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"Au S'sarkh Miséricordieux"

Rencontre au bout du monde.

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Sujet lancé par Antiorn
Le 04-07-1511 à 18h04
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Posté par Antiorn,
Le 27-02-1512 à 16h15
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Antiorn

Le Merakih 14 Dasawar 1511 à 19h58

 
Un frisson lui parcourt l'échine.
Il ne saurait se l'expliquer.
Le savoir devrait dissiper les peurs irrationnelles nées de l'ignorance.
Et pourtant... la mention de cette horloge inexistante exerce encore un certain degré de fascination.

On ne parle pas des ombres au grand jour, cela porte malheur.

Le nelda est tout sourire.
Son regard perçant, profond, sérieux, se pose sur celui de l'artiste.
Il y plonge.
Les pensées s'envolent en un exposé invisible et silencieux dont elle seule est la confidente.
Ils restent ainsi un court moment, leurs esprits entrelacés.
Un silence lourd de sens.

Enfin son corps se détend. Il tire sur son cigare.
Il a livré ce qu'il sait. Le reste n'est que suppositions.

Déviant le sujet, il enchaîne, nonchalamment

Que pensez-vous du mystère de Lerth et de l’Aghererh’ta S’Sarkh ?

Un test.
Un minuscule test.
Il espère qu'elle ne lui en voudra pas trop...


N'est impossible que ce à quoi on se défend de rêver...

 
Agliacci

Le Luang 19 Dasawar 1511 à 16h56

 
Oui, bien entendu, finit-elle par répondre, d’une voix quelque peu sceptique.

Elle n’insiste pourtant pas et sa pose n’est pas franchement celle d’une symbiosée en pleine conversation psychique. Elle s’agite sur sa chaise, change de position, pianote des doigts sur le rebord de la table.
Un petit rythme, un tempo amusant et futile, superficiel comme un ange…
Elle prend un peu de temps pour ramasser ses idées et se lance à l’abordage de l’interrogation d’Antiorn.

Permettez-moi de vous exposer, en guise d’introduction, mes premiers sentiments quant à la Scintillante.
J’ai de suite aimé cette ville, Messire. C’est ce que je crois, du moins ; à peine y ai-je glissé un entrechat que mon cœur battait déjà pour elle…vraiment, les Témoins et Lerth me fascinent ! Ce bout du monde, ce ridicule appendice terrestre, ces gens et ce silence qui les habitent et y règnent comme des mirages…l’âpreté de leur langue, l’étrange étrangeté de chacun de leurs visages…chaque chose ici m’est parfaitement inconnue. D’eux tous, je ne sais rien, Messire…


Elle écarte les mains, le visage transfiguré par la sincère affection que ses mots transportent. Ses paumes sont vides et cela la fait rire.


Le crâne aussi vierge que ce premier jour où je suis née, que je me sens. Je trouve cette sensation délicieuse : des retrouvailles avec la curiosité originelle…Je n’ai pas de calendrier à respecter quant à Arameth. Certes, je crains que le quartier du Luth ne parvienne à survive sans moi ; j’ai décommandé tant de représentations que je dois faire office de cancre aux yeux des Amhpithéâtreux ; et j’espère tous les jours qu’avih Hohen ne se soit point tué d’ennui ; mais je sens que je ne partirai pas de tantôt. Pas avant d’avoir pu poser votre propre question à ne serait-ce qu’un témoin de la symbiose – il est amusant de constater à quel point les étrangers symbiosés semblent être plus présent ici que ces nomades de Témoins ! -, pas avant de n’en avoir appris plus sur le Filihn, sur ce curieux Centre, et pourquoi toutes ces mutilations, et qu’est-ce sont « ces signes », en somme, de comprendre un peu mieux…
Pour la faire courte, Messire, je pense que le mystère de Lerth est bien mystérieux, quelque chose à creuser !


Elle sourit.


