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Les Sillons du S'sarkh

Le premier sang...

Six siècles auparavant
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Sujet lancé par Penthésilée
Le 19-11-1511 à 10h45
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Posté par Penthésilée,
Le 03-12-1511 à 19h29
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Penthésilée

Le Sukra 19 Nohanur 1511 à 10h45

 
Penthésilée, détendue en terrasse de l'échoppe, s'incline gracieusement sur son rocking-chair. Elle n'a rien commandé, préférant rester l'estomac vide quelques temps encore, pour récupérer de ses nausées récentes. La vue sur le port est superbe, même si la Haut-Rêvante n'identifie pas le navire de Batyas : il est peut-être caché par un bâtiment, par un jeu de voile, ou demeure en cale sèche...

La nelda attend Thosen Noril, un militaire fraternel qu'elle a déjà croisé dans le passé. Elle ne sait plus très bien où, en quelle circonstance, si ce n'est sans doute à Oriandre, cité martyre dont il était maire lorsqu'elle la visita. Lui aussi a perdu une ville, une ville placée sous sa responsabilité...

Désireuse d'employer les bons mots, soucieuse de bien distinguer ce qu'elle sait de ce qu'elle croit, la Vigie se remémore les paroles précises de Sardoryane. Elle n'en saisit pas la portée exacte, mais la devine considérable, pour les gens du Désordre.


Penthésilée
Vigie du Rêve
Chroniques

 
Thosen Noril

Le Dhiwara 20 Nohanur 1511 à 17h13

 
Intrigué, le jeune tchaë chemine vers l'auberge désignée par la Vigie.
Penthésilée n'est pas tout à fait une inconnue, depuis son premier passage à Oriandre jusqu'à la défense de Korsyne et d'Arameth, Thosen a pu côtoyer, adresser et recevoir des pensées ou encore combattre aux cotés de la nelda, mais de discussion privée dans un milieu apaisé, il ne trouve trace.
Quelques hypothèses ont fleuri avec le message de la guerrière, changement dans la politique d'ouverture de Jypska, proposition de coopération, ou à considérer uniquement la tournure de phrase, une découverte sur sa faction, mais aucune n'a emporté sa conviction et le tchaë se complait dans une tranquille attente.

La silhouette relâchée de la nelda, qu'il aperçoit enfoncée dans un fauteuil à bascule, dévoile son sourire, et c'est avec un visage avenant que sa minuscule stature de tchaë s'installe à son tour à la terrasse de l'échoppe.


Dame Penthésilée, ravi de vous voir ici à Lerth, vous souhaitiez me rencontrer ?

 
Penthésilée

Le Dhiwara 20 Nohanur 1511 à 19h52

 
La Haut-Rêvante découvre le frère militaire au dernier moment.

Non qu'il s'extraie d'une foule dense ni immense, mais sa taille modeste - c'est le moins que l'on puisse en dire, d'un point de vue nelda - le rend naturellement discret. Ceci étant, le personnage est plein de charisme et sa personne s'impose vite aux regards lorsqu'il se dévoile. Ce n'est qu'un des nombreux paradoxes de sa race, au-delà du cas particulier de Thosen Noril : les tchaës sont des savants passionnés d'arts manuels, et de petites et puissantes personnes. Quel dieu retord, forcément un peu retord, a donc présidé à leur naissance ?

Penthésilée se lève pour saluer l'arrivant.

Tiens, c'est nouveau, ce truc étrange qui lui pend au cou ?
Un masque de, euh... un masque acheté à la fête des fous ? Et le chapeau ?


Achille dit :
On s'en cogne... tu l'as pas invité pour causer chiffons !


C'est vrai.

Héjia, Arc'Rhon Noril ! Ravie de même, c'est toujours plaisant de rencontrer un frère qui s'exprime dans un nelda parfait.
A ce sujet, tant que j'y pense, passez mon salut affectueux à votre compatriote Aktarion, s'il est encore de ce monde. J'ai de temps en temps une pensée pour ce monsieur, dont je garde de lointains mais excellents souvenirs.


