le berceau primordial ? S'il avait été suffisamment cultivé pour mettre un mot sur ses visions, sans doute les aurait-il baptisées : chaos.

Au troisième jour, il vit le sommet. Une journée supplémentaire lui fut nécessaire pour l'atteindre.
C'était une sorte de belvédère, un balcon étroit et circulaire qui courait le long du mur sur un tour complet. L'édifice se finissait en pointe, avec un toit de verre segmenté comme l'embase inversée d'un diamant. Sa flèche sommitale était d'une absolue noirceur, et l'origine des temps se cachait aux yeux fatigués du marchand, derrière un pudique paravent d'obscurité.

Dans un ultime accès de pathétique espoir, le nelda cessa d'avancer. Il esquissa, un instant, le geste de redescendre. Aussitôt, la noirceur du sommet lança des filaments d'ombre jusqu'à son niveau, striant les vitres et le chaos extérieur de veines arachnéennes et malsaines. L'horreur envahissait le monde, et promettait une histoire si laide que sa seule évocation tétanisa Sénéchal. Faire demi-tour, c'était souiller l'entièreté du temps. Il n'était pas question d'assister à ça.

Il n'aurait jamais du monter.
Il n'aurait jamais du venir.
Il n'aurait jamais du vivre.
Il n'aurait jamais du naître.

La solution lui vint comme un éclair dans la plus noire des nuits d'orage.

Le Haut-Rêvant confia son âme à Grior puis, enjambant le garde-fou, se précipita dans le vide.


Il laissa ses doigt courir lentement sur les cordes, ralentissant leurs course au fur et à mesure, laissant les esprit revenir du pays des songes avec douceur.

La séduction est un art, laissez cela aux professionnels

Page [1]
Vous pouvez juste lire ce sujet...