Mais si je peux comprendre que vous appliquiez du mystère à Lerth – toute cité poussiéreuse ayant sa face sombre, chaque faction son reflet déformé – il m’apparaît curieux que vous étendiez ce dernier jusqu’à « l’Adoration du S’Sarkh. » Je n’y vois là…eh bien, qu’une presqu’île ? Curieusement un des rares endroits d’où on est certain de voguer vers le S’sarkh – allez savoir pourquoi, si ce monde est circulaire, l’on préfère partir de Lerth plutôt que de Kryg, enfin, question d’idées je suppose… - et, oui, il y a ce pont, ce chemin de traverse détrempé et mystique, et certes, cet endroit appartient au chemin des pôles des Flux, mais qu’est-ce qui vous fait l’intégrer dans votre question ?


Comme si c'était la dernière fois. La première fois.

 
Antiorn

Le Merakih 21 Dasawar 1511 à 15h11

 
Antiorn remplit les verres tout en pointant l'index de sa main gauche vers le haut en guise de protestation dandy-esque.

La presque-île dont la Scintillante marque l'entrée n'est pas qu'un bout de terrain flottant entre mer et ciel, terre et abîme, je vous l'assure. Et ce paisible lopin mérite bien ce titre lourd de sens qu'est mystère.

Le confrère tend son verre vers la luthière et porte un toast silencieux avant de poursuivre.

Je vous enjoint à vous y dégourdir les jambes. Faîtes la ronde des tours des contemplateurs, visitez les mines d'or et de filihn. Allez-y sans souci, le pied léger, les yeux fermés si vous le voulez bien. C'est l'endroit le plus sécuritaire de Syfaria. Non parce qu'il est bien gardé ou protégé farouchement, mais parce qu'aucune créature corrompue ne s'y aventure.

Jamais.

La seule instance connue étant l'apparition de fleurs de fiel à Lerth alors qu'elles apparaissaient dans toutes les villes de Poussière, juste avant la course aux Obsessions. Une anomalie peu dangereuse qui a affecté chacune des factions.


Jovial, le directeur pose son verre sur la table et le fait tourbillonner le nectar quelques secondes, le regard plongé dans le mouvement des fluides.

J'ai connu jadis un membre du Limonaire qui désirait se pencher sur la chose. Malheureusement, comme nombre de symbiosés, il a disparu sans laisser de trace. Je ne suis même pas certain qu'il ait passé les portes de la ville. Mais s'il était arrivé à destination, Adrian Stase aurait probablement laissé quelque trace.


N'est impossible que ce à quoi on se défend de rêver...

 
Agliacci

Le Merakih 28 Dasawar 1511 à 21h42

 
Agliacci incline la tête de côté.

Eh bien, je repenserai à vous lorsque je serai peinarde au bord de mer de l’autre côté de l’île. Et ceci, sans une égratignure ! Cet îlot me plaît de plus en plus…
Pour ce qui est de votre ami, je crains qu’à moins d’avoir laissé quelques documents de recherche de son cru à la Bibliothèque, il sera difficile d’en savoir plus.

Mais il est clair que ce phénomène est intéressant…les Témoins sont spécialistes des effluves. J’imagine que certains de leurs propres membres ont déjà dû se poser cette même question et y travailler.


La tydale se tait un instant, avant de reprendre soudainement, bondissant du chiroptère au braxat :

Ah ! Au fait ! J’allais presque oublier !

Il paraîtrait que vous êtes l’un des meilleurs pianistes de la Perle.
Or il se trouve que le piano est un des quelques instruments que je ne maîtrise pas du tout.
J’imagine que ce revirement de conversation doit vous paraître étrange, mais ma foi, quitte à vous cribler de questions, autant vous en assommer sur place !

Alors, dites-moi…c’est quoi, votre secret ?


La tydale se saisit enfin de son verre et le finit cul-sec, visiblement plus très intéressée par la qualité du vin qui trône sur la table. A ce stade, son palais ne goûte plus vraiment la différence.


Comme si c'était la dernière fois. La première fois.