Tandis que le tchaë s'assied, la Vigie vérifie que nul autre n'écoute et baisse la voix :

Je souhaitais vous rencontrer, en effet, pour vous entretenir d'une très étrange affaire...

Elle pourrait s'avérer simplement intéressante, pour vos historiens et vos sages. Elle pourrait aussi peser davantage sur le présent que je le le pense. Je n'ai pas les qualités pour en juger, aussi, je vais vous exposer ce que je sais de façon... brute. Bien sûr, j'ai quelques idées, euh... à ce propos, si vous souhaitez les entendre.

Mais d'abord, voici les faits :

Il y a environs un mois, j'ai eu la chance et l'honneur de m'entretenir avec la maitresse spirituelle et temporelle incontestée de l'Equilibrium, la Shaïm Sardoryane.

La rencontrer n'est pas une mince affaire. Je ne dis point cela dans le but de me donner une importance artificielle, mais pour signifier à quel point sa parole, rare, est précieuse.
Nous avons abordé différents sujets dont je vous épargne les détails pour en venir à l'essentiel : Sardoryane m'a affirmé, et je n'ai aucune raison d'en douter, que celles et ceux que nous nommons "premiers sortis" dans nos cultures poussiéreuses n'étaient pas six, mais... huit.
Huit personnes, d'après la Shaïm, sont initialement sorties des piliers de poussières.
Vous et moi en connaissons au moins cinq : ils se nomment Firydor, Kryniosias, Sardoryane, Akaliara et Elchior.
J'ai un doute concernant votre, euh... Arc'Rhona Thanakis, car j'ai entendu vos pairs l'appeler respectueusement "Première-née". Mais bon, ça n'a peut-être aucun rapport ?

Bref : même en incluant votre maîtresse de Bulle, il en reste deux, deux dont mes livres d'histoire ne parlent pas.

Intriguée, j'ai cherché à en savoir plus. Je me suis souvenu de mes leçons, lorsque feu mon maître Neij me contait les plus curieuses des légendes étrangères, et j'ai soumis une hypothèse à la Shaïm. J'ai proposé que l'un des deux soit celui que vos historiens nomment... Harko.

La Shaïm a confirmé ! Elle m'a dit qu'un être nommé Harko, un être qui n'avait rien - ou qui n'avait plus rien - d'un tchaë, faisait bien partie des premiers-sortis. Elle m'a précisé que nos peuples - nos peuples - étaient liés à lui, et allaient le suivre...
Alors, les autres premiers-sortis l'ont tué, l'ont renvoyé dans le néant.


La Favorite de Toh baisse encore le ton, jusqu'au chuchotement :

Sardoryane m'a dit qu'en agissant ainsi, elle et ses pairs avaient commis... "leur plus grande erreur".

Puis elle se redresse, curieuse d'entendre ce qu'en pense le frère.

Penthésilée
Vigie du Rêve
Chroniques

 
Thosen Noril

Le Luang 28 Nohanur 1511 à 01h22

 
Excepté cette petite main qui pianote nerveusement sur la table, le tchaë a conservé sa mine enjouée et c’est du ton de la conversation chaleureuse qu’il répond à la nelda.

Tout d’abord, permettez-moi de vous féliciter pour votre connaissance approfondie des légendes de mon peuple, c’est une histoire particulièrement marquante et je comprends aisément qu’elle vous soit restée.

Le sourire se flétrit rapidement et les yeux attentifs de l’artilleur fouillent une seconde durant les alentours.

Je ne sais pas exactement ce que votre maître vous a enseigné, mais si ce qui entoure ce nom est vrai, vous me parlez là de l'un des êtres les plus dangereux qui marche sur notre monde.

Et l'hypothèse, que vous me confirmez à l'instant car je n'en savais rien, de son existence nous ouvre des milliers de perspectives, ne pensez vous pas ?

