| Samael avait parcouru quelques ruelles et il trouva s'installa devant une taverne cette fois ci. Attirant l'attention sur lui en jouant un enchaînement complexe sur son Sitar. Le Propage capta l'écoute et le silence de son auditoire, la foule se rassemblait déjà avide d'entendre une nouvelle histoire. Samael déclara d'une voix puissante :
Oyez Oyez mes amis ! En ce jour de fête ! Je vous trouve pour beaucoup attablé devant un breuvage noble mais peu d'entre vous ne s'est jamais posé la question des origines et de la création de la bière. Adonc je m'en vais vous conter une vieille légende, moi qui sait. Ecoutez donc le chant de la Bière.
Le Nelda fait une pause et joue quelques accords sur son Sitar pour accompagner son histoire.
Bière, la bière est née de l’orge, du houblon godon la godaille,
Mais n’ira point naître sans l’eau, ni sans flambée de feu cruel.
Houblon, tout blond, fils du Tapage, on l’a piqué tout maigre en terre,
Planté petite fourche en terre, l’a semé comme un grain d’ortie
Chez Kaleva, prés de son puits, sur le talus du champ d’Osmo.
Jeune germe il a levé vite, fors la terre en brindille verte :
L’arbrisson bientôt s’est ouvert, c’est le houblon de haute cime.
Le vieux du bon sort sème l’orge, à l’orée du champ neuf d’Osmo.
L’orge a poussé de belle tige, il grandit de belle houppière,
A l’orée du neuchamp d’Osmo, dans l’essart du fils Kaleva.
Le temps passe, une once de jours, le houblon chuchote dans l’arbre,
L’orge bavarde dans le champ, l’eau dans le puits de Kaleva :
« A quand le jour de nous unir, jour d’accord pour notre mélange ?
Solitaire la vie est triste, plus douce à deux, si belle à trois. »
Osmotar, brasseuse de bière, Kapo, la fabre des cervoises,
Egrène à l’épi les grains d’orge, dans sa paume six grains de l’orge,
Sept boutons de houblons poudrés, huit poches d’eaux claires puisées ;
Boute la marmite à la flamme, met le mélange à mijoter.
Ainsi cuit la bière de l’orge tout un soleil de l’été bref,
A la pointe du cap en brume, au bout de l’île envaporée,
Dans une seille de bois neuf, le baquet de bouleau cerclé.
Or elle a mitonné la bière, mais ne sait point la fermenter.
Elle songe, la belle, et pense, elle dit les mots que voici :
« Que vais-je mêler au baquet, mélanger à l’eau de la seille,
Pour le franc ferment de la bière, le bon levain de la cervoise ? »
Kalevatar, la vierge belle, doigts jolis, les fines menottes,
Toujours en gestes de glissades, Kalevatar le pied menu
Trotte et court du mur au chevêtre, elle arpente lierne et plancher,
S’affaire ici, juponne là, veille d’une marmite à l’autre.
Sur le plancher voit une écharde :
Elle cueille l’écharde au sol,
La lorgne, la tourne en menotte :
« Que deviendra l’écharde blanche, dans la main de Kapo la belle,
Les arteils de la bonne vierge, si je la porte dans sa main
aux doigts de la bonne pucelle ? »
Et la porte aux mains de la belle, aux doigts de Kapo la pucelle.
Kapo la serre en ses deux paumes, la frotte en ses deux mains fermées
Sur une cuisse, et l’autre cuisse ; l’écureuil jaillit, torche blanche.
Elle conseille ainsi son fils, elle guide son écureuil :
« Ecureuil, jaunet des collines ! cours t’en vite où je te commande,
Où je te somme, où je te mande :
A Metsola, la forêt douce, Tapiola le bois des aguets !
Grimpe dans l’arbre tout menu, griffe haut la cime touffue,
Que l’aigle n’aille t’empoigner, ni te cogner, l’oiseau de l’air !
Porte les pignes du sapin, les glumes du pin toutes dures,
Mets les dans la main de Kapo, dans la cervoise d’Osmotar ! »
Or l’écureuil sait bien courir, toupillon de queue il tourbille,
Bientôt vole à son long voyage, Jacquet court le trajet sans halte,
Par une breuil, une autre breuil, il passe un peu de biais la tierce,
Jusqu’à Metsola, forêt douce, Tapiola, le bois des aguets.
Il voit trois sapins de maubois, quatre pins de ramée petite ;
Il grimpe au sapin dans la noue, dans le trochereau de la lande.
Et l’aigle ne l’a pas serré, ni méhaigné, l’oiseau de l’air.
Il casse les pignes du pin, coupe les billes du sapin ;
Les musse, pignes dans ses griffes, les entortille dans ses pattes ;
Il les porte aux mains de Kapo, dans les doigts de la bonne vierge.
Kapo les mélange à la bière, Osmotar, au moût de la cervoise ;
La bière n’en fermente guère, Nul levain pour la potion fraîche.