 
Antiorn

Le Vayang 30 Dasawar 1511 à 20h32

 
Le blanc nelda sourit et fait tourner son verre sur la table, du bout des doigts.
Quelque spasme l'anime.
Rire silencieux.

Le piano n'est pas réellement mon instrument de choix.

Même qu'il lui est plutôt réfractaire.

Mais, symbiose aidant, j'ai su m'y faire.

Sourire énygmatique.

C'est que même avant de servir le Luth, il avait ses entrées à l'Amphithéâtre et se plaisait à "dresser" son vieux piano à queue. Cela ne lui coûtait que quelques sorts de chimère par ci et quelques bouteilles par là. Discrétion et boisson. L'une pour passer inaperçu et l'autre pour se faire des alliés. Ce jeu était amusant et n'avait jamais comporté de réel risque. Le chambellan de l'époque était son vieux poteau masqué.

On a apprécié mes morceaux dans les Dédales pour la simple raison que j'ai marié les musiques chamarées des caravanes aux tons plus classiques des salles de spactacles. Peu l'avaient fait. Personne avec succès. Du moins, c'est mon humble avis.

Pour faire honneur à la dame, Antiorn termine lui aussi son verre d'un seul mouvement de coude et fait signe à l'aubergiste de remettre ça.

Mais techniquement, je ne suis pas le meilleur pianiste de la perle. Leticia Sevach a le doigté plus juste et plus rapide, bien qu'elle ne sache improviser. Elle possède une sensibilité qui empêche sa virtuosité d'être... sèche. Ariel Mazarin, lui, est le meilleur interprète de la Confrérie. Malheureusement, il se hasarde à composer. Et moi je joue simplement du piano comme j'ai appri à jouer du violon. Comme le vent des montagnes, le silence du Laomain, les vagues des côtes de Jypska. Je joue la route. Et la route n'est jamais deux fois la même. Elle est cahoteuse, imparfaite, imprévisible, magique. Elle se joue à l'oreille et à l'improviste. Il faut simplement arriver à se surprendre soi-même.

Léger silence, son regard se perd dans le flou alors qu'il se rappelle les spectacles en salle ou autour d'un feu de camp.

J'ai passé le plus clair de ma vie dans les caravanes. Ma musique en est issue. J'ai grandi avec un violon. J'ai appri à manier d'autres instruments, mais le violon est mon premier amour, et sera mon dernier. Et puis comment trimbaler un piano dans mes guêtres ?

La nouvelle bouteille fait son apparition, Antiorn fait le service.

Et vous ? Comment êtes-vous tombée dans le théâtre ?


N'est impossible que ce à quoi on se défend de rêver...

 
Agliacci

Le Dhiwara 15 Jangur 1512 à 18h08

 
Leticia Sevach?!

Le visage de la tydale pâlit sous l’effet de la vertueuse colère.

Que cette truie se décompose sur place ! Qu’elle serve de petit déjeuner au Furyan ! Qu’elle se noie dans les canaux ! Déjection de blatte, garce, vomissure de rejeton ! Ah ! La diablesse ! Elle ne mérite aucunement le titre que ces bonnes gens, tous plus stupides les uns que les autres, s’obstinent à lui accorder. Ce n’est qu’une sale mégère ! Elle a plus de volume dans son corset que sous son crâne, ça, c’est certain ! Normal qu’elle ne sache pas improviser : elle plagie toutes ses prétendues créations à Laureg Erwin ! Et c’est le moindre de ses défauts ! Elle se paye Antibus en douce ! ANTIBUS ! Normal après ça qu’elle ait accès à toutes les réceptions mondaines, la grosse ! Raaaah !....