Comment interpréter les événements récents, ou pas forcément d’ailleurs, à l’aune de ce qui, selon les propres mots de Sardoryanne, est "leur plus grande erreur" ?
Et quelle est-elle d'ailleurs cette erreur, pourquoi tuer un être immortel sur ce monde aurait-il de funestes conséquences ?

Mieux encore, quels peuvent-être les buts que poursuit un être tel-que lui ?
Car après tout, si le mythe fondateur de l'arrivée des tchaë possède une bonne part de vérité, comment expliquer que l'horreur crépusculaire qui détruisit le monde de mes aïeuls ne se soit pas répétée ici ?
Nous avons bien, à priori, affaire à un être d’une folie malveillante absolue, à l'esprit aussi vaste que le temps et qui, après cette existence à l'inimaginable solitude, n'a rien trouvé de mieux que faire le vide autours de lui...
Comment expliquer donc qu’il ait pu vivre parmi nous sans agir visiblement ? Sans être repéré ?
Et pourquoi se cache-t-il d’ailleurs ? Et pourquoi nous l’a-t-on caché ?
Et son rôle, quel est-il dans la guerre qui oppose le P’khenS’sarkh au nemen ? Dans l’accélération délirante de son cours depuis une poignée d’années ?


Un léger sourire est réapparu. Une espèce d’excitation particulièrement mal placée au vue des révélations de la nelda, mais irrésistible.

Je ne fais que répéter les questions que vous avez déjà du ressasser Dame Penthésilée... Hélas je suis incapable d'y répondre pour ma part... mais il nous faut chercher leurs réponses car elles occupent visiblement davantage nos gouvernants que le P'khenS'sarkh ou le Tark’nal…

Peut-être mon Suzerain en possèdera-t-il quelques unes, et ses propos sont parfois moins sibyllins que ceux des autres Premiers Sortis.

Mmmmh... avez-vous d'autres informations à me communiquer à ce sujet ? Des remarques peut-être ? Ou une piste pour obtenir quelques renseignements ?


Le tchaë regarde un instant la nelda... hésite une seconde puis hoche rapidement la tête.

Ce n'est pas de l'enthousiasme Dame Penthésilée... c'est juste... un nouveau moyen de comprendre ce qui nous entoure...

La défense est faiblarde, il le sait bien.

 
Penthésilée

Le Luang 28 Nohanur 1511 à 15h21

 
Ah ah ah !

La nelda éclate brièvement d'un rire cristalin, comme elle le ferait devant Mraw'La découverte la patte dans un pot de confiture. Une brève et joyeuse hilarité qui n'enlève rien à la gravité de l'instant, mais l'allège, le temps d'un battement d'aile de papillon. Toute Favorite de Toh qu'elle soit, Penthésilée demeure une veilleuse potache qu'un rien amuse ; elle comprend bien l'émotion du tchaë et dans une moindre mesure, la partage. L'indifférence, voilà ce qui l'aurait choquée. La Haut-Rêvante n'aime pas les gens blasés ! Elle poursuit la conversation, à voix basse :

Ah, ahem... pardonnez-moi...
L'enthousiasme n'est pas forcément de mise, c'est vrai. Mais bon... il est permis d'être excité !

Vous me félicitez à tort, Arc'Rhon. Ce que je sais, je le dois entièrement à mon mentor Neij.
Vous savez que dans l'Ordre, l'essentiel du savoir se transmet oralement. L'histoire ancienne y tient une grande place. Mais la parole étant facilement sujette à la dérive, le temps passant, nos sages privilégient souvent les contes, les fables et les légendes aux évènements, parce que la morale - au sens large - d'un récit nous importe davantage que les faits eux-mêmes. Ce que nous apprenons ne vaut pas grand-chose, par rapport à ce que nous comprenons. Or, si les histoires sont volages, leurs morales sont solides. Elles perdurent à travers les siècles.

Forts de cette philosophie, qui nous protège des fragilités de la tradition orale, nous doutons beaucoup de nos sens et nous privilégions nos pensées. Notre spiritualité s'accorde avec cette analyse, au point que nous nommons Syfaria "le monde du mensonge"... en cela, la cohérence de l'Ordre est belle.

