*** Dans une chambre baignée par la lueur faiblarde d'une seule bougie, Thufir, assis sur une chaise, le visage face à sa coiffeuse, pressait son entaille par le biais d'un drap propre et humide, gonflé par de nombreux glaçons.
Sur son lit, une petite boule grise sautillait nerveusement, exaltée plus que de mesure, en chantant "Nouvelle communication ! Nouvelle communication !" mais Thufir l'ignorait royalement.
Le face à face avec Carlos et ses hommes de mains avait tourné en sa faveur, mais une estafilade, une seule, avait suffis à blesser sérieusement l'assassin, qui s'évertuait désormais à panser cette blessure. Il savait que ses talents engendraient parfois ce genre de désagrément et il lui était difficile de ne pas les considérer avec philosophie, comme de nouvelles épreuves visant à améliorer ses techniques sommaires.
A bien y réfléchir, Thufir songea à la réputation grandissante de Œdipe, le personnage mystique qu'il avait construit pas à pas, et qui était désormais suffisamment connu des Terriers pour inspirer respect et méfiance. Mais Oedipe n'avait jamais combattu que des non symbiosés, à la résistance bien moindre, ce qui ne manquait pas de lui faire réaliser les progrès qu'il aurait à faire pour devenir cette arme terrible, au service de l'Equilibrium. Les individus marqués par la Symbiose seraient nettement plus difficile à terrasser... Et il ne ferait pas long feu face à leur résistance et leurs techniques de défense.
Pour autant, les sommes amassées par les nombreux contrats gagnés dans les bas-fonds de Zarlif, faisaient son plaisir car ils constituaient un entraînement indéniable et une source de revenus non négligeable. Oedipe pouvait s'en contenter, oui. Mais Thufir Dhuri le pouvait-il ?
Faisant fi de ces basses considération, Thufir continua d'appliquer l'onguent sur sa plaie, grimaçant de temps en temps, lorsque le produit semblait faire effet. Il était un puissant cicatrisant capable de refermer sa blessure sans risque d'infection particulière, un gage de rétablissement rapide et sans complication, mais qui pouvait laisser des séquelles éternelles. Ca aussi, Thufir le savait, mais encore une fois, sa curieuse profession était à ce prix.
Après une bonne heure passée à presser sa coupure, l'assassin fixa un épais pansement sur ses côtes, couvrant la blessure, avant d'enfiler une chemise de lin blanche. Avec une précision exquise, il acheva de s'habiller, s'arrêtant de temps à autre pour contenir la douleur.
Vint ensuite le moment d'effacer toutes les preuves et ce n'était pas là une mince affaire. Il jeta ses vêtements sales dans une bassine noire et y appliqua un puissant dégraissant, qu'il infusa dans de l'eau bouillante. L'opération durait pas plus de dix petites minutes et lorsqu'il retira ses vêtements de l'eau, ils avaient retrouvé leurs couleurs sombres et sobres, et perdu toute trace des combats de la veille. Il arrivait bien, parfois, que les tâches demeurent si ancrées dans les tissus que les vêtements étaient perdus définitivement. Thufir se contentait alors de les brûler, annihilant tout risque d'être découvert. Plus que son éventuelle maîtrise des armes et des arcanes, ce qui importait dans sa profession était de savoir maintenir sa couverture.
Il était Thufir Dhuri, simple diplomate. Oedipe, la nuit, une seconde identité qui ne devait jamais être révélé à quiconque... ***