Agliacci lève un poing qu’elle abat fermement sur le rebord de la table. Le monde des poussiéreux de Syfaria est au bord de la dissolution ? Pas de problèmes, rien qui ne change de d’habitude, faites-moi signe quand pour une fois on ne sera pas au bord de l’apocalypse. La moitié d’Arameth est détruite par le Tark’Nal ? Oui, et alors ? Il y a toujours des tavernes, non ? Mais que l’on dise que Leticia Sevach est bonne pianiste, et aussitôt Agliacci fait passer le moindre berseker Témoin pour un adorable bambin à la recherche d’amour dans le monde. Une série d’injures exotiques en tydale s’ensuit, la plupart comportant le mot « mère » dans différentes situations possibles, mais guère agréables pour la concernée, et évoquant des morts toutes plus délicieuses les unes que les autres. Jusqu’à ce que la donzelle récupère son calme et que ses joues se soient suffisamment empourprées pour compenser sa pâleur soudaine. La serveuse qui passe par là pour déposer la bouteille commandée par le Directeur du comptoir lui lance un regard en biais curieux, mais Agliacci lui renvoie un sourire rayonnant.

Une fois la serveuse partie, elle grince des dents :


Hmm. Je ne vois pas du tout ce que les mâles de ma race lui trouvent.

Mais pardonnez-moi pour cet exposé de mauvaise humeur, fait-elle avec le sourire. Il est juste tellement absurde de supposer que cette grosse va…tr…ga…que cette personne puisse être meilleure que vous. Enfin, oublions.

Elle fait un geste de la main comme pour chasser un insecte pénible, et reprend :

Ainsi donc, Messire est un premier violon, pianiste de fortune. Il est vrai que je ne m’en serais pas douté. Pourtant, j’ai remarqué une forte propension parmi nos symbiosés à préférer le violon…c’est mon propre instrument fétiche. Elle sourit. J’aimerai vous entendre jouer. Et Messire, convenons du fait que vous sortez de vos guêtres toutes sortes de choses qui n’ont aucune raison d’y être. Alors, pourquoi pas un piano ?

Oui, Agliacci risque de ressasser cette blague pendant un certain temps. Mais il paraît que les plus mauvaises de nos farces vont toujours à ceux que l’on considère les plus intelligents.


Tomber dans le théâtre est un faible mot. Je m'y suis jeté sauvagement, drapée de toute l'innocence du monde.

Me croiriez-vous si je vous disais qu’il fût un temps où je ne pipais pas un mot de rabaän ? J’ai tout appris du théâtre en découvrant les œuvres des auteurs de la Confrérie ; je vivais alors chez deux étranges oiseaux de l’Hatoshal.

Agliacci rit.

Ces deux-là étaient violemment épris l’un de l’autre comme je n’ai plus jamais vu quiconque s’aimer ainsi. Vous imaginez, vous ? Deux personnes qui s’aiment dans ce bas monde ? Un étrange spectacle dans lequel évoluer…à leur manière, ils m’avaient déjà condamné à finir dramaturge : confinée dans le rôle de spectatrice de leur amour parfait, je n’avais guère, comme liberté, que la possibilité de prendre la plume !

Ils me demandaient souvent de leur lire quelque chose. En traduction tydale, tout d’abord. Puis ils insistèrent pour que j’apprenne les récits dans leur langue originale. Soi disant que cela était plus beau. J’aimais la bibliothèque, mais les récits statiques m’ennuyaient. Alors je jouais à les mettre en scène. Ce fût l'intonation, d'abord. "Agliacci, tu seras gentille, mets-nous un peu plus de ton, on ne reconnaît vraiment pas la voix d'Harry, vraiment pas." Puis un peu de jeu ; les expressions faciales, pour commencer. J'ai mis très longtemps à bien les maîtriser : le public a de ces exigences, vous savez...tantôt il faut être naturelle, tantôt affectée, ou rigoureuse, en somme il ne sait pas très bien comment il préfère se faire tromper par l'illusion théâtrale. Le grand jeu, c'est de lui faire oublier jusqu'à ce détail...