Bref. Je vous raconte cela pour que vous mesuriez à quel point je fus surprise : et par mon audace, et par la réponse de Sardoryane. Lorsque j'ai nommé... qui vous savez, je l'ai fait sans y croire. Car la légende fondatrice de votre peuple m'a toujours été enseignée comme une légende, précisément. Pour mon Précepteur, Harko n'était pas un personnage historique bien réel ou plutôt, peu importe qu'il le fut ou pas : il était avant tout une idée.

Voilà comment cette idée me fut présentée :

L'idée en question est une graine, une graine dont toute la faction du Désordre est née. Sans cette idée, pas d'âge d'or, pas de passé, pas de fuite éperdue, pas de monde-prison, pas de volonté aujourd'hui, pas d'espoir pour demain.
Pour mon maître, Harko est l'aiguillon qui vous pousse de l'avant.

Evidemment, ainsi considérée, l'idée en question est salutaire. Cependant, elle possède sa face sombre : la folie. Une folie laide, destructrice, mortelle. Il me fut enseigné que ce volet de l'histoire était mal, très mal connu, mais qu'il recelait certainement une menace terrifiante. Quelle forme pourrait-elle prendre ? L'Ordre, bien entendu, n'en sait strictement rien.

Cette vision des choses, qui privilégie la morale de l'histoire à son déroulement, est typique de notre façon de penser. Arc'Rhon Neij m'a présenté une lecture différente des autres factions, bien sûr ; mais cette lecture obéissait à la même approche : ce qui s'est passé vaut moins que ce qui est perçu. L'idée qu'une faction a de son passé est bien plus importante que son passé réel. On en revient toujours aux fondamentaux de notre pensée : la réalité n'est pas la vérité.

Alors, imaginez ma surprise ! Lorsque j'ai lancé le nom "Harko" à Sardoryane... je ne pensais pas lever un tel poisson ! A l'égal d'un des quatre grands Principes que j'admire, voici qu'une simple idée s'est incarnée ! Harko, le repoussoir imaginaire des Frères du Désordre, est soudain devenu une personne. Je ne m'attendais pas à cela...


Après une petite pause réflexive :

La personne en question, selon la Shaïm, n'est plus. Mais la question qui se pose forcément, pour la veilleuse que je suis, est...
Qu'en est-il de son idée ?

Alors, je vous livre de but en blanc ce que je crois avoir compris de "l'erreur" dont parle Sardoryane.
C'est une hypothèse absolument gratuite, évidemment :

En tuant Harko, le personnage, les Premiers-Sortis ont immortalisé l'idée qu'il incarne.

S'il y a du vrai dans la menace affreuse qu'elle véhicule, alors, en effet, l'erreur est historique : par ce meurtre, aussi justifié fut-il, nos six fondateurs l'ont inscrite dans le marbre...


Ecartant les mains en signe précautionneux, la Vigie s'excuse d'un murmure affolé :

Ce n'est qu'une hypothèse, hein ! Pas de panique !
Mais bon
...
De la à y voir l'acte fondateur de l'idée de Rédemption...

Achille dit :
(ricanement diabolique)
Il n'y a qu'un pas, bwahaha !


Penthésilée
Vigie du Rêve
Chroniques

 
Thosen Noril

Le Vayang 2 Dasawar 1511 à 01h08

 
Mmmmh...

Apercevoir le petit tchaë profondément plongé dans ses pensées n'a rien d'exceptionnel, mais quelque chose sonne faux dans cette barre qui se forme sur son front, dans ces yeux qui se perdent dans le vague...

La vérité c'est que Thosen Noril n'a pas compris un traître mots de l'exposé de la nelda.
Il n'est certes pas tout à fait dénué d'empathie ou d'intelligence mais les propos de la Vigie du Rêve sont pour lui d'une nature incroyablement brumeuse.
Ce n'est pas par manque de crédit ou d'intérêt pour son interlocutrice d'ailleurs, seulement, Harko une idée qui se retrouverait figé dans le marbre par son assassinat, c'est bien trop Haut-Rêvant pour qu'un soldat tchaë de la Fraternité s'y retrouve.