Osmotar la fabre de bière, Kapo, brasseuse des cervoises,
La pucelle songe et demande : « Que vais-je mêler dans la seille
Pour le franc ferment de la bière, ce bon levain de la cervoise ? »
Kalevatar, la vierge belle, doigts jolis, les fines menottes,
Toujours en gestes de glissades, Kalevatar au pied menu
Court le chevêtre du plancher, elle trottine sur la lierne,
S’affaire ici, juponne là, elle épie la marmite et l’autre ;
Sur le plancher voit un copeau ; elle cueille au sol le copeau.
Le lorgne, le tourne en menotte : « Que sera le copeau gisant,
Dans les mains de Kapo la belle, dans les doigts de la bonne vierge,
Si je le porte dans sa main aux doigts de la bonne pucelle ? »
Et le porte aux doigts de la belle, aux mains de Kapo la pucelle.
Kapo la serre en ses deux paumes, la frotte en ses deux mains fermées
Sur une cuisse, et l’autre cuisse ; la martre jaillit, gorge d’or.
Elle conseille ainsi la martre, elle guide son orpheline :
« Martre, martre, petit oiseau, poil de prix, ma belle fourrure !
Trotte vite où je te commande, où je te somme et je te mande :
A la caverne du grand brun, le logis du Placide en forêts,
Les Placides là-bas font leur chamaille, les grands bruns mènent fort tapage !
Ramasse la bave à tes paumes, a mains pleine écope la mousse,
Mets-la dans la main de Kapo, dans la cervoise d’Osmotar ! »
La martre sait bien détaler, se faufiler, la gorge d’or.
Bientôt s’en trotte en longue route, elle court le trajet sans trêve,
Passe le gué, l’autre rivière, passe la tierce un poil de biais,
Jusqu’à la caverne du brun, la chambre en rocaille du Placide.
Là-bas les Placides sont en bataille, les grands bruns mènent leur tapage
Sur le rocher fourré de fer, la colline aux versants d’acier.
La bave coule aux crocs du Placide, la mousse, de sa gueule affreuse :
Elle écume à sa main la bave, cueille la mousse à pleine paume ;
Puis la porte aux mains de Kapo, entre les doigts de la pucelle.
Kapo la verse dans sa bière, Osmotar, au moût de cervoise
Songe, et pense, elle se tracasse : « Que vais-je verser dans la seille
Pour le ferment de la cervoise, le levain léger pour la bière ? »
Kalevatar, la vierge belle, doigts jolis, les fines menottes,
Toujours en gestes de glissades, Kalevatar au pied menu
Trotte au chevêtre du plancher, court sur le pont, passe la lierne,
S’affaire ici, juponne là, veille de potière en marmite.
Sur le plancher voit une cosse, se penche et ramasse la cosse.
La lorgne, la tourne en menotte : « Que sera la cosse gisante
Dans la main de Kapo la belle, aux doigts de la bonne pucelle,
Si je la porte dans ses mains, aux doigts de la bonne pucelle ? »
Et le porte aux doigts de la belle, aux mains de Kapo la pucelle.
Kapo la serre en ses deux paumes, la frotte en ses deux mains fermées
Sur une cuisse, et l’autre cuisse ; Mehila jaillit, c’est l’abeille.
Elle conseille son oiseau, elle guide la bonne abeille :
« Belle abeille, mon oiseau lisse, reine des fleurs dans la prairie !
Vole t’en vite où je te demande, où je te somme et je te mande :
Sur l’île du mitan de la mer, parmi les brisants de la vague !
Il est une fille assoupie, teinture de bronze endormie,
Sur sa hanche l’herbe est sucrée, la fleur de miel à son giron.
Cueille la miessée sur tes ailes, apporte le miel dans ta cape
De la pointe de l’herbe frêle, le calice de la fleur d’or ;
Mets le dans la main de Kapo, pour la cervoise d’Osmotar ! »
Or donc l’abeille, l’oiseau lisse, vrille son vol, file dans l’air.
Vite vole la route longue, voltige le trajet sans trêve
Par une mer, une autre mer, un grain de biais la marée tierce
Jusqu’à l’île au mitan des vagues, parmi les brisants de la mer.
Elle voit la fille endormie, la gorge d’étain sommeillante
Dans la prairie, le pré sans nom, sur le talus du champ de miel,
A son coté l’herbe est dorée, tige d’argent sur sa ceinture.
Elle mouille son aile au miel, dans la miessée trempe sa plume
Sur la pointe de l’herbe frêle, le minois de la fleur dorée ;
Puis le porte aux mains de Kapo, aux doigts de la bonne pucelle.
Kapo le met dans la cervoise, Osmotar l’égoutte à sa bière :
La bière en fermente à cœur joie, la boisson fraîche lève dru
Dedans la seille aux douves neuves, le baquet de bouleau cerclé ;
Elle bouillonne au ras des anses, se rue blanche par-dessus bord,
Elle veut déferler par terre, libre couler sur le plancher.