Il y avait tous ces petits gestes que je me mettais à coeur de répéter et d'améliorer ; je me rappelle que pour jouer la princesse Aurélia, je passai les deux semaines précédant ma représentation vêtue comme une noble, une série de livres posés sur le crâne pour améliorer ce que j'appelai un "air altier..." Le soir-même, j'arrive, avance sur l'estrade, me lance dans mon monologue si longuement répété : et la salle éclate de rire ! Je m'interroge : ai-je fait une erreur dans ma partie ? Ma robe est-elle défaite, mes souliers démis, quelqu'un se joue-t-il de moi en coulisse ? Mais non : à force de porter ces satanés bouquins sur la tête, j'avais tout simplement aplati ma tignasse sur le haut du crâne, et celle-ci avait pris une vague forme carrée...

J'ai toujours commencé par la gestuelle plutôt que par l'émotionnel. Ce n'était qu'à force de mimiques que les personnages me devenaient lisibles et accessibles.

J’adorai ça.



Comme si c'était la dernière fois. La première fois.

 
Antiorn

Le Merakih 18 Jangur 1512 à 14h53

 
Le Blanc Nelda ne cache ni sa surprise ni son amusement face à la sortie spectaculaire de l'artiste sur le dos de la Sevach. Du feu, de la foudre. Un intense orage qui se dissipe aussi vite qu'il s'est déclaré. La Sevach n'a pas que des amis. On peut même dire qu'elle en a peu. Mais elle a les bons pour faire carrière. Antiorn, lui, ne s'en est jamais soucié. Il a roulé sa bosse et traîné ses oeillères. Il a été chanceux. Il a pu se payer le luxe de rester naïf... ou du moins de ne pas avoir à se soucier de ces considérations politiques dont les artistes se passeraient souvent.

Cela fait tout de même du bien d'admirer une membre du Luth s'emporter au nom de l'Art. Car il faut l'entretenir, l'Art, hurler son nom, remuer les établis, ruer dans les brancards, dépoussiérer le vieux et inventer demain. Se tailler une place et dire aux moches qu'ils sont moches. L'écrire sur tous les murs, même. Monter aux barricades, scander des slogans d'une école de pensée ou de l'autre. Virtuosité ou émotion ? Nouveauté ou tradition ? Réalisme ou Tragédie ? Forme ou Fond ? Et ne commencez pas avec l'Abstraction totale !

Tant qu'il y aura des gens pour crier au meurtre de la beauté, cette dernière renaîtra de ses cendres., lance-t-il en l'air, tout sourire, alors qu'il ressert encore une fois des verres.

Puis, le regard s'accrochant vaguement aux yeux verrons d'Agliacci...

J'ai connu deux tydales de ce type. Deux superbes specimens, frère et soeur. Des jumeaux qui ont trouvé le moyen d'être assez différents pour devenir complémentaires. Peut-être trop, même. Il y avait en eux des relents de tragédies intimes jamais formulées, cicatrices de leur fuite du Matriarcat, une touche d'innocence à moitié avariée, une tension secrète mal dissimulée et une virtuosité certaine. Un drame en plusieurs Actes incarné dans cette famille mal rapiécée et exilée. Trop jeunes pour être livrés à eux-même, ils le furent pourtant. Sans langue commune avec les énergumènes des faubourgs, ils avaient tout pour disparaître dans un canal sans laisser de trace. Mais ils étaient symbiosés. Et donc suivis. Ils furent accueillis en tant que réfugiés puis, confrères. Leur chaumière éclatait tous les soirs et le matin ils se séparaient pour vaquer chacun de leur côté. Oh, il y eut certes une période de transition, mais elle fut relativement courte. L'une se fit diplomate chantante, l'autre devint une ombre. Leurs drames émotifs s'intensifièrent jusqu'à la disparition de l'une et la folie de l'autre...

Pouvez-vous deviner de qui il s'agit ?
Peut-être les avez-vous connus...


Le Blanc Nelda se cale dans son fauteuil qui proteste de moult grincements.

Ceux qui croient créer de par leur propre volonté se bercent d'illusions. Nous sommes d'abord et avant tout des observateurs. Nous scrutons la nature poussiéreuse et la rendons telle que nous la percevons, désirons, interprétons (mal ou bien, souvent les deux).