N'osant trop marcher sur les traces de l'archère et risquer un faux-pas particulièrement décrédibilisant, un peu mortifié devant l'enthousiasme d'un mou qui semble avoir tout capté, lui, le diplomate fait ce qu'il sait mieux faire dans ces moments là: bifurquer.


Une hypothèse particulièrement intéressante Dame Penthésilée.
Ce qui était certainement vrai, mais qu'il était bien incapable de comprendre formulée ainsi.

Néanmoins je souhaiterais revenir sur deux points.
Vous m'avez dit qu'Harko avait été assassiné... et semblait indiquer qu'avec sa mort il ne s'incarnerait désormais plus que par l'idée qu'il véhiculait jusque là...


Il s'était déjà beaucoup trop avancé là... deux mots de plus et il allait révéler qu'il ne comprenait que couic à tout la savante construction de la nelda.


Hors...
- Je vais vous paraître un peu crétin...
- C'est peut-être stupide mais...
- Sans mentir si votre ram...


La Shaïm vous l'a présenté comme un premier sorti. Et ce qui caractérise le plus communément les premiers sorti c'est certes d'être sorti du pilier à notre arrivée sur ce monde bien sur, mais surtout d'être resté immortel jusque là...
Un premier sorti qui serait effectivement et définitivement mort n'en serait pas tout à fait un n'est ce pas ? Du moins, il ne ferait pas parti des huit révélés par Sardoryanne je pense.


Le sourire du tchaë est un mélange magnifique de fierté craintive et d'incertitude assumée.


Du moins c'est l'idée que l'on se fait communément d'un premier sorti, peut-être y a-t-il quelque chose d'autre qui les définit... avec l'immortalité comme conséquence ? Vous a-t-elle bien dit que cette personne n'était plus ou tirez vous cette conclusion de l'acte d'assassiner ?

Le deuxième point concerne la nature d'Harko, l'histoire que l'on vous a conté semblait servir à illustrer un propos, exposer une situation afin de vous aider à comprendre mon peuple. Dans les mythes tchaë, cette légende sert cependant un autre usage, elle est une trace ténue de notre histoire mais surtout un formidable avertissement adressé à notre présent, une chape où il n'y a guère d'espoir à trouver...


Vous commandez M'sieur Dame ?
Interrompu dans son début d'envolée par un jeune nelda efflanqué, Thosen pousse un léger soupir, laisse le temps à la Vigie de parler avant de commander un vin chaud à la cannelle. Pour la voix.

Donc Harko...
Harko est une légende de notre peuple, c'est même la légende fondatrice de la Fraternité du Désordre puisque elle explique notre venue sur ce monde.

C'est une histoire bien étrange en vérité, et bien que les tchaës aient conservé quelques traces et souvenirs d'avant leur arrivée sur Syfaria, il vous faut garder à l'esprit Dame Penthésilée que les mythes qui les entourent, les intérêts particuliers ou communs et le passage du temps ont du considérablement embrumer leur transmissions jusqu'à aujourd'hui.

Avant notre exil sur cette terre donc, la race tchaë possédait un monde qui lui était propre et qu'elle ne partageait avec aucune espèce intelligente.
Une société extrêmement puissante, ingénieuse et prolifique, organisée en clan familiaux et qui s'enfonçait inlassablement dans le sol afin d'y extraire quelques ressources magiques.
Vous connaissez les avancées technologiques qui nous sont propres ici, mais imaginez un instant un monde où les tchaë sont l'ossature et non la poussière, multipliez notre nombre bien au delà de la seule cité qui nous reste, ne nous laissez que nos propres démons à affronter, et vous pouvez déjà percevoir les merveilles que nous accomplissions alors.
Ne nous laissez qu’à nos propres démons et vous pouvez déjà sentir l’horreur qui englouti notre monde.