Le temps passe, une once de jours, un brin de temps pousse et s’envole :
Les gaillards ont lampé la bière, Lemminka l’entonne à l’abus :
Ahti gris, kauko s’enivre, coquin rougeaud se grise et saoule
Par la cervoise d’Osmotar, la bière de Kalevatar.
Osmotar, la fabre des bières, Kapo, brasseuse des cervoises
Ainsi parle et dit sa complainte : « Ô misère, jour gris, jour noir,
J’ai brassé la bière mauvaise, j’ai fait la cervoise effrontée :
Elle se sauve du baquet, bave en vagues sur le plancher. »
Le bouvreuil a chanté dans l’arbre, la grive au rebord du larmier :
« La cervoise n’est point méchante mais bière de bonne bombance,
Va-t’en la vider en futailles, dans le cellier qu’elle fermente,
Dans la tonne aux douves de chêne, serrée dans les feuillards de bronze. »
Ainsi nous est née la cervoise, bière des fils de Kaleva ;
Elle est cervoise bien nommée, bière belle par sa famée,
Car elle mène la vie bonne pour la soif des gens de guenille ;
Ride la bouche en rire aux femmes, elle met l’homme en bonne humeur,
La gent de guenille en gaieté, en gigue les fous qui se grisent.
La patronne de Pohjola quand elle ouït le dit de la bière,
Trotte et bonde un grand baquet d’eau, le cuveau neuf jusqu’à mi douve,
La dedans l’orge pour la bière, et mainte cosse du houblon.
Puis commence à brasser la bière, elle tourne et touille l’eau forte
Dans la seille aux douves nouvelles, le baquet de bouleau cerclé.
Lune et lune on chauffe les pierres, été sur été l’eau mijote,
On a brûlé des breuils de bois, épuisé maint puits d’eau puisée :
Déjà les breuils souffrent pelade, eau rare les sources tarissent,
Car on mitonne les cervoises, on brasse à pleins baquets la bière,
Pour les longs festins de Pohja, les ripailles des bons compères.
La fumée volute sur l’île, le feu flambe aux brisants du cap.
Fumée grasse, la corde épaisse brume bers l’air en fumerolles
Montées des brasiers effarants, flambées blanches du feu nourri :
Elle couvre à moitié Pohja, noircit toute la Carélie.
Le peuple alentour s’ébahit, baille au ciel, guigne l’œil songeur :
« Or çà, d’où monte la fumée, la brouée blanche vers le ciel ?
Fumée de guerre ? bien trop maigre. Flambée de berge ? Par trop grande. »
Or la mère de Lemminkä, dés l’aube, aux lueurs de l’aurore,
Trotte à la source puiser l’eau ; voit la fumée, la torche épaisse
Par-dessus le pays du nord. Fronce sourcil, puis parle ainsi :
« Ce sont bien des fumées de guerre, traînée blanche, brume aux batailles ! »
Ahti, le fils de Saarela, Kaukomieli le bel, tourne les yeux, guette le ciel.
Ahti pense, Lemminkä songe : « et si j’allais ramper au guet,
Tout prés du feu pour rebeugner d’où se dresse la fumée-là,
La brume gonflée dans le ciel, vois si c’est la fumée de guerre,
La flambée d’avant les batailles. »
Kauko rampe vers l’aguets, au nid de la fumée levante ;
Ce ne sont point des feux de guerre ni flambées d’avant les batailles ;
Ce sont les feux pour la cervoise, la flambée sous le moût de bière,
Dans le goulet de Sariola, à l’abri de l’estran du cap.
Or donc Kauko guette et lorgne…Kauko guigne, l’œil bigleux,
Un œil louche, l’autre bigleux, et la bouche un peu de ginguois.
Il parle l’œil écarquillé, il braille devers le goulet :
« Belle mère, ma tendre mère, bonne dame de pohjola !
Apprête la bière épatante, brasse la cervoise corsée,
Pour la soif de la troupe grande, brasse pour Lemminkä surtout,
Pour les ripailles de sa noce, avec ta fillette, la jeune ! »
Ainsi la bière est bien brassée, prête à boire.
On entonne la bière rouge, cervoise belle, on la démène
Qu’elle gît dessous la terre, dans le cellier de pierres fraîches,
Dans la tonne aux douves de chêne, serrée devers la bonde en bronze.
A la fin de sa longue légende, le Nelda est assis en tailleur sur le sol, le Sitar sur la cuisse. les notes se sont égrenés doucement pour égailler le long récit. Autour de lui le public est silencieux et un groupe d'enfants est accroupi au premier rang buvant les paroles du Propage. Samael termine donc d'une voix douce et se relève tranquillement. Une fois debout, le Nelda s'incline devant son auditoire en remerciement.
HRP : Texte adapté d'après le Kalevala, l'épopée des Finnois par Elias Lönnrot.
Appelez moi Charogne, et je vous appellerai Cadavre.
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