Prenez moi par exemple. Je ne serais jamais devenu musicien si je n'avais été séduit par les silences de l'Amody auparavant. Et ces deux tydales au fond, je les ai peu connu, bien que lui un peu plus. Je les ai beaucoup imaginés.


N'est impossible que ce à quoi on se défend de rêver...

 
Agliacci

Le Vayang 17 Fambir 1512 à 15h13

 
La description de ces deux bizarres créatures la laisse muette. Antiorn a tissé son discours de telle sorte qu’il a à peine besoin de préciser à quel point il les a imaginé ; bercée par le confort de l’auberge, la vivacité de leurs conversations, le brouhaha ambiant et, il faut bien l’admettre, l’alcool qui sourde dans ses veines, mais surtout le bruit de la mer, la Luthière découvre avec une certaine surprise et un certain plaisir qu’elle n’a aucun mal à se figurer mentalement ces deux fantômes que lui racontent Antiorn. Ils pourraient être dans la même salle qu’elle n’en serait pas tellement surprise. Temporairement, la tydale cesse de s’agiter et un observateur attentif pourrait remarquer l’écarquillement de ses yeux et sa moue attentive. Elle est sincèrement enchantée par la petite histoire : celle-ci pourrait donner lieu à une pièce. Dans ce vieux théâtre délabré du quartier du Luth, peut-être…

Quoi que l’évocation semble sonner des cloches à l’orée de sa mémoire – comme si elle aurait dû les connaître -, Agliacci ne remet pas les personnages. La question de l’ivoirin nelda la prend donc de court, et elle ne peut pas s’empêcher de ressentir un sentiment de faute quant à son ignorance. Elle secoue la tête.


Je ne les connais ni de rêves, ni d’amants, Sire. Il y a tant de personnages que j’ai manqué, tant de spectacles à huis-clos qui ne rejoueront plus…Un jour, peut-être, je serai à votre place, occupée à enquérir un jeune confrère du fameux Croc-Blanc, le nelda le plus blanc de la Confrérie, plaisante-t-elle.
Le reste du discours d’Antiorn n’est pas non plus sans attirer son attention.


Oui, des observateurs…

C’est amusant, mais j’ai mis énormément de temps à me rendre compte que j’occupai cette place d’extrinsèque. Longtemps, j’ai cru à l’inspiration facile, ex-nihilo…à la désagrégation des règles, aux sursauts des désirs, à la confrontation directe avec la matière. Je croyais que l’Art – et plus précisément, ce que je faisais – était là, dans cet écart constant et effronté avec le monde. Comme un taon mettant au défi un lion, je ne sais pas. Quelque chose comme ça. C’est la symbiose, je crois, qui m’a sauvé ; serai-je restée plus longtemps à flâner parmi mon inconstance créatrice, je n’aurai probablement fait que suffoquer dans mes propres vanités. Il me semble qu’autrefois tout le monde voulait faire comme tout le monde, mais tout le monde maîtrisait son art à la perfection. Pour ma part je ne parvenais à quelque chose qu’en défaisant tout ce qu’on m’avait appris, en sapant toutes structures : je croyais que l’Art était quelque chose comme un style qui se possède, un nom qui se fait, une signature, c’était bête, c’était égoïste…
Je ne suis pas une grande artiste, j’en ai conscience à chaque jour qui passe. Mais je suis heureuse que la symbiose m’ait offert l’opportunité de former des scrupules quant à mes actes : quand on aime réellement, c’est un déshonneur de survivre à l’objet aimé. Si l’Art venait à trépasser, si les silences des déserts n’inspiraient plus les poètes, alors je crois bien que je mourrais à mon tour.

J’ai encore beaucoup à apprendre. J’apprends à observer, pour le moment. J’aurai souhaité comprendre cela plus tôt.


La Luthière se tait, surprise de s’être si soudainement ouverte et avec tant de sincérité. Ce n’est pas une habitude, chez elle : Agliacci est un as de la conversation, pas de la confession. Elle s’en sent un peu gênée et plonge le nez dans son verre.