C’est la curiosité qui nous anime, c’est elle qui nous souffle.

Le Carrousel fut notre plus grande découverte.
Je m’attarde sur le mot découverte puisque nous l’avions trouvé et non fabriqué.
Ses créateurs nous étaient inconnus, mais son architecture si différente de nos propres réalisations, ses pictogrammes incompréhensibles, son atmosphère même, intemporelle et menaçante, poussèrent nos historiens et scientifiques d’alors à se perdre en conjonctures, pour certaines particulièrement extravagantes.

Le Carrousel donc.

C’était un fabuleux complexe souterrain en forme de spirale, l'aspect extérieur, un gigantesque palais perdu dans une grotte peuplée de squelettes d'animaux géants, ne donnait que sur un seul large et immense couloir s’enroulant sur lui-même et parcouru de centaines de portes mordorées et enfoncées dans ses parois. Un tunnel de pierre dans laquelle l’oppression et la peur gonflaient à mesure qu’on s’y enfonçait et qui débouchait enfin sur une unique porte, à l’aspect semblables aux autres mais duquel semblait émaner l'aura sombre et terrifiante qui habitait le lieu. Le coeur du complexe battait à un rythme si menaçant que nul ne pouvait s'en approcher.

Toutes ces portes servaient un but précis, elles étaient autant d’ouvertures vers d’autres mondes.
Chacune d’entre elles permettait de se déplacer au-delà des étoiles vers des horizons si lointains que nos esprits ne peuvent les concevoir.
Toutes ces portes servaient aussi un but bien moins clair, mais l’ivresse des premiers temps nous aveugla.

Pendant des dizaines d’années le peuple tchaë se lança à corps perdu dans l’exploration de ces nouvelles réalités, des expéditions formidables furent lancées, des colonies établies sur ces rivages trop reculés pour l’imagination, ma race s’engagea dans les étoiles avec l’enthousiasme du maître de son destin.
Elle en tira dans un premier temps richesses et abondance, chacune de ces planètes possédait des trésors qu’il ne suffisait que d’identifier et récolter, un véritable âge d'or pour ce peuple de mineur.

Certains s’alarmaient déjà peut-être de ne rencontrer parfois que de très jeunes espèces autochtones capable de communiquer ou commercer sur ces mondes pour la plupart foisonnants de vie, de n’apercevoir que les ruines de civilisations avancées disparues depuis ce qui nous apparaissait comme l’aube des temps et dont les dernières traces de technologies étaient soigneusement étudiés. De comprendre que nous étions les seuls à cette époque à disposer de ces portails.

Mais c’est la progression dans le tunnel qui a changé notre vision du carrousel. A mesure que nous ouvrions de nouvelles portes, que nous nous enfoncions dans la spirale, les mondes découverts se révélaient de plus en plus malades, les civilisations mortes plus récemment, les environnements plus hostiles…

Malgré notre curiosité maladive, nous avons ralenti notre exploration et nous sommes progressivement désintéressés des portes encore inconnues. Au centre du carrousel il y avait toujours cette peur primale, cette porte que certains promettaient qu’elle nous ouvrirait la voie d’une nouvelle ère mais que personne n’osait franchir.


Harko était l’un des deux survivants de la dernière expédition d’exploration. Ils furent une centaine d'enfants d'Aleph, le nom que se donnaient ceux qui désiraient explorer l'ultime passage, à partir et les deux malheureux revinrent de cette porte si proche du noyau dans un état lamentable, Harko s’était enfoncé dans le mutisme et Nicosar malade, propagea un mal qui tua près du cinquième des habitants de la planète, avant de se suicider par désespoir.

Cela décida finalement le grand Roi qui interdit l’ouverture de nouvelles portes, au soulagement d’une part immense de notre peuple.

Mais cette sagesse lui vint malheureusement trop tardivement, s’évadant de son hospice, Harko échappa aux hommes qui le poursuivaient et se faufila jusqu'au Carrousel.

C’est au terme d’une longue poursuite, qu’il parvint, talonné par la garde, jusqu’à la porte centrale où il fit alors ce que nul n’avait fait jusqu’à présent, plongeant dans l’ouverture, pour en ressortir immédiatement.

Mais l’homme téméraire ou l’être malade d’une seconde plus tôt, avaient eux disparu. A leur place se tenaient une créature nue et difforme, un être aux yeux aussi anciens que le temps qu'il creva lentement avant de s’adresser aux gardes d’une voix douce.

Il leur exposa d’abord tranquillement ce qu’il avait découvert.
Il n’y avait rien derrière la porte, rien au bout du Carrousel, si ce n’était l’éternité.
Le temps, pour ce qu’il était.
La solitude la plus absolu, dans un environnement vide et pour une période infinie.
Un caractère fort ou fragile peut signifier quelque chose les premières années, mais au bout d’une dizaine, d’une centaine, d’un million ? Et après ?

Le tchaë, entre des millénaires d’incohérences, avait mobilisé son esprit en recombinant les symboles inscrits au dessus de la porte. En transformant ces symboles en récits, ces récits en véritables univers incantatoires, en les fracassant les uns aux autres pour en tirer des fragments sur lesquels bâtir de nouvelles chimères. Il était sorti au bout d'une éternité, après avoir percé son secret, il connaissait le Mot qui contenait tout.

C’est ce Mot qu’il prononça au cœur du Carrousel aux gardes qui ne s’étaient pas enfuis qui embrasa notre monde et détruisit la civilisation tchaë.

Ma race s’enfonça dans la folie la plus sombre qui soit, catatonie, sanglots ou rage, il ne subsista bientôt que mort et folie dans l'esprit des miens, les amis se déchiquetaient, les mères dévoraient leurs enfants tandis que les citées brûlaient les unes après les autres.
Des millions de vie s’entredéchirèrent sans autre but que d’apporter la mort et la destruction à ceux qui leur étaient jusque là le plus proche.


Encore épargné par la Plaie, perdue dans la tourmente du cataclysme, un petit clan monarchique tenta son va-tout en essayant de rallier les colonies d’outres-monde, c'est-à-dire en retournant au Carrousel malgré les démons fait tchaës qui rodaient autours.
Les combats furent d’une âpreté et brutalité extrême, et tandis qu’ils s’enfonçaient lentement dans la spirale, la vérité s’imprimait dans les esprits : aucune porte ne s’ouvrait, le Carrousel s’était refermé, il n’y avait point de salut à espérer de ce coté là.

Il était trop tard aussi pour espérer faire demi-tour, Harko à la tête d’une horde de déments s’avançait à leur suite dans ce gigantesque tombeau.

Les plus fragiles au milieu, les soldats au devant pour ouvrir la voie et sa Majesté Elchior, fils de Balthazar et sa garde d’honneur pour ralentir les assauts des poursuivants à l’arrière, nos ancêtres se rapprochèrent du noyau, tentant désespérément d’ouvrir chaque porte et sachant que bientôt ils seraient adossés à la chose indicible qui avait recraché le destructeur de leur monde, son rejeton et ses déments en face.

La progression dura deux jours, mais à mesure qu’ils s’avançaient la peur instinctive qui s’insinuait dans ceux qui approchaient du centre ne les étreints pas. Et lorsque les sept cents survivants parvinrent jusqu’à la porte, les hurlements du gros de leurs poursuivants se répercutant par échos dans le corridor, ils trouvèrent le passage ouvert et dépourvu de l’aura de menace qui le caractérisait jusqu’alors.

On ne peut que deviner la frénésie qui dut s’emparer de ces êtres exténués devant pareil choix. L’entrée d’un volontaire, puis d’un second, sans qu'ils ne réapparaissent, le fracas des damnés qui se rapprochait…

Finalement sa Majesté Elchior prit la décision qui s’imposait et fit entrer les restes de son peuple par la porte, gardant lui-même avec ses hommes la passe jusqu’à ce que le dernier blessé soit évacué.
Tous ne parvinrent pas jusqu’à Syfaria, certains moururent encore durant et après l’étrange voyage qui nous amena jusqu’à ce continent où nous fûmes accueilli par les nemens, avec la suite que vous connaissez.