Et…hmmm….nous parlions tout à l’heure des autres races natives ; puisque vous en avez rencontré quelques représentants, savez-vous s’ils ont leur propre Art ?...


Comme si c'était la dernière fois. La première fois.

 
Antiorn

Le Luang 20 Fambir 1512 à 15h37

 
Le soudain virage de la conversation le prend de court un instant, lui arrachant un sourire hébété qui dure à peine plus d'une seconde. Seconde suffisante pour que sa vis-à-vis puisse noter dans le faciès du blanc nelda toute la délectation qu'il éprouve à se faire surprendre.

Ma foi, je crois bien que oui... Tout ce qui se trémousse sous les astres et possède une âme doit bien créer. Et c'est ma conviction que ces incompréhensibles créatures ont bel et bien une âme. Là où ça se complique, c'est que cette âme nous est tellement étrangère qu'elle en devient incommunicable. Du moins, dans l'état présent des choses. Les Nemens, les Tisseurs de rêves, les Vortex. Voilà ceux avec qui la poussière a su le mieux communiquer jusqu'à aujourd'hui. Si vous avez la moindre idée d'à quel point il est difficile de discourir avec un Nemen, le Vortex et le Tisseur sont un cran au-dessus. Et les autres sont... disons simplement hors de portée. Mais le temps peut changer bien des choses...


Le directeur de comptoir saisit son verre mollement par le pied et fait tournoyer son contenu pour en libérer les arômes. Il hume, le porte à ses lèvres, savoure, sourit.

L'Art a ceci de beau qu'il n'est pas utilitaire.Il est car il naît d'un impératif de notre nature. Il est car les mots seuls sont imparfaits pour briser le silence qui pèse entre les êtres. Même eux doivent bien ressentir cela d'une façon ou d'une autre.


Courte pause. Il semble penser un instant.
Ou se souvenir...

Et si je vous disais que ce que les Nemens nomment la Trame est en fait Symphonie, Toile, Choeur, Danse et Verbe qui transcendent notre compréhension ? Toutes les Muses réunies à nous en faire éclater l'esprit ? Je n'y ai assisté moi-même, mais l'ai longtemps suspecté... et je connais quelqu'un... quelqu'être... ? Difficile à dire maintenant.

C'est le genre d'expérience qui vous transforme.


N'est impossible que ce à quoi on se défend de rêver...

 
Agliacci

Le Dhiwara 26 Fambir 1512 à 15h33

 
S’il est facile de se représenter les Nemens s’essayant au ballet, il devient beaucoup plus difficile d’accomplir le même exploit concernant, par exemple, les Tisseurs de Rêve. Simples projections anthropomorphiques, rien qui n’a lieu d’être. Evidemment, oui, toutes ces espèces doivent bien vivre quelque part, être un peu plus que de simples illustrations dans des livres ou silhouettes craintes dans le lointain…

Agliacci fait une mine momentanément dépitée. Même si ces créatures se livraient à des activités artistiques qu’elle ne pourrait qu’à peine commencer à imaginer, eh bien, justement : elle ne pourrait qu’à peine commencer à les imaginer.
La déclaration d’Antiorn lui fait néanmoins lever les oreilles. La Trame, un élixir de Muses concassées au régime de l’impensable ? Elle en vide aussitôt son verre !

En tant que pratiquante des arcanes et des arts, Agliacci a souvent, dans l’intimité moite de sa cervelle, faite l’analogie entre ces deux activités ; comme Antiorn le confesse, elle n’est pas un cas isolée et elle suppose que la plupart des Luthiers symbiosés suivent ce chemin.


Que lui est-il arrivé ?


Comme si c'était la dernière fois. La première fois.

 
Antiorn

Le Luang 27 Fambir 1512 à 16h15

 
Une question simple.
Presque naïve.
Cela mérite une réponse épurée.

Le blanc nelda vide son verre à son tour.

Il a joué du Luth.
Pas le simple instrument.
Le Second des Six.


Placide, Antiorn ressert des verres.


N'est impossible que ce à quoi on se défend de rêver...

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