Cette légende des anciens-temps serait néanmoins incomplète sans l’idée persistante qu’Elchior n’avait probablement pas été le dernier à faire le voyage depuis notre monde jusqu’à celui-ci.
Harko fut notre
Omega et depuis six cents ans nous ne sommes que l’expiration qui se prolonge après cette longue récitation. L’ombre de ce qu’il a détruit.

Ce n'est peut-être qu'un mythe Dame Penthésilée... mais Harko n'est pas un nom laissé au hasard... les souvenirs des miens pas davantage... et la scène qui préparait ce premier meurtre y trouve tout son sens.


Longue inspiration, courage...

Néanmoins je ne crois pas que ce soit l'acte de tuer qui ait été l'erreur terrible commise, je pencherais plutôt et chercherais du coté d'une interaction étrange et désastreuse entre l'énergie des piliers et la nature immortelle d'Harko...
Après, les tchaës sont plus dans les interactions énergétiques étranges que dans la puissance propre aux idées comme vous le savez Dame Penthésilée...


 
Penthésilée

Le Sukra 3 Dasawar 1511 à 19h29

 
Penthésilée écoute le récit de Thosen avec une moue gourmande non dissimulée. Comme tous les Hauts-Rêvants, évidemment, elle adore les histoires !

C'est passionnant ! Dit-elle aussitôt que le tchäe se tait, se retenant de battre des mains de plaisir.

Votre récit est bien plus riche que ce que nous en savons ! Vous habillez votre légende historique de détails inédits, pour moi. J'en verrais presque, en fermant les yeux, vos ancêtres luttant pied à pied, adossés à l'épouvantable portail du fameux carrousel... brrrr !

Nous nous plaignons souvent de la violence de l'époque actuelle, mais le passé n'a rien à nous envier, de ce point de vue ; entre les miens qui se comportaient comme des bêtes fauves et les vôtres qu'un seul fou décimait... à tout prendre, je préfère encore les temps modernes !

Pour en revenir à votre question, la Shaïm n'a guère laissé planer le doute, quant au sort qui fut réservé à Harko : elle m'a bien dit qu'il avait été tué, employant même l'expression "renvoyé dans le néant". J'en déduis qu'il est bien mort et surtout, qu'il ne peut réapparaître.

Doit-on le considérer comme un premier-sorti ? A ce que j'en comprends, je dirais "oui"... Car il fut bien, dans le récit de Sardoryane, l'un des leurs : une personne apparue dans le groupe initial des huit poussiéreux dont l'âge apparent est figé.
C'est ainsi que je comprends ce terme, immortels : votre Souverain, la Lumière, l'Horloger ou la Shaïm ne sont certainement pas indestructibles. Mais à l'évidence, sur eux, le temps n'a pas prise. Harko, selon ce que j'en perçois, était de cette eau-là...
Ca me fait d'ailleurs penser... si cette définition est correcte, alors votre dame bleue Salakis est bien une première-sortie.


Un ange passe, temps que la Vigie met à profit pour saisir la dernière pensée du militaire.
Amusée, elle répond :


Tsss ! Vous êtes bien un Frère, tiens... matérialiste jusqu'au bout des ongles !
Votre hypothèse tient la route et a le mérite de s'appuyer sur du concret, même si elle semble difficile à tester : il s'est écoulé tant de temps... ceci dit, nous avons des témoins ! Pour progresser, il faudrait sans doute recueillir le récit de tous les premiers-sortis.


L'ange repasse...

Et si le dénommé Harko... ressuscitait, ou s'avérait moins mort qu'il n'est supposé l’être...
Que feriez-vous ?


Par "vous", Thosen Noril comprends que la nelda pense "vous, Frères du Désordre"

Penthésilée
Vigie du Rêve
Chroniques

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